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bientôt faire tomber en notre pouvoir cet infatigable ennemi.

En Espagne, les événements prenaient chaque jour plus de gravité : l'importante question de la régence avait naturellement été agitée après l'insurrection de septembre et le départ de la reine Christine. Les uns voulaient qu'Espartero fût seul régent, d'autres redoutant son autorité et désireux de l'amoindrir demandaient une régence composée de trois membres. Le duc de la Victoire, habilement conseillé par son aide de camp Linage, demeurait en apparence complétement étranger à toutes ces intrigues et semblait n'aspirer qu'à la douce tranquillité de la vie privée, attitude qu'il a prise si souvent dans le cours de son existence politique; mais il agissait sourdement et faisait clairement entendre, par la voix des journaux qui lui étaient dévoués, que son épée ne sortirait du fourreau pour défendre la décision des cortès relativement à la régence, « que si cette décision était conforme à sa propre opinion sur les moyens à employer pour sauver le pays dans les circonstances difficiles où on se trouvait engagé. » Les cortès s'assemblèrent; les sénateurs, au nombre de quatre-vingt-quatorze, s'unirent à cent. quatre-vingt-seize députés pour procéder à un vote d'ensemble sur cette importante question de la régence. Cent cinquante-trois votants admirent le système d'une régence unique; cent

trente-six demandèrent trois régents. Un vote en réclama cinq. Restait la désignation du régent luimême; on y procéda séance tenante: cent soixantedix-neuf voix proclamèrent Espartero contre cent trois données à Arguelles et cinq à la reine Christine.

Mais à qui confierait-on la tutelle des deux infantes, car les cortès avaient décidé que, par suite de l'éloignement de la reine Marie - Christine, tutrice aux termes du testament de Ferdinand VII, la tutelle était vacante? Espartero mit secrètement en avant le nom de don Francisco de Paule, car il redoutait, jusqu'à un certain point, le voisinage et la concurrence de M. Arguelles qui avait obtenu après lui le plus grand nombre de voix pour la régence. Mais en dépit de cette intrigue Arguelles fut nommé et la reine Christine profondément affligée d'un résultat qu'elle aurait dû prévoir cependant en s'éloignant d'Espagne, envoya à Madrid une protestation contre ce vote des cortès. Cette protestation était accompagnée d'une lettre adressée au duc de la Victoire, et dont voici quelques fragments: «Peu satisfaits de m'avoir arraché la régence, à laquelle je me vis forcée de renoncer pour ne pas trahir mes serments; peu satisfaits de m'avoir réduite à la cruelle nécessité de m'éloigner pour un temps de l'Espagne, les auteurs de cet attentat manquant à tous les principes consacrés par

la religion et l'humanité et se servant de prétextes mensongers et contraires à mon honneur, à ma considération, ont travaillé depuis ce moment à me ravir la plus douce et la plus tendre consolation dont puisse jouir une mère animée de la sollicitude et de l'amour que je porte à mes filles; les paroles me manquent pour exprimer toute l'étendue de la douleur que j'ai ressentie en apprenant que j'avais été arbitrairement dépouillée de la tutelle dont l'exercice m'était assuré à moi seule, par des titres légitimes et sacrés. Les cortès en décidant ainsi de cette affaire, vous et les ministres en la soumettant à leur délibération, vous vous êtes arrogé des pouvoirs qui ne vous appartiennent pas, vous avez enfreint toutes les règles de la justice, et vous m'avez impitoyablement choisie pour votre victime..... C'est pourquoi je ne saurais me soustraire à l'accomplissement du devoir si grave que Dieu et la nature m'imposent en cette occasion; et obéissant à la voix de ma conscience, poussée d'ailleurs par l'extrême nécessité de ma propre défense, j'ai pris aujourd'hui même la résolution de faire une protestation solennelle contre tout ce qui a été décidé par les cortès, au mépris et au détriment de mes droits légitimes comme reine mère et comme seule tutrice et curatrice testamentaire de mes augustes filles. Je joins à cette lettre cette protestation écrite en entier de ma main, afin que vous la

fassiez publier immédiatement dans la gazette de Madrid.»

Ce langage maternel émut à un très-haut degré la population espagnole, tant il est vrai que les sentiments naturels exprimés avec dignité auront toujours un certain pouvoir sur les masses, fussentelles prévenues ou mal conseillées. A cet effet produit sans effort vint se joindre, pour donner à Marie-Christine des espérances prématurées, la conduite équivoque du duc de la Victoire, sur lequel l'influence anglaise semblait s'exercer d'une façon de plus en plus préjudiciable aux intérêts matériels de l'Espagne. Le régent, tout à la dévotion du ministre d'Angleterre, M. Ashton, ne craignit pas de laisser entrevoir le dessein de céder au gouvernement anglais les îles d'Annobon et de FernandoPô, moyennant une somme de soixante mille livres sterling, somme que, d'un autre côté, l'Angleterre déclarait être due pour les frais que lui avait occasionnés l'envoi récent de troupes auxiliaires dans la Péninsule, déplorable intrigue dont la réalisation fut entravée par l'indignation publique. C'était aussi le moment où pour faire face aux dépenses de ce qui coûtera toujours le plus cher aux peuples, une révolution, le gouvernement commençait à s'en prendre aux richesses des couvents et des églises, vases précieux, reliquaires ou tableaux de grands maîtres qui, vendus à l'encan, allaient

orner les collections étrangères, et l'Espagne catholique s'irritait de ces spoliations officielles auxquelles on ne l'avait pas encore habituée. Espartero et Arguelles, exerçant un pouvoir quasi absolu, ressemblaient à deux dictateurs tout prêts à usurper une couronne si facile à faire tomber de la tête d'un enfant, sauf à se la disputer plus tard; enfin les deux petites infantes, captives plutôt que gardées, semblaient renouveler cette sombre et touchante scène des enfants d'Édouard sous la main du duc de Glocester, ingénieuse comparaison d'un publiciste de l'époque.

Nous disions tout à l'heure que l'ensemble de cette situation avait inspiré à la reine Christine de fausses espérances. Le licenciement d'une partie de la garde royale, la destitution d'un nombre considérable d'officiers, alimentaient, en créant d'ardents mécontentements, cet espoir prématuré qui devait être déplorablement déçu. Les plus mauvais gouvernements ont leur temps de durée, et chercher trop tôt à les renverser est une grande faute en politique. La conspiration qui s'ourdit alors à Madrid et dans les provinces en fournit une preuve de plus. Dans les derniers jours de septembre 1841, le général O'Donnell s'empara de la citadelle de Pampelune, et les provinces basques prirent les armes. L'anarchie était si complète, le trouble des esprits était si grand, que les troupes ne savaient

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