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devant lui, vous travaillez à le mettre, et avec lui tous les Latins qui l'ont suivi selon vous durant tant de siècles, au rang des << auteurs suspects » et des novateurs rejetés par les règles inviolables de Vincent de Lérins; en un mot, au rang des hérétiques ou des fauteurs des hérétiques, puisque vous lui faites favoriser l'hérésie des gnostiques et détruire avec eux le libre arbitre.

CHAPITRE VI.

Que cette accusation de M. Simon contre saint Augustin retombe sur le SaintSiége, sur tout l'Occident, sur toute l'Eglise, et détruit l'uniformité de ses sentimens et de sa tradition sur la foi : que ce critique renouvelle les questions précisément décidées par les Peres, avec le consentement de toute l'Eglise catholique: témoignage du cardinal Bellarmin.

Si l'on souffre de tels excès, on voit où la religion est réduite. L'idée que nous en donne M. Simon est, non-seulement que l'Orient et l'Occident ne sont pas d'accord dans la foi, mais encore qu'un novateur a entraîné tout l'Ocident après lui: que l'ancienne foi a été changée : qu'il n'y a plus par conséquent de tradition constante, puisque celle qui l'étoit jusqu'à saint Augustin a cessé de l'être depuis, et que les seuls Grecs ayant persisté dans la doctrine de leurs Pères, il ne faut plus chercher la foi et l'orthodoxie que dans l'Orient.

On voit donc bien qu'il ne s'agit pas de saint Augustin seulement ou de sa doctrine, mais encore de l'autorité et de la doctrine de l'Eglise, puisque s'il a été permis à saint Augustin de la changer dans une matière capitale, et que pendant qu'il la changeoit les papes et tout l'Occident lui aient applaudi, il n'y a plus d'autorité, il n'y a plus de doctrine fixe; il faut tolérer tous les errans, et ouvrir la porte de l'Eglise à tous les novateurs.

Car il faut bien observer que les questions où M. Simon veut commettre saint Augustin avec les anciens, ne sont pas des questions légères ou indifférentes, mais des questions de la foi, où il s'agissoit du libre arbitre : savoir s'il le falloit soutenir avec Origène contre « les hérésies des gnostiques; » s'il étoit «< contraint ou forcé, » ou seulement « tiré par persuasion: »> si Dieu permet seulement le mal, ou s'il en est l'auteur; ou en d'autres termes,

si lorsqu'il livre les hommes à leurs désirs, « il est cause en quelque manière de leur abandonnement ou de l'aveuglement de leur cœur : » s'il y avoit de la faute de Judas dans sa trahison, ou s'il « n'a fait qu'accomplir ce qui avoit été déterminé 1. » C'est, dis-je, dans toutes ces choses que notre auteur met partout cette différence entre la doctrine des anciens et celle de saint Augustin; comme si les anciens étoient les seuls qui eussent évité tous ces inconvéniens, et qu'au contraire en suivant saint Augustin, il ne fùt pas possible de n'y pas tomber. Car il prétend qu'ils étoient la suite de la doctrine nouvelle et particulière qu'il a enseignée sur la prédestination; et c'est ce que prétendoient, aussi bien que lui, les anciens semi-pélagiens. Cependant saint Augustin n'en a pas moins insisté sur cette doctrine; et quel a été l'événement de cette dispute, si ce n'est que le pape saint Célestin, devant qui elle fut portée, imposa silence aux adversaires de saint Augustin, et qu'après que cette querelle eut été souvent renouvelée, le pape saint Hormisdas en vint enfin à cette solennelle déclaration, que « qui voudroit savoir les sentimens de l'Eglise romaine sur la grace et le libre arbitre, n'avoit qu'à consulter les ouvrages de saint Augustin, et en particulier ceux qu'il a adressés à saint Prosper et à saint Hilaire 2; » c'est-à-dire ceux de la prédestination et du don de la persévérance, qui sont ceux que les adversaires de saint Augustin trouvoient les plus excessifs, et où l'on voit encore aujourd'hui ce que M. Simon ose accuser de nouveauté et d'erreur.

Ainsi ce que remue ce vain critique, est précisément la même question qui a déjà été vidée par plusieurs décisions de l'Eglise et des papes. M. Simon accuse saint Augustin d'être novateur dans la matière de la prédestination et de la grace; c'étoit aussi la prétention des anciens adversaires de saint Augustin, qui « se défendoient, dit saint Prosper, par l'antiquité, et soutenoient que les passages de l'Epitre aux Romains, » dont ce Père appuyoit sa doctrine, « n'avoient jamais été entendus, comme il faisoit, par aucun auteur ecclésiastique 3. » Saint Augustin persiste dans ses

1 P. 77, 170, 306, 380, 419, 420, 421. — Epist. ad Poss. 2 August., n. 3.

- Epist. Prosp. ad

sentimens ; et non-seulement il persiste dans ses sentimens, mais encore il n'hésite point à soutenir que la prédestination, de la manière dont il l'enseignoit, appartenoit à la foi, à cause de la liaison qu'elle avoit avec les prières de l'Eglise et avec la grace qui fait les élus. Le cardinal Bellarmin a rapporté les passages où ce Père parle en ces termes : « Ce que je sais, dit-il, c'est que personne n'a pu disputer, sinon en errant, contre cette prédestination que je défends par les Ecritures; » et encore : « l'Eglise n'a jamais été sans cette foi de prédestination, laquelle nous défendons avec un nouveau soin contre les nouveaux hérétiques. » Ce qui fait dire à ce grand cardinal, que « si le sentiment de saint Augustin sur la prédestination étoit faux, on ne pourroit excuser ce Père d'une insigne témérité, puisque non-seulement il auroit combattu avec tant d'ardeur pour une fausseté, mais encore qu'il auroit osé la mettre au rang des vérités catholiques. » D'où ce cardinal conclut que la doctrine enseignée par saint Augustin, « n'est pas la doctrine de quelques docteurs particuliers, mais la foi de l'Eglise catholique 1. »

M. Simon n'a pu ignorer ces passages ni les sentimens de Bellarmin, puisqu'il l'a expressément nommé sur cette matière en parlant de Catharin. Il n'a pas pu ignorer non plus, que saint Augustin n'ait prétendu enseigner une doctrine de foi dans les livres que ce critique reprend. Je ne dispute point encore quelle est cette doctrine je demande seulement à M. Simon si, nonobstant cette doctrine qu'il ose faire passer pour nouvelle et excessive, le pape saint Célestin, devant lequel on porta les accusations qu'on faisoit contre, au lieu de la reprendre comme excessive et nouvelle, n'a pas fermé la bouche aux contradicteurs en les appelant des téméraires, imposito improbis silentio : s'il n'a pas mis saint Augustin au rang des maîtres les plus excellens, inter magistros optimos; au rang de ceux que les papes ont toujours aimés et révérés, utpote qui omnibus et amori fuerit et honori; enfin au rang des docteurs les plus irrépréhensibles, nec eum sinistræ suspicionis saltem rumor adspersit ; s'il n'a pas permis à saint Prosper, ou à l'auteur des Capitules attachés à sa décrétale, quel

1 Lib. De Don. persev., cap. xix. -2 Cœlest. epist. ad Episc. Gall., cap. II.

qu'il soit, de blâmer ceux qui accusent nos maîtres, c'est-à-dire saint Augustin et ceux qui l'ont suivi, d'avoir excédé, ce sont les mots dont il se sert: Magistris etiam nostris, tanquam necessarium modum excesserint, obloquuntur; enfin s'il n'est pas vrai que cette doctrine est celle où le pape saint Hormisdas renvoie ceux qui veulent savoir ce que croit l'Eglise romaine sur la grace et le libre arbitre. Que si tout cela est incontestable, comme il l'est, et que personne ne l'ait jamais pu ni osé révoquer en doute, on ne peut nier que M. Simon, qui fait profession d'être catholique, ne renouvelle aujourd'hui contre saint Augustin la même accusation que les papes ont réprimée; et il ne peut éviter d'être condamné, puisque non-seulement il regarde saint Augustin comme un novateur, et sa doctrine comme pleine d'excès, mais qu'il ose encore la proscrire comme contraire au sentiment unanime de toute l'Eglise, comme tendante à renouveler et à favoriser l'hérésie des gnostiques, et à détruire le libre arbitre.

CHAPITRE VII,

Vaine réponse de M. Simon, que saint Augustin n'est pas la régle de notre for: malgré cette cavillation, ce critique ne laisse pas d'être convaincu d'avoir condamné les papes et toute l'Eglise qui les a suivis.

:

Il n'est donc pas ici question de savoir si les sentimens de saint Augustin sont la règle de notre créance, qui est le tour odieux que M. Simon veut donner à la doctrine de ceux qui défendent l'autorité de ce Père. Non, sans doute, saint Augustin n'est pas la règle de notre foi, et aucun docteur particulier ne le peut être il n'est pas même encore question en quel degré d'autorité les papes ont mis ses ouvrages en les approuvant; car nous réservons cet examen à la suite de ce traité. Il s'agit ici de savoir si, après que saint Augustin « est devenu l'oracle de l'Occident, » on peut le traiter de novateur, sans accuser les papes et toute l'Eglise d'avoir du moins appuyé et favorisé des nouveautés, d'avoir changé la doctrine qu'une tradition constante avoit apportée, et si cela même n'est pas renverser les fondemens de l'Eglise.

Il ne faut pas que M. Simon s'imagine qu'on lui souffre ces

excès, ni que sous prétexte que quelques-uns auront abusé dans ces derniers siècles du nom et de la doctrine de saint Augustin, il lui soit permis d'en mépriser l'autorité. C'est déjà une insupportable témérité de s'ériger en censeur d'un si grand homme, que tout le monde regarde comme une lumière de l'Eglise, et d'écrire directement contre lui; c'en est une encore plus grande et qui tient de l'impiété et du blasphème, de le traiter de novateur et de fauteur des hérétiques; mais le blâmer d'une manière qui retomberoit sur toute l'Eglise et la convaincroit d'avoir changé de croyance, c'est le comble de l'aveuglement : de sorte que dorénavant je n'ai pas besoin d'appeler à mon secours ceux qui respectent, comme ils doivent, un Père si éclairé; ses ennemis, s'il en a, sont obligés de condamner M. Simon, à moins de vouloir condamner l'Eglise même, la faire varier dans la foi et imiter les hérétiques, qui par toutes sortes de moyens tâchent d'y trouver de la contradiction et de l'erreur.

CHAPITRE VIII.

Autre cavillation de M. Simon dans la déclaration qu'il a faite de ne vouloir pas condamner saint Augustin: que sa doctrine en ce point établit la tolérance et l'indifférence des religions.

Il ne sert de rien à M. Simon de dire qu'il ne prétend point condamner saint Augustin, ni empêcher que ses sentimens n'aient un libre cours, mais seulement d'empêcher que sous prétexte de défendre ce docte Père, on ne condamne les Pères grecs et toute l'antiquité. J'avoue qu'il parle souvent en ce sens; mais ceux qui se paieront de cette excuse, n'auront guère compris ses adresses. Il veut débiter ses sentimens hardis; mais il se prépare des subterfuges, quand il sera trop pressé. Il a de secrètes complaisances pour une secte subtile, qui veut laisser la liberté de tout dire et de tout penser. Je ne parle pas en vain, et la suite fera mieux paroître cette vérité; mais il voudroit bien nous envelopper ce dessein. Qu'y a-t-il de plus raisonnable que de tolérer saint Augustin? Mais accordez-lui cette tolérance, avec les principes qu'il pose et avec les propositions qu'il avance, il vous forcera de to

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