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CHAPITRE XIII.

M. Simon avilit saint Chrysostome, et le loue en haine de saint Augustin.

La louange des homélies et du style de saint Chrysostome feroit honneur à M. Simon', si on n'y trouvoit trop visiblement une affectation d'élever ce Père pour déprimer saint Augustin, que sa doctrine sur la grace de Jésus-Christ lui rend odieux. C'est un éloge assez surprenant des homélies de saint Chrysostome, d'avoir mis la principale partie de l'effet qu'elles produisirent sur l'esprit de ses auditeurs, en ce qu'il ne leur parloit point « de grace efficace, » comme si c'étoit une erreur de prêcher cette grace qui tourne les cœurs où elle veut, et comme si saint Paul eût affoibli sa prédication en exhortant si souvent les fidèles à la demander. Quelle grace ce grand Apôtre demandoit-il pour les Corinthiens, lorsqu'il disoit ces paroles : « Nous prions Dieu que vous ne fassiez aucun mal', » sinon celle qui les empêchoit effectivement de commettre le péché, et qui les délivroit avec un effet très-certain d'un si grand mal? Saint Chrysostome n'avoit pas besoin d'une louange où sous prétexte de lancer un trait contre saint Augustin, on le fait lui-même contraire à saint Paul.

C'est encore dans le même esprit que le même M. Simon parle en ces termes : « Si l'on compare les homélies de saint Chrysostome avec ces discours de saint Augustin (sur saint Jean), on remarquera une très-grande différence entre ces deux savans évêques. Le premier évite toujours les allégories et les pensées trop subtiles: saint Augustin au contraire les affecte presque partout, et l'on ne voit pas même quelquefois où il veut aller 3. » Je ne veux ici remarquer que le faux zèle du critique pour saint Chrysostome. « Il évite toujours, dit-il, les allégories. » Si c'est en cela qu'on le préfère à saint Augustin, rien n'empêche qu'on ne le fasse en même temps plus sage que saint Paul. Pour ce qui est des subtilités, lorsqu'il les fait toutes éviter à saint Chrysostome, il oublie ce qu'il dit lui-même, que les réflexions de saint Chrysostome sur un passage de saint Paul sont fort subtiles : que 1 P. 155. — II Cor., XIII, 7. - 3 P. 250.

s'il se sauve par le trop, c'étoit à lui à montrer par quelque chose d'un peu d'importance dans saint Augustin en quoi étoit ce trop de subtilité, « qui fait qu'on ne voit pas quelquefois où il veut aller1. » Autrement nous condamnerons la témérité d'un censeur qui parle sans preuves comme s'il disoit des oracles, et nous prendrons l'aveu qu'il nous fait de ne pouvoir suivre saint Augustin pour un témoignage de son ignorance.

Au reste quelque favorable qu'il semble être à saint Chrysostome, il a son coup comme les autres, et l'ongle de notre critique ne l'épargne pas. En parlant de ses homélies sur saint Matthieu, qui sont son chef-d'œuvre : « Si, dit-il, on n'y apprend pas le sens littéral du texte de saint Matthieu, l'on y voit au moins quelle étoit la doctrine de son temps. » Voilà une belle ressource à qui veut qu'on lui explique la lettre, qui est pourtant ce qu'on cherche dans saint Chrysostome. Quand il excuse, un peu après, ses digressions morales sur la nature des discours qu'on fait au peuple, il ne le rend pas pour cela plus foncièrement littéral; et quand il ajoute encore « qu'il n'y a aucun écrivain ecclésiastique qui se soit attaché autant dans ses homélies à expliquer la lettre de l'Ecriture, » ce n'est pas dire qu'il s'y attachât beaucoup; mais que les autres écrivains ecclésiastiques ne s'y attachoient guère et qu'en tout cas, en s'y attachant, ils réussissoient fort peu à la faire entendre, puisqu'avec saint Chrysostome, qui s'y attachoit le plus, on ne l'entend pas. Voilà comme la dent venimeuse de notre critique répand le mépris sur tous les Pères, en commençant par les Grecs qu'il fait semblant d'estimer.

CHAPITRE XIV.

Hilaire diacre et Pelage l'hérésiarque préférés à tous les anciens commentateurs, et élevés sur les ruines de saint Ambroise et de saint Jérôme.

Pour venir aux interprètes latins, M. Simon est de si bon goût, qu'il ne paroît estimer véritablement que le diacre Hilaire schismatique luciférien, et Pélage l'hérésiarque. Voici ce qu'il dit d'Hilaire : « Sixte de Sienne a donné en peu de mots la véritable idée de ses Commentaires sur saint Paul, quand il dit qu'ils sont à la

1P. 189. P. 151.

vérité courts pour ce qui est des paroles, mais qu'ils méritent d'être pesés pour ce qui regarde le sens1. » Et il ajoute «que cela seul devoit faire juger qu'ils n'étoient pas de saint Ambroise, dont le style est bien différent de celui-là; » où visiblement il fait tomber la différence autant sur la gravité du sens qui mérite d'être pesé que sur la brièveté du discours; en quoi il donne un double plaisir à sa maligne critique : l'un, d'insinuer que saint Ambroise n'a pas cette gravité et ce sens qui mérite d'être pesé; l'autre, de donner à un schismatique, favorable selon lui-même aux pélagiens, un éloge fort au-dessus de tous ceux qu'il a donnés aux orthodoxes, ajoutant même « qu'il y a peu d'anciens commentaires sur les Epitres de saint Paul, et même sur tout le Nouveau Testament, qu'on puisse comparer à celui-là. »

Quand il dit qu'il y en a peu qu'on lui puisse égaler, il déclare déjà qu'il y en a peu qui le surpassent, pas même ceux de saint Jérôme, dont il semble faire tant d'état. Et en effet, après avoir donné à ce Père en apparence les plus grands éloges du monde, en disant que «la connoissance des langues, celle des anciens commentateurs grecs et latins qu'il avoit tous lus, et enfin celles des coutumes et des usages des peuples d'Orient3, lui fournissoient les moyens de s'élever au-dessus de tous les autres commentateurs, dans la suite il ne songe plus qu'à le déprimer; ce qu'il fait même selon sa coutume avec dérision en le louant : « Cette observation est à la vérité docte, mais le raisonnement de ce savant critique (saint Jérôme) n'est pas concluant *. » Il continue ce langage moqueur dans ces paroles: «La grande érudition de ce Père paroît encore sur ce passage du Deuteronome; mais son raisonnement n'est guère plus concluant que le précédent. » Il affecte presque partout de ne rapporter de ce Père que ce qu'il y blâme. Il relève surtout ses contradictions, dont il rend des raisons peu avantageuses à ce saint; et il semble qu'il ait voulu effacer par un seul trait toutes les louanges dont il a paru vouloir l'honorer, en disant, « qu'après tout peut-être eùt-il été mieux que ce docte Père eût fait paroître moins d'érudition dans ses commentaires, et qu'il y eût eu un peu plus de raisonnement *. »

1 P. 134. P. 209.3 P. 212. — P. 224. — P. 231.

Jusqu'ici on juge aisément que la palme des commentateurs demeure à Hilaire. Loin de lui savoir mauvais gré de favoriser les sentimens de Pélage, M. Simon au contraire, comme on le dira bientôt, en prend occasion de lui donner des louanges'. Pélage même est, après Hilaire, celui des commentateurs qu'il recommande le plus. Il est vrai qu'il semble excepter ses erreurs ; mais on verra qu'il les réduit à si peu de chose, qu'à peine un juge équitable le comptera-t-il parmi les hérésiarques. Voilà donc les deux auteurs de M. Simon, et je ne sais lequel des anciens, selon lui, on leur pourroit comparer dans l'explication des Livres saints. Celui qu'on prise le plus parmi les Grecs est saint Chrysostome; mais qu'en peut-on espérer, puisque son commentaire sur saint. Matthieu, qui est le plus beau et le plus accompli de ses ouvrages, n'apprend pas la lettre? Saint Jérôme ne raisonne pas: saint Ambroise, comme on vient de voir, est mis beaucoup au-dessous du diacre Hilaire, et d'ailleurs il est méprisé de saint Jérôme; car c'est ce qu'on trouvera soigneusement étalé dans la critique de ce Père. Que reste-t-il donc à l'Eglise, sinon Hilaire et Pélage, qui, joints avec Socin et Grotius, lui apprendront le sens littéral? Et tout cela sur ce fondement, « qu'il faut faire justice à tout le monde ?» Car c'est par là qu'on s'autorise à louer Pélage comme l'un des plus excellens commentateurs. Voilà cette belle équité des critiques de nos jours: elle tend à donner tout l'avantage aux ennemis de l'Eglise pour l'intelligence du sens littéral, et à faire que tous les Pères, jusqu'à saint Jérôme, soient obligés de leur céder; encore qu'à faire justice à ce docte Père, les commentaires tant vantés par notre critique d'Hilaire et de Pélage, ne paroissent que des ouvrages de novices en comparaison de ceux de ce grand maître.

CHAPITRE XV.

Mépris du critique pour saint Augustin, et affectation de lui préférer Maldonat dans l'application aux Ecritures: amour de saint Augustin pour les saints Livres.

Il restoit saint Augustin qui a donné plus de principes pour entendre la sainte Ecriture et pour y trouver la saine doctrine, dont 1 P. 237, 238.

2 P. 207. 3 P. 239.

elle est le trésor. Mais notre critique l'estime si peu, que ce lui est même un sujet de blâmer les autres que de l'avoir suivi; et pour donner quelque couverture au bas rang où il le met, il a fait semblant d'abord, comme on a vu, que c'est en lui préférant saint Chrysostome, et dans la suite que c'est en suivant le jugement de Maldonat, qu'il loue d'avoir préféré son sentiment propre à celui de saint Augustin: en sorte qu'il est au-dessous, non-seulement des anciens, mais encore des modernes. Voici les paroles de notre critique :

D

« Au reste Maldonat n'est pas si opposé à saint Augustin qu'il n'approuve quelquefois ses interprétations 1. » Voilà déjà un premier coup on donne pour caractère à un interprète qu'on loue d'être opposé à saint Augustin, et il semble que ce soit faire honneur à ce Père de l'approuver quelquefois. Mais voici un trait plus violent : « Il le suit en plusieurs autres endroits; mais ayant plus médité que lui sur l'Ecriture, il n'est pas surprenant qu'il l'abandonne souvent. » Ce qui revient dans un autre endroit, où en parlant de ce passage de saint Paul : « Ce n'est pas de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde 3, »> après avoir rapporté l'explication de saint Grégoire de Nazianze, il dit «que saint Augustin n'approuve pas ce sens là; mais, poursuit-il, il n'avoit peut-être pas assez médité ces sortes d'expressions". » En vérité, je ne croyois pas qu'on en pût venir à ces insolens discours. Qu'est-ce donc que saint Augustin aura médité dans l'Ecriture, s'il n'a pas assez médité les passages sur lesquels il a fondé principalement toute la doctrine de la grace et toute sa dispute avec les pélagiens? Cependant on dit hardiment qu'il ne méditoit pas assez l'Ecriture, et que Maldonat l'emporte sur lui dans cette étude. Pour parler ainsi, il faut avoir oublié le goût que Dieu lui donna pour les saints Livres après qu'il lui eût ôté celui des orateurs profanes, et même celui des platoniciens pour lesquels il avoit tant d'amour. Tout le monde se souviendra de cette prière fervente de ses Confessions: «O Seigneur, que vos Ecritures soient toujours mes chastes délices que je ne me trompe pas, que je ne trompe personne en les expliquant. Vous, Seigneur, à qui appartiennent le jour et la nuit, faites-moi

1 P. 628.2 P. 629. 3 Rom. IX, 16.- ↳ P. 122.

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