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science un peu de grec et un peu d'hébreu, de prendre contre les saints Pères et contre saint Augustin cet air méprisant, ou ce qui est encore plus insensé, de les traiter de novateurs. Voilà où je réduis la difficulté, et c'est sur quoi M. Simon doit satisfaire le public.

CHAPITRE XVII.

Après avoir loué Maldonat pour déprimer saint Augustin, M. Simon frappe Maldonat lui-même d'un de ses traits les plus malins.

Et pour dire un mot en passant de Maldonat, qu'il semble vouloir élever au-dessus des Pères, ce critique malfaisant lui donne d'ailleurs le plus mauvais caractère qu'il soit possible, lorsqu'en le louant de ne s'être guère attaché à l'autorité des saints docteurs, il ajoute, ce qui seroit à cet interprète le comble de l'absurdité, que souvent il les citoit sans les avoir lus. D'abord donc il le loue comme un homme libre, qui expose franchement sa pensée, « sans considérer le nombre des auteurs qui lui sont contraires'; » et en parlant d'une certaine interprétation, il prononce sans hésiter, « que le docte Maldonat a eu raison de la préférer, sans avoir égard à l'autorité des Pères, » ce qui est d'une manifeste irrévérence. Mais ce qu'il y a de plus malin, c'est qu'il se trouve à la fin que cet interprète, qu'il appelle docte avec raison, si on en juge par M. Simon, ne l'étoit pas tant qu'il le vouloit paroître, puisque selon ce critique, « il n'avoit pas lu dans la source tout ce grand nombre d'écrivains ecclésiastiques qu'il cite; mais qu'il avoit profité, comme il arrive ordinairement, du travail de ceux qui l'ont précédé. Aussi n'est-il pas si exact que s'il avoit mis lui-même la dernière main à son Commentaire 3. » En quoi il veut noter en passant, non-seulement Maldonat qu'il accuse de n'avoir pas consulté les originaux, mais encore ceux qui sont chargés de coter à la marge les endroits des Pères qu'il avoit nommés en général; et sans ici approfondir ce fait inutile, je le rapporte seulement afin qu'on remarque les manières de M. Simon, qui en faisant mépriser les Pères à un interprète, lui donne en même temps le mauvais air de les citer avec plus d'ostentation que de vérité, puisque

1 P. 624 et suiv. - 2 P. 247. - 3 P. 618

c'étoit sans les lire; ce qui montre que les auteurs, du moins catholiques, qu'il semble le plus louer, sont loués malignement dans le dessein de faire servir leur sentiment à son dessein, qui étoit ici d'affoiblir l'autorité des saints Pères, et notamment celle de saint Augustin.

CHAPITRE XVIII.

Suite du mépris de l'auteur pour saint Augustin: caractère de ce Père peu connu des critiques modernes : exhortation à la lecture des Pères.

α

On ne peut donc avoir que du mépris pour la critique passionnée et malicieuse de M. Simon, que sa présomption aveugle partout; et surtout il fait pitié à l'endroit où, après avoir parlé de ces « beaux principes de théologie 1» de saint Augustin, à qui pourtant, comme on a vu, il ne manque rien selon notre auteur, que d'être bien appuyés sur l'Ecriture, il continue en cette sorte : « Il y a néanmoins, dit-il, quelques endroits qu'il explique très-bien à la lettre, mais il faut beaucoup lire pour cela. » Mais au contraire, s'il est vrai, comme il est certain, que « ces principes de théologie » sont le pur esprit de la lettre de saint Jean, saint Augustin qui ne les quitte jamais, sera ordinairement très-littéral. L'auteur poursuit: « Il est même quelquefois critique, descendant jusqu'aux plus petites minuties de grammaire, d'où il prend occasion de faire des réflexions judicieuses 2. » Il semble que las de censurer toujours un si grand homme, il se laisse enfin arracher quelque petite louange. Il n'y en a point de plus mince que celle de faire « quelques réflexions judicieuses sur la grammaire; » mais il se trouve pourtant que celle que marque l'auteur ne paroît que pour être aussitôt après réfutée comme trop subtile, et venant de l'ignorance d'un hébraïsme. En un mot, il ne loue jamais que pour introduire un blâme, et il conclut enfin sa critique par ces paroles : « Au reste, il y a un je ne sais quoi qui plaît d'abord dans les manières de saint Augustin et qui fait goûter ses fréquentes digressions ses pointes et ses antithèses ne sont point désagréables, parce qu'il les accompagne de temps en temps de

1 P. 250.- P. 250 et 251. — 3 P. 251.

TOM. IV.

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belles leçons sur la théologie; néanmoins ses lieux communs sont quelquefois ennuyeux '. »

On voit qu'il n'y a louange, pour petite qu'elle soit, qui n'ait coûté à notre censeur et qu'il ne se soit arrachée lui-même par une espèce de violence, pour satisfaire à la coutume de louer les Pères. Il n'y a pas jusqu'à ces « belles leçons de théologie,» toutes foibles qu'elles sont selon notre auteur, puisqu'elles sont si éloignées du sens littéral, qui ne soient contrebalancées par ce petit mot, « qu'elles reviennent de temps en temps » et de loin en loin, et encore pour empêcher que « les pointes et les antithèses » de saint Augustin « ne soient désagréables. » Vous diriez qu'il est tout hérissé de pointes, d'antithèses, de subtilités qui ne vont à rien, tout rempli de digressions et d'allégories. C'est l'idée que prendront de saint Augustin les jeunes étudians qui ne le liront que dans M. Simon, ou peut-être par-ci par-là dans l'original, pour faire quelques argumens. Telle est l'idée qu'on donne d'un Père, lorsque, sans prendre son vrai caractère, on affecte de n'en remarquer que les endroits moins exacts. Mais il importe de faire entendre que saint Augustin en lui-même est toute autre chose. Il a des digressions, mais comme tous les autres Pères, quand il est permis d'en avoir, dans les discours populaires, jamais dans les traités où il faut serrer le discours, ni contre les hérétiques. Il a des allégories comme tous les Pères, selon le goût de son siècle, qu'on a peut-être poussé trop avant, mais qui dans le fond étoit venu des apôtres et de leurs disciples. Les pointes, les antithèses, les rimes mêmes, qui étoient encore du goût de son temps, sont venues tard dans ses discours. Erasme, qui sans doute ne le flatte guère, cite les premiers écrits de saint Augustin comme des modèles, et remarque qu'il a depuis affoibli son style, pour s'accommoder à la coutume et suivre le goût de ceux à qui il vouloit profiter. Mais après tout, que ces minuties sont peu dignes d'être relevées! Un savant homme de nos jours dit souvent qu'en lisant saint Augustin, on n'a pas le temps de s'appliquer aux paroles, tant on est saisi par la grandeur, par la suite, par la profondeur des pensées. En effet le fond de saint Augustin c'est d'être nourri

1 P. 251.

de l'Ecriture, d'en tirer l'esprit, d'en prendre, comme on a vu, les plus hauts principes, de les manier en maître et avec la diversité convenable. Après cela qu'il ait ses défauts, comme le soleil a ses taches, je ne daignerois ni les avouer, ni les nier, ni les excuser ou les défendre. Tout ce que je sais certainement, c'est que quiconque saura pénétrer sa théologie aussi solide que sublime, gagné par le fond des choses et par l'impression de la vérité, n'aura que du mépris ou de la pitié pour les critiques de nos jours, qui sans goût et sans sentiment pour les grandes choses ou prévenus de mauvais principes, semblent vouloir se faire honneur de mépriser saint Augustin qu'ils n'entendent pas.

C'est ce que j'ai voulu dire à M. Simon, afin qu'il cesse de parler si indignement de saint Augustin et des Pères; et je veux bien encore avertir un sage lecteur qu'il ne faut pas se laisser séduire à l'esprit moqueur et mordant de ce critique. Il est bien aisé de ravilir les Pères, quand on n'en montre que ce qu'on veut, et que pour le reste, à la faveur de quelque critique, on s'érige en juge, qui décide de ce qu'il lui plaît, sans en dire le plus souvent aucune raison. Qui pourroit souffrir un auteur qui prononce à toutes les pages, en parlant des Pères : « Il est plus exact, il est moins exact, il est plus judicieux, il l'est moins? >> Parle-t-on ainsi des saints docteurs, et se donne-t-on avec eux cet air d'autorité dédaigneuse, lorsqu'on les reconnoît pour ses maîtres? Aussi n'est-ce pas l'esprit de M. Simon; mais ses erreurs seront connues de tous comme celles de ces novateurs dont parle saint Paul 1; et encore que je ne puisse entrer dans le fond de tant de matières critiques et autres qu'il a traitées, on apprendra du moins par ce discours à mépriser le jugement qu'il fait des saints Pères; ce que j'ai principalement entrepris, comme un vieux docteur et un vieux évêque, quoique indigne de ce nom, en faveur des jeunes théologiens, de peur que, séduits par une critique médisante, ils ne mettent leur espérance, pour l'intelligence des saints Livres, dans les écrits des ennemis de l'Eglise.

Quiconque donc veut devenir un habile théologien et un solide interprète, qu'il lise et relise les Pères. S'il trouve dans les mo

1 II Tim., III, 9.

dernes quelquefois plus de minuties, il trouvera très-souvent dans un seul livre des Pères plus de principes, plus de cette première séve du christianisme, que dans beaucoup de volumes des interprètes nouveaux, et la substance qu'il y sucera des anciennes traditions le récompensera très-abondamment de tout le temps qu'il aura donné à cette lecture. Que s'il s'ennuie de trouver des choses qui, pour être moins accommodées à nos coutumes et aux erreurs que nous connoissons, peuvent paroître inutiles, qu'il se souvienne que dans le temps des Pères elles ont eu leur effet, et qu'elles produisent encore un fruit infini dans ceux qui les étudient, parce qu'après tout ces grands hommes sont nourris de ce froment des élus, de cette pure substance de la religion; et que pleins de cet esprit primitif, qu'ils ont reçu de plus près et avec plus d'abondance de la source même, souvent ce qui leur échappe et qui sort naturellement de leur plénitude est plus nourrissant que ce qui a été médité depuis. C'est ce que nos critiques ne sentent pas; et c'est pourquoi leurs écrits, formés ordinairement dans les libertés des novateurs et nourris de leurs pensées, ne tendent qu'à affoiblir la religion, à flatter les erreurs et à produire des disputes.

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