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l'Epitre aux Romains; mais elle est en même temps de tous les anciens commentateurs.» Voilà un acharnement qui n'a point d'exemple, à adjuger à un hérésiarque la possession de l'antiquité. Ailleurs « Toute l'antiquité, dit-il, sembloit parler en leur faveur, » (de Pélage et de ses disciples dont il s'agit en cet endroit). Ce n'est pas tout : « On trouve, continue-t-il, dans les deux livres de saint Augustin sur la Grace de Jésus-Christ et sur le Péché originel, plusieurs extraits des ouvrages de Pélage, dont le langage paroît peu éloigné de celui des Pères grecs 1; » et il ajoute qu'encore que ces expressions pussent avoir un bon sens, elles ont été condamnées par saint Augustin. » Il insinue qu'il n'y avoit qu'à s'entendre, et que la dispute étoit presque toute dans les mots. C'est pourquoi il ajoute encore: «Si saint Augustin s'étoit contenté de prouver par l'Ecriture qu'outre ces graces extérieures, il faut nécessairement en admettre d'intérieures, il auroit ruiné l'hérésie des pélagiens sans s'éloigner de la plupart de leurs expressions, qu'il eût été peut-être meilleur de conserver, parce qu'elles sont conformes à toute la théologie. » Voilà une belle idée pour détruire une hérésie. Il n'y a qu'à parler comme elle et conserver la plupart de ses expressions. C'est le conseil que M. Simon auroit donné à saint Augustin, s'il avoit vécu de son temps. Il venoit pourtant de nous dire, « qu'on a dû rejeter ces expressions des pélagiens, quoiqu'ils eussent pu s'en servir 2. » Nous démêlerons ailleurs ce nouveau mystère que M. Simon a trouvé pour et contre l'hérésie pélagienne. On en voit assez pour entendre qu'il donne, autant qu'il peut, à cette hérésie un air d'antiquité et de bonne foi; et à saint Augustin, qui défendoit la cause de l'Eglise, un air d'innovation, de contention sur les mots, et de chicane.

Il tâche par tous moyens de donner de l'autorité au Commentaire de Pélage sur les Epitres de saint Paul; et pour inviter à le lire: « Je crois, dit-il, que Pélage l'avoit composé avant que d'être déclaré novateur 3. » Vous diriez que ces nouveautés n'y sont pas. On sait cependant que tout en est plein, et M. Simon trouve ce moyen de les insinuer plus doucement. C'est donc un aveuglement manifeste à ce critique d'avoir tant loué Hilaire, même en le pré1 P. 292. P. 298.3 P. 238.

supposant si favorable à Pélage : c'en est encore un plus grand de témoigner tant d'estime pour Pélage même; mais le comble de l'erreur est de les louer l'un et l'autre comme défenseurs de la tradition au préjudice de saint Augustin.

CHAPITRE VIII.

Que s'opposer à saint Augustin sur la matière de la grace, comme fait M. Simon, c'est s'opposer à l'Eglise, et que le P. Garnier démontre bien cette vérité.

M. Simon est tombé dans ces égaremens, faute d'avoir considéré que s'attaquer sur cette matière à saint Augustin, c'est s'attaquer directement à l'Eglise même.

C'est ce qu'un savant jésuite de nos jours auroit appris à M. Simon, s'il avoit voulu l'écouter, lorsque en parlant des grands hommes qui ont écrit contre les pélagiens, il commence par le plus âgé, qui est saint Jérôme. « Il leur a, dit-il, fait la guerre comme font les vieux capitaines, qui combattent par leur réputation plutôt que par leur main; mais, poursuit le P. Garnier, ce fut saint Augustin qui soutint tout le combat ; et le pape Hormisdas a parlé de lui avec autant de vénération que de prudence, lorsqu'il a dit ces paroles: «On peut savoir ce qu'enseigne l'Eglise romaine, c'est-à-dire l'Eglise catholique, sur le libre arbitre et la grace de Dieu dans les divers ouvrages de saint Augustin, principalement dans ceux qu'il a adressés à Prosper et à Hilaire 1. » Ces livres, où les ennemis de saint Augustin trouvent le plus à reprendre, sont ceux qui sont déclarés les plus corrects par ce grand pape: d'où cet habile jésuite conclut, «qu'à la vérité on peut apprendre certainement de ce seul Père ce que la colonne de la vérité, ce que la bouche du Saint-Esprit enseigne sur cette matière; mais qu'il faut choisir ses ouvrages, et s'attacher aux derniers plus qu'à tous les autres; et encore que la première partie de la sentence de ce pape emporte une recommandation de la doctrine de saint Augustin, qui ne pouvoit être ni plus courte, ni plus pleine, la seconde contient un avis entièrement nécessaire, puisqu'elle marque les endroits de ce saint docteur où il se faut le plus appli1 Garnier, tom. I, dissert. vi in Mercat., cap. II init., p. 342. ́

quer pour ne s'éloigner pas d'un si grand maître, ni de la règle du sentiment catholique. » Voilà dans un savant professeur du collége des Jésuites de Paris, un sentiment sur saint Augustin bien plus digne d'être écouté de M. Simon que celui de Grotius. Mais pour ne rien oublier, ce docte jésuite ajoute « qu'encore que saint Augustin soit parvenu à une si parfaite intelligence des mystères de la grace, que personne ne l'a peut-être égalé depuis les apôtres, il n'est pourtant pas arrivé d'abord à cette perfection, mais il a surmonté peu à peu les difficultés, selon que la divine lumière se répandoit dans son esprit. C'est pourquoi, continue ce savant auteur, saint Augustin a prescrit lui-même à ceux qui liroient ses écrits, de profiter avec lui et de faire les mêmes pas qu'il a faits dans la recherche de la vérité; et quand je me suis appliqué à approfondir les questions de la grace, j'ai fait un examen exact des livres de ce Père et du temps où ils ont été composés, afin de suivre pas à pas le guide que l'Eglise m'a donné, et de tirer la connoissance de la vérité de la source très-pure qu'elle me montroit. >>

CHAPITRE IX.

Que dés le commencement de l'hérésie de Pélage, toute l'Eglise tourna les yeux vers saint Augustin, qui fut chargé de dénoncer aux nouveaux hérétiques dans un sermon à Carthage leur future condamnation; et que loin de rien innover, comme l'en accuse l'auteur, la foi ancienne fut le fondement qu'il posa d'abord.

Voilà comment parleront toujours ceux qui auront lu avec soin les livres de saint Augustin, et qui sentiront l'autorité que l'Eglise leur a donnée. En effet dès que Pélage parut, les particuliers, les évêques, les conciles, les papes et tout le monde en un mot, tant en Orient qu'en Occident, tournèrent les yeux vers ce Père, comme vers celui qu'on chargeoit par un suffrage commun de la cause de l'Eglise. On le consultoit de tous côtés sur cette hérésie, dont il découvrit d'abord tout le venin, pendant même qu'elle le cachoit sous une apparence trompeuse, et par des termes enveloppés. Il l'attaqua premièrement par ses sermons, et ensuite par quelques livres, avant qu'elle fût expressément condamnée.

TOM. IV.

12

Avant que, l'erreur croissant, on fût obligé d'en venir à une expresse définition, il fit à Carthage par ordre d'Aurèle, évêque de cette ville et primat de toute l'Afrique, le sermon dont nous avons déjà parlé, où il prépara le peuple à l'anathème qui devoit partir. Pour cela, après avoir exposé dans les termes que nous avons rapportés ailleurs, la pratique universelle de l'Eglise, il lut en chaire une lettre de saint Cyprien; et opposant aux nouveaux hérétiques l'ancienne tradition expliquée par ce saint martyr, ancien évêque de l'église où il prêchoit, il déclara sur ce fondement aux pélagiens, comme de la part de toute l'Eglise d'Afrique, qu'on ne les souffriroit pas encore longtemps. «Nous faisons, ditil, ce que nous pouvons pour les attirer par la douceur; et encore que nous puissions les appeler hérétiques, nous ne le faisons pas encore; mais s'ils ne reviennent, nous ne pourrons plus supporter leur impiété. » On voit par là, non-seulement la modération de l'Eglise catholique, mais encore son attachement à l'ancienne doctrine des Pères, et que saint Augustin fut choisi pour poser d'abord ce fondement. Depuis ce temps loin d'avoir donné, comme on ose l'en accuser, dans des opinions particulières, il a toujours fait profession de joindre à l'Ecriture sainte les sentimens des

anciens.

C'est par là que l'on procéda contre les pélagiens dans les conciles d'Afrique reçus unanimement par toute l'Eglise; et tout le monde est d'accord avec saint Prosper que si Aurèle comme primat en étoit le chef, saint Augustin en étoit l'ame et le génie : Dux Aurelius ingeniumque Augustinus erat. Il n'en faudroit pas davantage pour montrer que saint Augustin ne pouvoit pas être regardé comme un novateur; mais cela demeurera plus clair que le jour par les remarques suivantes.

CHAPITRE X.

Dix évidentes démonstrations que saint Augustin, loin de passer de son temps pour novateur, fut regardé par toute l'Eglise comme le défenseur de l'ancienne et véritable doctrine. Les neuf premières démonstrations.

La première est dans ce qu'on vient de voir, que saint Augustin

étoit l'ame des conciles d'Afrique, ce qui ne peut convenir qu'à un défenseur de la tradition.

La seconde, que les écrits de ce Père sur cette matière furent jugés si solides et si nécessaires, qu'on lui ordonna de les continuer. On sait l'ordre qu'il en reçut de deux conciles d'Afrique et le soin qu'il eut de leur obéir.

Troisièmement ses écrits furent tellement regardés comme la défense la plus invincible de l'Eglise, que saint Jérôme lui-même, un si grand docteur et le plus célèbre en érudition de tout l'univers, dès qu'il eut vu les premiers ouvrages de ce saint évêque sur cette matière, touché, comme le remarque saint Prosper1, de la sainteté et de la sublimité de sa doctrine, déclara qu'il cessoit d'écrire et lui renvoya toute la cause.

En quatrième lieu saint Augustin s'acquitta si bien et si fort au gré de saint Jérôme, du travail que toute l'Eglise lui avoit comme remis entre les mains, que ce grand homme ne se réserva pour ainsi dire autre chose que d'applaudir à saint Augustin. Les petites altercations qu'ils avoient eues sur quelques difficultés de l'Ecriture cédèrent bientôt à la charité et au besoin de l'Eglise : et saint Jérôme écrivit à saint Augustin, que l'ayant toujours aimé, maintenant que la défense de la vérité contre l'hérésie de Pélage le lui avoit rendu encore plus cher, « il ne pouvoit passer une heure sans parler de lui. » Il lui annonçoit en même temps de l'extrémité de l'Orient, que « les catholiques le respectoient comme le fondateur de l'ancienne foi en nos jours » Antiquæ rursùs fidei conditorem; et il mettoit sa louange en ce qu'il étoit, non l'auteur d'une nouvelle doctrine, mais le défenseur de l'antiquité.

En cinquième lieu c'étoit une coutume établie comme une espèce de règle, que personne n'écrivoit contre les pélagiens qu'avec l'approbation de saint Augustin; ce qui paroit par les deux lettres de ce Père à Sixte, prêtre de l'Eglise romaine et depuis pape, et par celle du même Père à Mercator, qui attendoit son consentement pour publier ses ouvrages contre ces hérétiques 3.

1 Dial. III, sub fin. -2 Epist. LXXX.- - 3 Epist. CXCI, CXCIV; al. CIV, cv; Epist. CXCIII, nov. edit.

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