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novations de saint Augustin, qui est l'affoiblissement du libre arbitre, est précisément celle où le concile de Trente a choisi les termes de ce saint pour affermir l'ancienne et saine doctrine, ce que la suite fera paroître plus amplement.

CHAPITRE XX.

L'autorité de saint Augustin et de saint Prosper son disciple, entièrement établie autorité de saint Fulgence, combien révérée; ce Père regardé comme un second Augustin.

Après le concile d'Orange, les adversaires de la doctrine de saint Augustin, qui depuis la décrétale de saint Célestin murmuroient encore sourdement, se turent. Saint Prosper qui l'avoit si bien défendu eut part à sa gloire : tout l'univers apprit à révérer avec lui « l'autorité sainte et apostolique » d'un si grand docteur', et à recevoir agréablement avec Hilaire « tout ce qui se trouveroit décidé par une autorité aussi chère et aussi vénérable que la sienne. » On acquéroit de l'autorité en défendant sa doctrine. De là viennent ces paroles de saint Fulgence évêque de Ruspe, dans le livre où il explique si bien la doctrine de la prédestination et de la grace: « J'ai inséré, disoit-il, dans cet écrit quelques passages des livres de saint Augustin et des réponses de Prosper, afin que vous entendiez ce qu'il faut penser de la prédestination des saints et des méchans, et qu'il paroisse tout ensemble que mes sentimens sont les mêmes que ceux de saint Augustin 3. »

Ainsi les disciples de saint Augustin étoient les maîtres du monde. C'est pour l'avoir si bien défendu, que saint Prosper est mis en ce rang par saint Fulgence: mais pour la même raison saint Fulgence reçoit bientôt le même honneur; car c'est pour s'être attaché à saint Augustin et à saint Prosper qu'il a été si célèbre parmi les prédicateurs de la grace: ses réponses étoient respectées. Quand il revint de l'exil qu'il avoit souffert pour la foi de la Trinité, « toute l'Afrique crut voir en lui un autre Augustin, et chaque église le recevoit comme son propre pasteur. »

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1 Epist. Prosper. ad August. cap. XXX, — ♦ Vid. Vit. Fulgent.

2 Epist. Hil.

3 Lib. De prædest. ad Monim.,

Personne ne contestera qu'on n'honorât en lui son attachement à suivre saint Augustin, principalement sur la matière de la grace. Il le disoit ouvertement dans le livre de la Vérité de la Prédestination'; et il déclaroit en même temps que ce qui l'attachoit à ce Père, c'est que lui-même il avoit suivi les Pères ses prédécesseurs: « Cette doctrine, dit-il, est celle que les saints Pères grecs et latins ont toujours tenue par l'infusion du Saint-Esprit avec un consentement unanime, et c'est pour la soutenir que saint Augustin a travaillé plus qu'eux tous. » Ainsi on ne connoissoit alors ni ces prétendues innovations de saint Augustin, ni ces guerres imaginaires entre les Grecs et les Latins, que Grotius et ses sectateurs tâchent d'introduire à la honte du christianisme: on croyoit que saint Augustin avoit tout concilié, et tout l'honneur qu'on lui faisoit, c'étoit « d'avoir travaillé plus que tous les autres,» parce que la Providence l'avoit fait naître dans un temps où l'Eglise avoit plus besoin de son travail.

CHAPITRE XXI.

Tradition constante de tout l'Occident en faveur de l'autorité et de la doctrine de saint Augustin. L'Afrique, l'Espagne, les Gaules, saint Césaire en particulier, l'Eglise de Lyon, les autres docteurs de l'Eglise gallicane, l'Allemagne, Haimon et Rupert, l'Angleterre et le vénérable Bède, l'Italie et Rome.

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Tout l'Occident pensoit de même. On a vu le témoignage de l'Afrique. En Espagne, saint Isidore de Séville, que les conciles de Tolède célèbrent comme le plus excellent docteur de son siècle, se déclaroit le disciple de saint Augustin et le défenseur de saint Fulgence saint Ildefonse de Tolède dans un sermon, «< cite saint Augustin comme celui qu'il n'est pas permis de contredire. » Dans les Gaules, où les écrivains ecclésiastiques paroissent en foule dans le septième, dans le huitième, dans le neuvième, dans le dixième et le onzième siècle, il eut autant de disciples qu'il y avoit de docteurs; saint Prosper est à la tête, et après lui saint Césaire d'Arles. Il n'avoit pas seulement de l'attachement, mais encore de 1 Lib. II, cap. xxvIII. 2 Serm. II De B. Virg.

la dévotion pour saint Augustin; et nous voyons dans sa Vie écrite par un de ses disciples, que dans sa dernière maladie, il se réjouissoit de voir approcher la fête de saint Augustin, parce que « comme j'ai aimé autant que vous le savez, disoit-il à ses disciples qui l'environnoient, ses sentimens très-catholiques, autant j'espère que, tout inférieur que je suis à ses mérites, ma mort ne sera pas éloignée de la sienne1. » Il mourut la veille, et on voit que sa dévotion étoit attachée, comme il convenoit à la gravité d'un si grand évêque, à la vérité de la doctrine de saint Augustin, qu'il avoit, comme on a vu, si bien défendue dans le concile d'Orange.

Par les soins de ce saint évêque les provinces gallicanes, où saint Augustin avoit eu tant d'adversaires, furent celles où il eut ensuite le plus de disciples. Saint Amolon de Lyon reconnoît saint Augustin pour le principal docteur de la prédestination et de la grace, après saint Paul2: saint Remi de Lyon et son Eglise parlent de l'autorité de saint Augustin sur la grace « comme de celle qui est vénérée et reçue de toute l'Eglise 3. »

Loup Servat prêtre de Mayence au neuvième siècle, dans la seconde question de la prédestination, appelle le livre du Bien de la Persévérance, « un livre très-exact*. » C'est celui où les critiques modernes trouvent les plus grands excès. Nous avons vu les autres auteurs dans la querelle du neuvième siècle. Au même siècle Remi d'Auxerre met saint Augustin, pour l'intelligence de l'Ecriture, au-dessus de tous les autres docteurs. Nous avons parlé de saint Bernard. Dans le même siècle Pierre le Vénérable, abbé de Clugni, appelle saint Augustin le maître de l'Eglise après saint Paul. Nous nommerons pour l'Allemagne Haimon d'Halberstadt du neuvième siècle, qui met sans hésiter saint Augustin << au-dessus de tous les docteurs, pour éclaircir les questions sur l'Ecriture. » L'abbé Rupert appelle ce Père la colonne de la vérité, et il en suit les explications sur la matière de la grace. On nomme toute l'Angleterre en la personne du vénérable Bède, qui est son historien et son second docteur après saint Grégoire. Saint An

Vita Cæs., ap. Suid., ad 27 August., cap. XXII. Frag., Epist. ad Hincm. Remig., De fin. Script., auct. II. — Quest. II, n. 32. -5 In Epist. II ad Cor. Lib. I Epist.

selme, archevêque de Cantorbéry, déclare qu'il suit en tout les saints Pères, « principalement saint Augustin. »>

En Italie nous avons au sixième siècle le docte Cassiodore, qui dans la matière de la grace regarde saint Augustin comme le docteur de toute l'Eglise; car on ne veut pas ici nommer les papes saint Célestin, saint Boniface, saint Sixte, saint Léon, saint Gélase, saint Horsmisdas, saint Grégoire et tant d'autres qu'on pourroit citer, parce que leur autorité ne regarde pas plus l'Italie que toute l'Eglise.

CHAPITRE XXII.

Si aprés tous ces témoignages il est permis de ranger saint Augustin parmi les novateurs que c'est presque autant que le ranger au nombre des hérétiques, ce qui faisoit horreur à Facundus et à toute l'Eglise.

On a beau dire que d'autres saints ont aussi reçu de grands éloges. On n'a point vu un si grand concours, ni des marques si éclatantes de préférence, ni une plus expresse approbation, je ne dis pas de la doctrine en général, mais d'une certaine doctrine et de certains livres. Enfin, disoit Facundus évêque d'Afrique du sixième siècle : « Ceux qui oseront appeler saint Augustin hérétique ou le condamner avec présomption, apprendront quelle est la piété et la constance de l'Eglise latine que Dieu a éclairée par ses instructions, et ils seront frappés de ses anathèmes. »

On dira qu'il ne s'agit pas de le traiter d'hérétique : mais c'est en approcher bien près, de l'accuser d'innovation dans des points de doctrine si importans, de lui faire son procès, comme on a vu, par les règles de Vincent de Lérins, de lui reprocher d'avoir affoibli la doctrine du libre arbitre et de favoriser Luther et Calvin; et pour n'avoir pas osé l'appeler hérétique, on ne laisse pas d'être coupable d'un grand attentat, de mettre au rang des novateurs celui que toute l'Eglise d'Occident a reconnu comme son maître.

Il ne s'agit pas d'examiner jusqu'où l'on est obligé par toutes ces autorités, à pousser l'approbation de ses sentimens. Je me suis déjà expliqué que tout ce que je prétends ici, c'est seulement (pour ne rien outrer) que le corps de la doctrine de saint Augustin, surtout dans ses derniers ouvrages pour qui tous les siècles

suivans se sont le plus déclarés, est au-dessus de toute atteinte, et que ce seroit accuser toute l'Eglise catholique de se démentir ellemême, que de persister davantage à trouver des innovations dans ces livres.

CHAPITRE XXIII.

Témoignage des Ordres religieux, de celui de Saint-Benoit, de celui de SaintDominique et de Saint-Thomas, de celui de Saint-François et de Scot. Saint Thomas, recommandé par les papes pour avoir suivi saint Augustin : concours de toute l'Ecole : le Maitre des Sentences.

Il ne seroit pas inutile d'alléguer ici en particulier les témoignages de l'Ordre de Saint-Benoît, puisque durant huit ou neuf siècles il a comme présidé à la doctrine, et rempli les plus grands siéges de l'Eglise. Mais cette preuve est déjà faite, dès qu'on a rapporté le sentiment de ce grand Ordre, tant dans sa tige, comme on l'a vu par Bède et les autres, que dans ses branches et dans ses réformes, comme dans celle de Clugni par Pierre le Vénérable, et dans celle de Citeaux par saint Bernard.

L'Ordre de Saint-Dominique n'est pas moins affectionné à saint Augustin, puisque saint Thomas qui est le docteur de cet ordre, à vrai dire, n'est autre chose dans le fond, et surtout dans les matières de la prédestination et de la grace, que saint Augustin réduit à la méthode de l'Ecole. C'est même pour avoir été le disciple de saint Augustin qu'il s'est acquis dans l'Eglise un si grand nom, comme le pape Urbain V l'a déclaré dans la bulle de la translation de ce saint, où il met sa grande louange en ce que « suivant les vestiges de saint Augustin, il a éclairé par sa doctrine l'ordre des frères Prêcheurs et l'Eglise universelle. »

L'Ecole de Scot et l'Ordre de Saint-François n'a pas un autre sentiment. Nous trouvons, dans l'Histoire générale de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin, une célèbre dispute sur le sujet d'un serment par lequel on prétendoit obliger l'université de Salamanque à suivre conjointement les sentimens de saint Augustin et de saint Thomas, qu'on croyoit les mêmes 1. Les franciscains dirent alors que c'étoit faire injure à saint Augustin que d'exiger ce 1 Petr. del Campo, lib. III, cap. III.

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