Images de page
PDF
ePub

papes ont prononcé que c'étoit ses adversaires qui l'étoient, et que c'étoit lui qui étoit le défenseur de l'antiquité.

CHAPITRE IX.

Témoignage que saint Augustin a rendu à la vérité avant la dispute. Ignorance de Grotius et de ceux qui accusent ce Père de n'avoir produit ses derniers sentimens que dans la chaleur de la dispute.

On ne peut donc affoiblir par aucun endroit le témoignage que saint Augustin a rendu à la vérité durant la dispute. Mais si pour le rendre plus incontestable, on veut encore qu'il ait prévenu toutes les contestations, cet avantage ne manquera pas à ce docte Père. C'est une ignorance à Grotius et à tous ceux qui accusent saint Augustin de n'avoir avancé, que dans la chaleur de la dispute, ces sentimens qu'ils accusent de nouveauté. Car il n'y a rien de si constant que ce qu'il a remarqué lui-même, en parlant de ses livres à Simplicien, successeur de saint Ambroise dans l'évêché de Milan, qu'encore qu'il les ait écrits au commencement de son épiscopat, quinze ans avant qu'il y eût des pélagiens au monde, il y avoit enseigne pleinement et sans avoir rien depuis à y ajouter dans le fond, la même doctrine de la grace qu'il soutenoit durant la dispute et dans ses derniers écrits.

C'est ce qu'il écrit dans le Livre de la Prédestination et dans celui du Bien de la Persévérance1, où il montre la même chose du livre de ses Confessions, « qu'il a publié, dit-il, avant la naissance de l'hérésie pélagienne; » et toutefois, poursuit-il, on y trouvera une pleine reconnoissance de toute la doctrine de la grace, dans ces paroles que Pélage ne pouvoit souffrir: Da quod jubes, et jube quod vis: « Donnez-moi vous-même ce que vous me commandez, et commandez-moi ce qui vous plaît 3. » Ce n'étoit pas la dispute, mais la seule piété et la seule foi qui lui avoit inspiré cette prière : il la faisoit, il la répétoit, il l'inculquoit dans ses Confessions, comme on vient de voir par lui-même, avant que Pélage eût paru; et il avoit si bien expliqué dans ce même

1 Lib. De prædest. SS., cap. IV; De don. persev., cap. xx, XXI. 2 De don. persev., cap. xx, n. 53. 3 Lib. X, cap. XXIX, XXXI, XXXVII.

livre tout ce qui étoit nécessaire pour entendre la gratuité de la grace, la prédestination des saints, le don de la persévérance en particulier, que lui-même il a reconnu dans le même lieu qu'on vient de citer, qu'il ne lui restoit qu'à défendre avec plus de netteté et d'étendue, copiosiùs et enucleatiùs1, ce qu'il en avoit enseigné dès lors.

On voit par là combien Grotius impose à ce Père, lorsqu'il lui fait changer ses sentimens sur la grace, « depuis qu'il a été aux mains avec les pélagiens, et que l'ardeur de cette dispute l'eut emporté à certains excès. » Il en est démenti par un fait constant et par la seule lecture des ouvrages de saint Augustin; et l'on voit par le progrès de ses connoissances que, s'il a changé, il n'en faut point chercher d'autre raison que celle qu'il a marquée, qui est que d'abord « il n'avoit pas bien examiné la matière : » nondum diligentiùs quæsiveram; et il le faut d'autant plus croire sur sa propre disposition, qu'il y a été depuis attentif, et qu'il tient toujours constamment le même langage.

CHAPITRE X.

Quatre états de saint Augustin. Le premier incontinent après sa conversion et avant tout examen de la question de la grace: pureté de ses sentimens dans ce premier état: passages du livre de l'Ordre, de celui des Soliloques, et avant tout cela du livre contre les Académiciens.

Au lieu donc de lui attribuer un changement sans raison par la seule ardeur de la dispute, il faut distinguer comme quatre états de ce grand homme le premier, au commencement de sa conversion, lorsque sans avoir examiné la matière de la grace, il en disoit naturellement ce qu'il en avoit appris dans l'Eglise, et dans cet état il étoit exempt de toute erreur. La preuve en est constante dans les ouvrages qui suivirent immédiatement sa conversion. Un des premiers est celui de l'Ordre, où nous trouvons ces paroles : « Prions, non pour obtenir que les richesses, ou les honneurs, ou les autres choses de cette nature, incertaines et pas

1 De Don. persev., cap. XX. 2 Retract., lib. I, cap. xxxш; De prædest. SS., cap. 11, n. 7.

sagères, nous arrivent, mais afin que nous ayons celles qui nous peuvent rendre bons et heureux'; » où il reconnoît clairement que tout ce qui nous fait bons est un don de Dieu, et par conséquent la foi même et les bonnes œuvres, sans distinguer les premières d'avec les suivantes, ni le commencement d'avec la fin; mais comprenant au contraire dans sa prière les principes mêmes: ce qu'il confirme clairement, lorsqu'incontinent après i parle ainsi à sainte Monique sa mère : « Afin que ces vœux soient accomplis, nous vous chargeons, ma mère, de nous en obtenir l'effet, puisque je crois et assure très-certainement que Dieu m'a donné par vos prières le sentiment où je suis de ne rien préférer à la vérité, de ne rien vouloir, de ne rien penser, de ne rien aimer autre chose 2. » On ne pouvoit pas expliquer plus précisément que le commencement de la piété, dont la foi est le fondement, et tout enfin jusqu'au premier désir et à la première pensée de se convertir, lui venoit de Dieu, puisque c'étoit l'effet des vœux de sa sainte mère; et la suite le fait paroître encore plus évidemment, lorsqu'il continue et conclut ainsi cette prière : « Et je ne cesserai jamais de croire qu'ayant obtenu par les mérites de vos prières le désir d'un si grand bien, ce ne soit encore par vous que j'en obtiendrai la possession 3. » Il ne laisse point à douter que tout l'ouvrage de la piété, qu'il met dans l'amour et dans la recherche de la vérité, depuis le commencement jusqu'à la perfection, ne soit un don de la grace, puisqu'il reconnoît que c'est le fruit des prières, et non point des siennes, mais de celles d'une bonne mère, qui ne cessoit de gémir devant Dieu.

Ceux qui se souviennent combien de fois saint Augustin a fondé la nécessité, la prévention et l'efficace de la grace sur les prières, de la nature de celles qu'on vient d'entendre, et qu'on fait nonseulement pour sa conversion, mais encore pour celle des autres, en sorte que le désir et la pensée même de se convertir, qui est la première chose par où l'on commence, en soit l'effet, ne douteront pas que ce Père n'ait senti dès lors tout ce qui est dû à la grace, puisqu'il a si parfaitement compris ce qui est dû à la prière. Mais de peur qu'on ne croie que la prière, par où l'on obtient les 1 Lib. II, cap. xx, n. 52. - 2 Ibid. 3 Ibid.

autres dons, ne nous vienne de nous-mêmes, le même saint Augustin dans ses Soliloques, c'est-à-dire dès les premiers jours de sa conversion, l'attribue à Dieu par ces paroles : « O Dieu, Créateur de l'univers, accordez-moi premièrement que je vous prie bien, ensuite que je me rende digne d'être exaucé, et enfin que vous me rendiez tout à fait libre : » Præsta mihi primùm ut bene te rogem deinde ut me agam dignum quem exaudias postremo ut liberes1. Pour peu qu'on soit accoutumé au langage de saint Augustin, qui en ce point est celui de toute l'Eglise, on entendra aisément que par ces paroles : « Accordez-moi que je vous prie bien, que je me rende digne d'être exaucé, que je sois libre, » c'est l'effet et non pas un simple pouvoir qu'on demande à Dieu, et que la grace que l'on réclame, est celle qui tourne les cœurs où ils se doivent tourner. Saint Augustin sentoit donc déjà ce grand secret, qu'il a depuis si bien expliqué contre les pélagiens, que la prière, par laquelle on nous donne tout, est elle-même donnée, et qu'il ne répugne point à la grace qu'on croie pouvoir s'en rendre digne, pourvu qu'on croie auparavant que c'est elle qui nous rend digne d'elle-même.

Quand il demandoit à Dieu qu'il le délivrât, il sentoit ce qui lui manquoit pour être libre; et reconnoissant dès lors la captivité de la liberté humaine, qu'il a depuis enseignée plus à fond, il ne s'appuyoit que sur la puissance de la grace du Libérateur. Voilà l'esprit qu'on recevoit en entrant dans l'Eglise. On y apprenoit, en priant, la prévention de la grace convertissante. C'est aussi à quoi en revient saint Augustin, lorsqu'il dit que dans le temps même que les Pères moins attentifs à expliquer le mystère de la grace que personne ne combattoit, n'en parloient « qu'en passant, et en peu de mots, »> on en sentoit « la force par la prière 3; » en sorte, comme l'expliquent les Capitules de saint Célestin, « que la loi et la coutume de prier fixoit la créance de l'Eglise, » sur la prévention de la grace. Saint Augustin en est lui-même un exemple, puisque si longtemps avant qu'il eût seulement songé à examiner

1 Solil, lib. I, cap. 1, n. 2. 2 De gest. Pelag., cap. XIV, n. 33 et seq.; lib. II Retract., cap. XXIII, XXVI et alibi pass. 3 De pradest. SS., cap. XIV, n. 7. ↳ Capit. XI.

ces grandes questions de la prédestination et de la grace prévenante, le Saint-Esprit lui en apprenoit la vérité dans la prière; et c'est pourquoi il continuoit à prier ainsi dans ses Soliloques : « Je vous prie, ô Dieu, vous par qui nous surmontons l'ennemi, de qui nous avons reçu de ne point périr à jamais, par qui nous séparons le bien du mal, par qui nous fuyons le mal et nous suivons le bien, par qui nous surmontons les adversités du monde et ne nous attachons point à ses attraits; Dieu enfin qui nous convertissez, qui nous dépouillez de ce qui n'est pas et nous revêtissez de ce qui est, c'est-à-dire de vous-même ', » etc. En vérité, l'onction de Dieu lui apprenoit tout l'oraison étoit sa maîtresse pour lui enseigner le fond de la doctrine de la grace, et s'il ne réfutoit pas encore l'hérésie pélagienne par ses raisons, il la réfutoit par ses prières, pour me servir de l'expression de ce saint docteur'.

3

Et si nous voulions remonter plus haut, nous trouverions dès son premier livre, qui est celui contre les Académiciens et dès les premières lignes, que parlant à Romanien, à qui il adressoit cet ouvrage, après lui avoir représenté toutes nos erreurs, d'où l'on ne sort, disoit-il, que par quelque occasion favorable, «< il ne nous reste autre chose, conclut-il, que de faire à Dieu des vœux pour vous, afin d'obtenir de lui, puisqu'il gouverne toutes choses, qu'il vous rende à vous-même et vous permette de jouir enfin de la liberté à laquelle vous aspirez il y a longtemps; » par où il nous montre que Dieu en est le maître, et à la fin il continue à nous faire voir que c'est toujours dans la prière que l'on goûte une vérité si importante.

CHAPITRE XI.

Passage du livre des Confessions.

Mais pour aller à la source, il faut encore écouter ce saint docteur dans ses Confessions, et lui entendre confesser qu'il devoit sa conversion aux larmes continuelles de sa mère. C'est lui-même qui parlant dans le livre de la Persévérance de cet endroit de ses Confessions, y reconnoît un aveu de la grace prévenante et con

1 Solil., lib. I, cap. 1, n. 3. cap. 1, n. 1.

2 De don. persev., cap. II, n. 3. - 3 Lib. 1,

« PrécédentContinuer »