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s'il les avoit vus dans l'intelligence et dans la pensée de Dieu même1. » Que voudroient dire ces grandes et magnifiques paroles s'il se trouvoit que saint Augustin fùt un novateur dans les dogmes qu'il se seroit le plus attaché à prouver ?

Il est vrai que ce savant homme apporte deux exceptions à son discours l'une, s'il se trouvoit que saint Augustin eût enseigné des choses contraires aux décisions des conciles ou des papes; l'autre, « si tous les Pères ou la partie considérablement la plus grande de ces saints docteurs lui étoient contraires. » Je reçois la condition et j'ajoute seulement avec Suarez, qui l'a donnée le premier, « que cela se trouvera rarement ou point du tout 2. » Il se trouvera si rarement, que ni Suarez, ni le savant P. Deschamps qui l'a imité, n'en ont marqué aucun exemple; en sorte que de bonne foi il faut réduire ce rarement à point du tout, et reconnoître que ces restrictions (il faut suivre saint Augustin, si l'Eglise ou le commun des Pères ne lui sont pas contraires) sont apposées, non pour montrer que le cas soit arrivé, mais pour expliquer seulement en ce cas quelle autorité seroit préférable.

J'ajouterai encore avec Vasquez que personne ne doit penser que les papes, et notamment Pie V et Grégoire XIII dans leur bulle contre Baïus « aient condamné le sentiment de saint Augustin, qui a reçu en cette matière (de la grace) une si merveilleuse recommandation et approbation par le pape Célestin 1 et qui a été célébré avec tant d'éloges dans tous les siècles suivans; en sorte, conclut-il, qu'il nous faut tâcher d'expliquer la censure de ces papes sainement et d'une manière qui se puisse concilier avec la doctrine de ce Père 3. » J'ajouterai en dernier lieu, comme un corollaire de tout ce qu'on vient de voir, que si l'on prétendoit avec M. Simon que saint Augustin fùt contraire à la tradition des saints docteurs, ou aux décrets de l'Eglise dans quelque dogme touchant la grace qu'il auroit entrepris d'établir comme de foi dans tous ses ouvrages, principalement dans les derniers qui sont les plus approuvés, tous les éloges que lui ont donné les siècles suivans et tous les décrets des papes en sa faveur ne seroient

1 Stephan. Deschamps, De hær. Jans., lib. III, disp. 1, cap. vi, n. 15. — 2 De grat., proleg. VI, n. 17. — 3 In I, II, D. Thom., disp. 190, cap. XVIII.

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qu'une illusion: saint Augustin ne seroit pas un guide donné par l'Eglise, si on s'égaroit en le suivant : il ne seroit pas la bouche de l'Eglise, s'il avoit soufflé le froid et le chaud, le vrai et le faux, le bien et le mal : le pape saint Célestin ne devoit point avoir si sévèrement réprimé ceux qui disoient que ce Père étoit l'auteur d'une nouvelle doctrine, si en effet il l'étoit, ni ceux qui le reprenoient d'avoir excédé, si en effet il excédoit jusque dans des matières capitales: il ne falloit pas, comme a fait le pape Hormisdas, pour trouver le sacré dépôt de la tradition et de la saine doctrine sur la grace et le libre arbitre, renvoyer aux livres de ce Père avec un choix si précis de ceux qu'il falloit principalement consulter, si de ces deux matières dont il s'agissoit, il avoit outré l'une et affoibli l'autre : il y eût fallu au contraire distinguer le bon d'avec le mauvais, le douteux ou le suspect d'avec le certain, et non pas y renvoyer indéfiniment; autrement on égaroit les savans, on tendoit un piége aux simples et, comme dit Suarez, l'Eglise, ce qu'à Dieu ne plaise! les induisoit en erreur.

LIVRE VII.

SAINT AUGUSTIN CONDAMNÉ PAR M. SIMON ERREURS DE CE CRITIQUE
SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL.

CHAPITRE PREMIER.

M. Simon entreprend directement de faire le procès à saint Augustin sur la matière de la grace: son dessein déclaré dés sa préface.

Il ne faudra plus maintenant que lire, pour ainsi parler, à l'ouverture du livre l'Histoire critique de M. Simon, pour y trouver les marques sensibles d'une doctrine réprouvée. Nous avons déjà remarqué en abrégé pour une autre fin, mais il faut maintenant le voir à fond, qu'il se déclare dès sa Préface, où après avoir parlé des gnostiques et avoir mis leur erreur à nier le libre arbitre, il assure « que c'est par rapport aux fausses idées de ces hérétiques, que les premiers Pères ont parlé tout autrement que saint Augustin des matières de la grace, du libre arbitre, de la prédestination et de la réprobation'. » Voilà donc le fondement de M. Simon, que pour combattre « les fausses idées » de ceux qui nioient le libre arbitre, il en falloit parler tout autrement que saint Augustin, qui demeure par conséquent ennemi comme eux du libre arbitre, et fauteur des hérétiques qui le nioient. C'est en général le plan de l'auteur; et pour le rendre plus vraisemblable, il ajoute: « que cet évêque, » c'est saint Augustin, « s'étant opposé aux nouveautés de Pélage, qui au contraire des gnostiques donnoit tout au libre arbitre de l'homme et rien à la grace, a été l'auteur d'un nouveau système. » C'est un système en matière de religion et de doctrine : c'est un système pour l'opposer aux nouveautés de Pélage. Si ce système est nouveau, saint Augustin a opposé nouveauté à nouveauté, par conséquent excès à excès, et d'autres excès et d'autres nouveautés aux excès et aux nouveautés de Pélage. Saint Augustin a le même tort que cet hérésiarque: il falloit faire un tiers parti entre eux deux, et non pas prendre 1 Præf. - Ibid.

le parti de saint Augustin, comme a fait saint Célestin et toute l'Eglise.

Si la doctrine de saint Augustin est nouvelle sur la matière où il a reçu tant d'approbation, c'est une suite que ses preuves le soient. Aussi M. Simon pousse-t-il les choses jusque-là : « Saint Augustin, dit-il, s'est éloigné des anciens commentateurs, ayant inventé des explications dont on n'avoit point entendu parler auparavant1. » Voilà donc un novateur parfait, et dans le fond de son système et dans les preuves dont il le soutient, sans que l'Eglise s'en soit aperçue, sans que d'autres que ses ennemis, que toute l'Eglise a condamnés, l'en aient repris. Après douze cents ans entiers, M. Simon le vient dénoncer, on ne sait à qui : il vient réveiller l'Eglise qui s'est laissé endormir aux belles paroles de ce Père et qui a déclaré en termes formels qu'elle n'a rien trouvé à reprendre dans sa doctrine; par conséquent rien de nouveau, rien à quoi elle ne fût accoutumée : autrement elle se seroit soulevée, au lieu de réprimer ceux qui se soulevoient.

L'auteur n'a pu s'empêcher de sentir ici le mauvais pas où il s'engageoit; mais son erreur est de croire qu'il peut imposer au monde par des termes vagues: « Je déclare néanmoins, dit-il, que ce n'a point été pour opposer toute l'antiquité à saint Augustin, que j'ai recueilli dans cet ouvrage les explications des Pères grecs. » Mais pourquoi donc? Est-ce pour montrer qu'ils sont d'accord? Ce seroit le dessein d'un vrai catholique, qui chercheroit à concilier les Pères, et non pas à les commettre. Mais visiblement ce n'est pas celui de M. Simon, chez qui l'on ne trouve à toutes les pages que les anciens d'un côté et saint Augustin de l'autre; mais voici toute sa finesse : « Comme il y a toujours eu des disputes là-dessus, et qu'il y en a encore présentement, j'ai cru que je ne pouvois mieux faire que de rapporter fidèlement ce que j'ai lu sur les passages du Nouveau Testament dans les anciens commentateurs 3. » Il voudroit donc faire accroire que c'est seulement sur des matières légères et indifférentes qu'il oppose les anciens à saint Augustin. Nous verrons bientôt le contraire; mais en attendant, sans aller plus loin, il se déclare en continuant de 1 Præf. — Ibid. — 3 Ibid.

TOM. IV.

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cette sorte: «< Vincent de Lérins (à ce seul nom on s'attend d'abord à voir condamner quelque erreur : écoutons donc à qui l'on oppose ce savant auteur et les règles de la tradition), Vincent de Lérins dit, que, lorsqu'il s'agit d'établir la vérité d'un dogme, l'Ecriture seule ne suffit pas, qu'il y faut joindre la tradition de l'Eglise catholique; c'est-à-dire, comme il l'explique lui-même, l'autorité des écrivains ecclésiastiques1. » Le principe est bien posé; mais voyons enfin contre qui on dresse cette machine. C'est premièrement contre l'hérésie en général : « Considérant, poursuit notre auteur, les anciennes hérésies, il rejette ceux qui forgent de nouveaux sens, et qui ne suivent point pour leur règle les interprétations reçues dans l'Eglise depuis les apôtres. » Mais ce qui se dit contre l'hérésie en général s'applique dans le moment à saint Augustin: « Sur ce pied-là, conclut l'auteur aussitôt après, on préférera le commun des anciens docteurs aux opinions particulières de saint Augustin. » Enfin donc, après de vaines défaites, M. Simon se déclare sa partie : c'est à lui que tout aboutit : c'est contre lui que l'on procède régulièrement : « C'est lui qui n'a pas suivi les interprétations reçues dans l'Eglise depuis les apôtres. » Il ne reste plus qu'à l'appeler hérétique: on n'ose lâcher le mot; mais la chose n'est point laissée en doute, et l'application du principe est inévitable.

M. Simon croyant esquiver, s'embarrasse davantage. « Les quatre premiers siècles, poursuit-il, n'ont parlé qu'un même langage sur le libre arbitre, sur la prédestination et sur la grace : » c'est pour dire que saint Augustin ne l'a pas parlé : « Il n'y a pas d'apparence que les premiers Pères se soient tous trompés: » c'est donc saint Augustin qui se trompe et qui renverse l'ancienne doctrine, dont l'Eglise l'avoit établi le défenseur. C'est où tendoit naturellement tout le discours. L'auteur n'ose aller jusque-là; et tournant tout court: « Je n'ai pas pour cela prétendu condamner les nouvelles interprétations de saint Augustin, » quoique contraires à celles qui ont été reçues depuis les apôtres ; c'est-à-dire je n'ose pas condamner ce que les règles condamnent, ce que j'ai montré condamnable : j'ai bien posé le principe, mais je n'ose ti1 1 Præf.

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