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des sentimens de tous les Pères, lorsque la tradition est constamment établie par des actes publics, authentiques et universels, tels qu'étoient dans la matière du péché originel le baptême des petits enfans en la rémission des péchés, et les exorcismes qu'on faisoit sur eux avant que de les présenter à ce sacrement, puisque cela présupposoit qu'ils naissoient sous la puissance du diable, et qu'il y avoit un péché à leur remettre1. Saint Augustin a démontré dans tous les endroits que nous avons rapportés, et en beaucoup d'autres, que cette pratique de l'Eglise étoit suffisante pour établir le péché originel. Il attaque Julien personnellement par cet endroit. Etant fils d'un saint homme, qui depuis fut élevé à l'épiscopat, il est à croire qu'il avoit reçu dès son enfance tous les sacremens ordinaires. Dans cette présupposition saint Augustin lui dit : « Vous avez été baptisé étant enfant, vous avez été exorcisé, on a chassé de vous le démon par le souffle. Mauvais enfant! vous voulez ôter à votre mère ce que vous en avez vous-même reçu, et les sacremens par lesquels elle vous a enfanté 2. » Par là donc la tradition de l'Eglise demeuroit constante; et on ne pouvoit s'y opposer, disoit saint Augustin, non plus qu'à la conséquence qu'on en tiroit pour le péché originel, sans renverser le fondement de l'Eglise. De cette sorte la tradition en étoit fondée sur des actes incontestables, avant même qu'on fùt obligé d'entrer dans la discussion des passages particuliers; et ainsi cette discussion n'étoit pas absolument nécessaire.

CHAPITRE III.

Second principe de saint Augustin: le témoignage de l'Eglise d'Occident suffit pour établir la saine doctrine.

Le second principe de saint Augustin: quand par abondance de droit on voudra entrer dans cette discussion particulière, il y a de quoi se contenter du témoignage de l'Eglise d'Occident. Car sans encore présupposer dans cette Eglise aucune prérogative qui la rende plus croyable, c'est assez à saint Augustin qu'il fût cer

1 De præd. SS., cap. xiv, n. 27; lib. VI Contr. Jul., cap. v, n. 11 et alibi pass. 2 Contr. Jul., lib. I, cap. IV, n. 14.

tain « que les Orientaux étoient chrétiens, qu'il n'y eût qu'une foi dans toute la terre, et que cette foi étoit la foi chrétienne 1; » d'où ce Père concluoit « que cette partie du monde devoit suffire à Julien » pour le convaincre : non qu'il fallut mépriser les Grecs, mais parce qu'on ne pouvoit présupposer qu'ils eussent une autre foi que les Latins, sans détruire l'Eglise en la divisant.

Cependant saint Augustin insinuoit le manifeste avantage de l'Eglise latine. Pélage même avoit loué la foi romaine qu'il reconnoissoit et louoit, principalement dans saint Ambroise, in cujus præcipuè libris romana elucet fides 3. Le même Pélage avoit promis, dans sa profession de foi, de se soumettre à saint Innocent qui gardoit la foi, comme il occupoit le Siége de saint Pierre: Qui Petri fidem et Sedem tenet. Célestius et Julien même s'étoient soumis à ce Siége. Saint Augustin avoit donc raison de lui en recommander la dignité en cette sorte : « Je crois que cette partie du monde vous doit suffire, où Dieu a voulu couronner d'un glorieux martyre le premier de ses apôtres. » C'étoit l'honneur de l'Occident d'avoir à sa tête et dans son enceinte, ce premier Siége du monde. Saint Augustin ne manquoit pas de faire valoir en cette occasion cette primauté, lorsque citant après tous les Pères le pape saint Innocent, il remarquoit « que s'il étoit le dernier en âge, il étoit le premier par sa place, » posterior tempore, prior loco. Le premier, par conséquent, en autorité. C'est pourquoi dans la suite, récapitulant ce qu'il avoit dit, il le met à la tête de tous les Pères qu'il avoit cités; à la tête, dis-je, de saint Cyprien, de saint Basile, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Hilaire et de saint Ambroise, sans nommer les autres qui étoient compris dans ceux-ci. Il tiroit donc de tout cela une raison particulière pour obliger Julien à se contenter de l'Occident; et pour montrer qu'il n'y avoit plus à consulter l'Orient, il concluoit en cette sorte: « Qu'est-ce que ce saint homme (le pape Innocent) eût pu répondre aux conciles d'Afrique, si ce n'est ce que le Saint-Siége apostolique et l'Eglise romaine tiennent de tout temps avec toutes

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1 Contr. Jul., lib. I, cap. IV, n. 14.

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2 Ibid., n. 13. -3 Ibid., cap. vii, n. 30. 'Garn., diss. v, p. 309. - Contr. Jul., lib. I, cap. iv, n. 13. 6 Ibid. Ibid., cap. vi, n. 22.

les autres ?» C'est donc le second principe de saint Augustin, que l'autorité de l'Occident étoit plus que suffisante pour autoriser un dogme de foi.

CHAPITRE IV.

Troisième principe: un ou deux Pères célèbres de l'Eglise d'Orient suffisent pour en faire voir la tradition.

Le troisième, pour en venir aux Orientaux que saint Augustin n'estimoit pas moins que les Latins, c'est que pour en savoir les sentimens, il n'étoit pas nécessaire de citer beaucoup d'auteurs. Il se contente d'abord de saint Grégoire de Nazianze, « dont les discours, dit-il, célèbres de tous côtés par la grande grace qu'on y ressent, ont été traduits en latin; » et un peu après : « Croyezvous, dit-il, que l'autorité des évêques orientaux soit petite dans ce seul docteur? Mais c'est un si grand personnage, qu'il n'auroit point parlé comme il a fait (dans les passages qu'il en avoit produits pour le péché originel), s'il n'cût tiré ce qu'il disoit des principes communs de la foi que tout le monde connoissoit, et qu'on n'auroit pas eu pour lui l'estime et la vénération qu'on lui a rendue, si l'on n'avoit reconnu qu'il n'avoit rien dit qui ne vînt de la règle même de la vérité, que personne ne pouvoit ignorer1.» Voilà comment, loin de diviser les auteurs ecclésiastiques, saint Augustin faisoit voir que ne pouvant pas être contraires dans une même Eglise et dans une même foi, un seul docteur, éminent par sa réputation et par sa doctrine, suffisoit pour faire paroître le sentiment de tous les autres.

Néanmoins par abondance de droit il y joint encore saint Basile, et après il conclut ainsi : « En voulez-vous davantage? N'êtesvous pas encore content de voir paroître du côté de l'Orient deux hommes si illustres et d'une sainteté si reconnue2? » Et il fait sentir clairement que ce seroit être déraisonnable que d'en exiger davantage.

1 Contr. Jul., lib. I, cap. Iv, n. 13.— 2 Ibid., cap. v, n. 15, 16.— 3 Ibid., n. 19.

CHAPITRE V.

Quatrième et dernier principe: le sentiment unanime de l'Eglise présente suffit pour ne point douter de l'Eglise ancienne; application de ce principe à la foi du péché originel : réflexion de saint Augustin sur le concile de Diospolis en Palestine.

Il résout par la même règle et avec la même méthode l'objection qu'on lui faisoit sur saint Chrysostome, et il conclut que ce Père ne peut pas avoir pensé autrement que tous les autres docteurs; mais avant que d'en venir à cette application, il faut produire le quatrième principe de la méthode de saint Augustin.

Pour juger donc des sentimens de l'antiquité, le quatrième et dernier principe de ce saint est, que le sentiment unanime de toute l'Eglise présente en est la preuve; en sorte que connoissant ce qu'on croit dans le temps présent, on ne peut pas penser qu'on ait pu croire autrement dans les siècles passés. C'est pourquoi saint Augustin, après avoir fait à Julien la demande qu'on vient de voir sur saint Grégoire de Nazianze et saint Basile : « En voulez-vous davantage, dit-il? Ne vous suffisent-ils pas ? » il ajoute : « Mais dites qu'ils ne suffisent pas; » poussez votre témérité jusque-là, a nous avons quatorze évêques d'Orient, Euloge, Jean, Ammonien » et les autres, dont le concile de Diospolis en Palestine avoit été composé, qui auroient tous condamné Pélage s'il n'avoit désavoué sa doctrine, qui par conséquent l'avoient condamné et tenoient la foi de tout le reste de l'Eglise, et qui servoient de témoins, non-se ulement de la foi de l'Orient, mais encore de celle de tous les siècles passés.

Il étoit bien aisé de tirer cette dernière conséquence, en remarquant avec le même saint Augustin « que si toute la multitude des saints docteurs, répandus par toute la terre, convenoient de ce fondement très-ancien et très-immuable de la foi, » on ne pouvoit croire autre chose « dans une si grande cause, in tam magna causâ, où il y va de toute la foi, ubi christianæ religionis summa consistit, sinon qu'ils avoient conservé ce qu'ils avoient trouvé, qu'ils avoient enseigné ce qu'ils avoient appris, qu'ils avoient 1 Contr. Jul., lib. I, cap. v, n. 19.

laissé à leurs enfans ce qu'ils avoient reçu de leurs pères : quod invenerunt in Ecclesià, tenuerunt; quod didicerunt, docuerunt; quod à patribus acceperunt, hoc filiis tradiderunt 1. »

Telle est la méthode de saint Augustin: tels sont les principes sur lesquels il l'appuie, recueillis à la vérité de plusieurs endroits du livre contre Julien, mais si suivis qu'on voit bien qu'ils partent du même esprit.

CHAPITRE VI.

Cette méthode de saint Augustin est précisément la même que Vincent de Lérins étendit ensuite davantage.

C'est cette même méthode qui, depuis, a été plus étendue par le docte Vincent de Lérins. Tout homme judicieux conviendra qu'elle est prise principalement de saint Augustin, contre lequel pourtant on veut dire qu'il l'ait inventée. Quoi qu'il en soit, elle est fondée manifestement sur les principes de ce Père, qu'on vient de voir; et c'est pourquoi à l'exemple de ce saint docteur, quand il s'agit de prouver que la multitude des Pères est favorable à un dogme, Vincent de Lérins ne croit pas qu'il soit nécessaire de remuer toutes les bibliothèques pour examiner en particulier tous les ouvrages des Pères. Il le prouve par l'exemple du concile d'Ephèse, où, pour établir l'antiquité et l'universalité du dogme qu'on y avoit défini, on se contenta du témoignage de dix auteurs: «Non, dit Vincent de Lérins, qu'on ne pût produire un nombre beaucoup plus grand des anciens Pères; mais cela n'étoit pas nécessaire, parce que personne ne doutoit que ces dix n'eussent eu le même sentiment que tous leurs autres collègues *. »

Saint Augustin et les Pères d'Afrique, qui ont condamné Pélage, ont suivi la même méthode que toute l'Eglise embrassa un peu après pour condamner Nestorius. On se contenta du petit nombre de Pères que saint Augustin produisoit on crut entendre tous les autres dans ceux-là: l'unanimité de l'Eglise conduite par un même esprit et une même tradition, ne permit pas d'en douter. S'il y en avoit quelques autres qui semblassent penser Contr. Jul., cap. vII, n. 32, 34. — 2 II Comm., p. 367.

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