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différemment, on croyoit, ou qu'ils s'étoient mal expliqués, ou en tout cas qu'il ne falloit pas les écouter. Ainsi sans avoir égard à ces légères difficultés et sans hésiter, on prononçoit que toute l'Eglise catholique avoit toujours cru la même chose qu'on définissoit alors; et voilà le fruit de la méthode de saint Augustin, ou plutôt de celle de toute l'Eglise, si solidement expliquée par la bouche de ce docte Père.

CHAPITRE VII.

Application de cette méthode à saint Chrysostome et aux Grecs, non-seulement sur la matière du péché originel, mais encore sur toute celle de la grace.

Appliquons maintenant cette méthode à saint Chrysostome et aux Grecs, que l'on prétend différens d'avec les Latins dans la matière de la grace, et même en ce qui regarde le péché originel. Les règles de saint Augustin, dérivées des principes qu'on a vus, ont été qu'il n'est pas possible que saint Chrysostome crût autrement que les autres, dont il venoit de montrer le consentement1: que la matière dont il s'agissoit, c'est-à-dire, en cette occasion, celle du péché originel (et dans la suite on en dira autant des autres) n'étoit pas de celles sur lesquelles les sentimens se partagent, mais « un fondement de la religion sur lequel la foi chrétienne et l'Eglise catholique n'avoit jamais varié 2. » Que s'il eût pu se faire que saint Chrysostome eût pensé autrement que tous les évêques ses collègues, avec tout le respect qu'on lui devoit, il ne faudroit pas l'en croire seul; mais aussi que si cela eût été, « il n'eût pas pu conserver tant d'autorité dans l'Eglise 3. » Comme donc son autorité étoit entière, il falloit par nécessité que ses sentimens fussent catholiques. Ce sont les règles de saint Augustin les plus équitables et les plus sûres qu'on pùt suivre. Sur cela il entre en preuve, et il entreprend de montrer dans ce saint évèque la même doctrine qu'il a montrée dans les autres : en sorte que si quelquefois il ne parle pas clairement, c'est à cause qu'il n'est pas possible d'être toujours sur ses gardes, lorsqu'on n'est pas attaqué et que d'ailleurs on croit parler à des gens instruits.

1 Lib. I Contr. Jul., cap. vi, n. 22. — Ibid., n. 22, 23. — Ibid., n. 23.

CHAPITRE VII.

Que cette méthode de saint Augustin est infaillible, et qu'il n'est pas possible que l'Orient crût autre chose que l'Occident sur le péché originel.

Telle est la méthode de saint Augustin, dans laquelle d'abord il est évident qu'il n'est pas possible qu'il se trompe. En effet si l'Orient eût été contraire à l'Occident sur l'article du péché originel, d'où vient que Pélage et Célestius y déguisoient leurs sentimens avec tant d'artifice, pendant que l'Occident les condamnoit? Si tout l'Orient étoit pour eux, que n'y parloient-ils franchement et à pleine bouche? Mais au contraire ce fut à Diospolis, dans le concile de la Palestine, qu'ils furent poussés, pour éviter leur condamnation, jusqu'à anathématiser ceux qui disoient << que les enfans morts sans baptême pouvoient avoir la vie éternelle 1; » par où ils s'ôtoient à eux-mêmes le dernier refuge qu'ils réservoient à leur erreur. Tout le monde sait que lorsqu'on leur demandoit si les enfans non baptisés pouvaient entrer dans le royaume des cieux, ils n'osoient le dire, à cause que Notre-Seigneur avoit prononcé précisément le contraire par ces paroles : « Si vous ne renaissez de l'eau et du Saint-Esprit, vous n'entrerez pas dans le royaume du ciel. » Leur unique ressource étoit que si les enfans n'entroient pas dans le royaume des cieux, ils auroient du moins la vie éternelle. Mais les Pères de Palestine leur ôtent par avance cette défaite, en leur faisant avouer « qu'il n'y a point de vie éternelle sans baptême; et cela, dit saint Augustin, qu'est-ce autre chose que d'être dans l'éternelle mort, » ainsi qu'on a vu que Bellarmin l'enseigne après ce Père, comme un article de foi 3? Si l'Orient étoit pour Pélage, pourquoi les Pères de Palestine le poussent-ils à un désaveu si exprès de son erreur? et pourquoi est-il obligé de se condamner lui-même pour éviter leur anathème?

Poussons encore. Si l'Orient étoit pour eux et qu'une aussi grande autorité que celle de saint Chrysostome eût disposé les

1 De gest. Pelag., cap. XXXIII, n. 57; De pecc. orig., cap. XI, XII; Epist. CVI ad Paulin. - 2 Ibid. 3 De amiss. grat. et stat. pecc., lib. VI, cap. II.

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esprits en leur faveur, d'où vient que la lettre de saint Zozime, où leur hérésie étoit condamnée, fut reçue sans difficulté et également souscrite en Orient et en Occident? D'où vient que les canons du concile de Carthage, où le péché originel étoit expliqué de la même manière que nous faisons encore, furent d'abord reçus en Orient? Le patriarche Photius en est le témoin, puisque ces canons sont compris dans les Actes des Occidentaux, dont il fait mention dans sa Bibliothèque. Chacun sait qu'il y loue aussi dans le même endroit « Aurélius de Carthage et saint Augustin, sans oublier le décret de saint Célestin contre ceux qui reprenoient ce saint homme 1; » ce qui nous prouve trois choses: la première, que dès le temps de Pélage la doctrine de l'Orient étoit conforme à celle de l'Occident; la seconde, qui est une suite de la première, que les idées de l'Orient et de l'Occident étoient les mêmes sur le péché originel, puisque l'Occident n'en avoit point d'autre que celle du concile de Carthage, que l'Orient recevoit; la troisième, que l'autorité de ce concile s'étoit conservée dans l'Eglise grecque jusqu'au temps de Photius, qui vivoit quatre cents ans après; et ainsi que si quelques docteurs, et peutêtre Photius lui-même, ne s'étoient pas expliqués sur cette matière aussi clairement que les Latins, dans le fond elle n'avoit pas dégénéré de l'ancienne créance. Ainsi il est manifeste qu'en Orient comme en Occident on avoit la même idée du péché originel, qui subsiste encore aujourd'hui dans les deux Eglises.

CHAPITRE IX.

Deux états du pelagianisme en Orient, et que dans tous les deux la doctrine du péché originel étoit constante et selon les mêmes idées de saint Augustin et de l'Occident.

En effet nous pouvons marquer deux états du pélagianisme en Orient le premier, lorsqu'il y parut au commencement de cette hérésie; le second, lorsque poussé en Occident par tant de décrets des conciles et des papes, il se réfugia de nouveau vers l'Orient, où il avoit paru d'abord. Mais ni dans l'un ni dans l'autre état, les

1 Cod. LIV.

TOM. IV.

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pélagiens ne purent jamais rien obtenir de la Grèce. Dans le premier, on vient de voir ce que fit un saint concile de Palestine, où Pélage fut obligé de rétracter son erreur. Voilà pour ce qui regarde le commencement, mais la suite ne lui fut pas plus favorable. Tout le monde sait qu'après que les papes, et tout l'Occident avec les conciles d'Afrique, se furent déclarés contre les novateurs, Atticus de Constantinople, Rufus de Thessalonique, Praylius de Jérusalem, Théodore d'Antioche, Cyrille d'Alexandrie et les autres évêques des grands siéges d'Orient furent les premiers à les anathématiser dans leurs conciles, et que le consentement fut si unanime, que Théodore de Mopsueste leur défenseur, n'osant résister à ce torrent, fut contraint comme les autres de condamner Julien le pélagien dans le concile d'Anazarbe, encore qu'auparavant il lui eût donné retraite et qu'il eût un véritable désir de le protéger 2.

Après cela c'est être aveugle de dire que l'Orient ait pu varier sur le péché originel. Mais ce n'est pas un moindre aveuglement de penser, comme Grotius et M. Simon l'insinuent, que l'Orient eût une autre idée de ce péché que celle de l'Occident qui est la nôtre, puisque celle de l'Orient étoit prise sur les conciles de Carthage, sur les décrets de saint Innocent, de saint Zozime, de saint Célestin, qui furent portés en Orient, où on les reçut comme authentiques.

CHAPITRE X.

Que Nestorius avoit d'abord reconnu le péché originel selon les idées communes de l'Occident et de l'Orient, et qu'il ne varia que par intérêt : que cette tradition venoit de saint Chrysostome: que l'Eglise grecque y a persisté et y persiste encore aujourd'hui.

Dans la suite, il est vrai que Nestorius, patriarche de Constantinople, sembla vouloir innover et favoriser les pélagiens; mais ce ne fut que lorsqu'il eut besoin de ramasser, pour se soutenir, les évêques condamnés de toutes les sectes. Car auparavant on a ses sermons contre ces hérétiques, dans l'un desquels il disoit que quiconque n'avoit pas reçu le baptême « demeuroit obligé à la cé1 Comm. Mercat., cap. III. — 2 Garn., in Comm. Mercat., diss. II, p. 219.

dule d'Adam, et qu'en sortant de ce monde, le diable se mettoit en possession de son ame 1. » Voilà les idées du concile de Carthage, des papes, de saint Augustin. C'étoit aussi celle de saint. Chrysostome, et nous verrons que cette cédule d'Adam, dont parle Nestorius, venoit de ce saint comme une phrase héréditaire dans la chaire de ce Père, où Nestorius la prêchoit; et on voit toujours dans l'Eglise de Constantinople la tradition du péché originel venue de Sisinnius, d'Atticus, et enfin très-expressément de saint Chrysostome. C'est pourquoi saint Célestin reproche à Nestorius, non pas de ne pas tenir le péché originel, mais de protéger ceux qui le nioient contre le sentiment de ses prédécesseurs, et entre autres d'Atticus, qui en cela, dit saint Célestin, est vraiment successeur du bienheureux Jean 2, » qui est saint Jean Chrysostome; par conséquent ce Père étoit proposé comme une des sources de la tradition du péché originel, loin qu'on le soupçonnât d'y être contraire ou de l'avoir obscurcie. Je trouve encore dans la lettre du pape saint Zozime à tous les évêques contre les pélagiens, une expresse et honorable mention du même Père 3. On ne l'eût pas été chercher pour le nommer dans cette occasion, si son témoignage contre l'erreur n'eût été célèbre. Son autorité étoit si grande en Orient, qu'elle y eût partagé les esprits. On voit cependant que rien ne résiste; et c'est ainsi que tout l'Orient, à l'exemple de l'Eglise de Constantinople, poursuivoit les pélagiens, leur laisser le loisir de poser le pied nulle part, » ut nec standi quidem illic copia præstaretur, comme dit très-bien saint Célestin *. On peut rapporter à ce même temps les Avertissemens ou les Remontrances et les Mémoires de Mercator, présentés à Constantinople à l'empereur Théodose le Jeune, et les autres instructions du même auteur contre Célestius et Julien, toutes formées selon les idées des papes et des conciles d'Afrique, et encore très-expressément selon celles de saint Augustin qu'il cite à toutes les pages; en sorte qu'il faut avoir perdu l'esprit pour dire que l'Orient, ou qui que ce soit, soupçonnât ce Père d'être novateur, ou d'avoir

<< sans

- 2 Cælest., Cælest., Epist. ad

1 Serm. 11 Adv. Pelag., apud Mercat., inter Nest. Tract., n. 7, 10. Epist. ad Nest. 3 Apud Garn., in lib. Jul., p. 4, n. 7. Nest.

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