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d'exterminer tous ceux qui ne seroient pas circoncis au huitième jour. Cette preuve de saint Augustin, tant blàmée et si souvent ȧttaquée par M. Simon', se trouve pourtant dans un Père d'une aussi grande antiquité que saint Justin: elle se trouve aussi dans saint Chrysostome, ainsi que saint Augustin l'a remarqué 3, et dans beaucoup d'autres; et sans nous arrêter à cette dispute, quand ce saint martyr saint Justin dit que Jésus-Christ seul est né sans péché, veut-il dire qu'il est né sans la peine du péché et sans la mort? Au contraire c'est en cela qu'il a été notre Sauveur, que portant la peine sans le péché, il efface actuellement le péché dans cette vie pour en ôter la peine en son temps. Donc, excepté lui, tout doit naître dans le péché, et lui seul a dù n'y pas naître, parce que lui seul est né sans que la concupiscence ait eu part à sa conception.

CHAPITRE XXI.

Saint Irénée a la même idée.

Un peu après saint Justin vient saint Irénée, cité par saint Augustin. Il nous sera une preuve que plus on lit les auteurs, plus on y découvre la tradition d'un péché originel proprement dit. Saint Augustin en a rapporté deux passages, dont le premier parle « de la plaie de l'ancien serpent » guérie par Jésus-Christ, qui donne la vie aux morts. » Voudra-t-on dire que le Fils de Dieu, lorsqu'il donne la vie aux morts, ne guérit que la mort du corps? N'est-ce pas à l'ame 'qu'il donne la vie? C'étoit donc à la vie de l'ame que cette plaie de l'ancien serpent portoit le coup. Mais quand on chicanera sur un passage si clair, que répondrat-on au même Père, qui enseigne « que Jésus-Christ est venu sauver tous les hommes? Oui, dit-il, tous ceux qui renaissent en Dieu par le baptême, et les petits enfans, et les jeunes gens, et les vieillards; et c'est pour cela qu'il a passé par tous les âges, petit enfant dans les petits enfans, sanctifiant cet âge, et le sauvant", » comme il vient de dire: de quoi, sinon du péché par la grace du baptême? Voilà donc un véritable péché, qui ne peut être remis

1 P. 299. 2 Ibid., p. 241, 246. 3 Contr. Jul., lib. II, cap. vi, n. 18. Ibid., lib. I, cap. 1; Iren., lib. IV, cap. v. — Iren., lib. II, cap. xxxix.

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aux enfans qu'en leur donnant le sacrement de renaissance, qu'on ne peut donner et qu'on ne donne jamais qu'en rémission des péchés et encore dans la même vue les hérétiques qui disent qu'il n'est pas né véritablement, mais seulement « d'une naissance apparente, putative, prennent la défense du péché 1; » ce qu'il explique aussitôt après en disant qu'en passant par tous les états de la vie humaine, « il a renouvelé son ancien ouvrage, en ce qu'il a donné la mort au péché, ôté la mort et vivifié l'homme. »> Voilà donc l'ordre de la rédemption. Jésus-Christ n'a ôté la mort qu'après avoir premièrement ôté le péché, et ne vivifie que ceux qui sont morts, non-seulement de la mort du corps, mais encore de celle de l'ame.

CHAPITRE XXII.

Suite de saint Irénée : la comparaison de Marie et d'Eve: combien elle est universelle dans tous les Peres: ce qu'elle induit pour établir un véritable péché.

Pour venir au second passage cité par saint Augustin, quand on y verra « ce lien qui astreignoit à la mort tout le genre humain par la désobéissance d'Eve, et dont nous sommes délivrés par l'obéissance de Marie, » chicanera-t-on, en disant que ce lien nous astreignoit à la peine et non à la coulpe, et que l'obéissance de Marie n'a fait qu'ôter les mauvais effets de la désobéissance d'Eve? Mais s'il ne s'agissoit que des effets, et que le péché d'Eve ne fût pas le nôtre, pourquoi ce Père avoit-il appelé, un peu audessus, la désobéissance d'Eve a notre désobéissance 3; » que Marie a guérie en obéissant? Pourquoi disoit-il dans le même endroit << que le bois nous avoit rendu ce que nous avions perdu par le bois où pendoit le fruit défendu ? » Si Jésus-Christ à l'arbre de la croix nous a rendu la vie de l'ame et celle du corps, nous avions donc perdu l'une et l'autre à l'arbre qui nous avoit été interdit. « Jésus-Christ, dit saint Irénée, est le premier des vivans, comme Adam est le premier des mourans *. » Jésus-Christ n'est-il le premier des vivans que selon le corps? Adam n'est-il pas aussi le

1 Lib. III, cap. xx. - Lib. V, cap. XIX. cap. XXXIII.

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3 Ibid., cap. XVII. — Lib. III,

premier qui est mort dans l'ame? C'étoit donc à la mort de l'ame « qu'Eve nous avoit liés par son incrédulité, » puisque c'est de la mort de l'ame que « Marie nous a délivrés par la foi. » Enfin toute la suite du discours et l'esprit même de la comparaison entre Jésus-Christ et Adam, tant inculquée par ce saint martyr après saint Paul, fait voir que comme ce ne sont pas les seuls fruits de la justice, mais la justice elle-même que nous possédons en JésusChrist, ce ne sont pas aussi seulement les peines du péché, mais le péché même dont nous héritons en Adam.

Je remarquerai en passant que cette comparaison de JésusChrist avec Adam, et de Marie avec Eve, se trouve dans tous les Pères, dès la première antiquité, par exemple dans Tertullien, mais toujours pour faire voir « que la foi et l'obéissance de la sainte Vierge avoit effacé tout le péché qu'Eve avoit commis en croyant au serpent: » Quod illa credendo deliquit, hæc credendo delevit'; et le dessein est partout de faire voir un véritable péché remis, non point seulement à Eve qui l'avoit commis, mais à toute sa postérité qui y avoit part.

CHAPITRE XXIII.

Beau passage de saint Clément d'Alexandrie.

L'un des plus anciens auteurs après saint Justin et saint Irénée, c'est saint Clément prêtre d'Alexandrie, qui parle ainsi dans son Avertissement aux Gentils, en expliquant les mauvais effets du plaisir des sens : « L'homme qui étoit libre à cause de sa simplicité (Dieu l'ayant créé simple et droit, ainsi qu'il est écrit dans l'Ecclésiaste) s'est trouvé lié aux péchés (par la volupté), et NotreSeigneur l'a voulu délivrer de ses liens 2. » On voit que ce n'étoit pas seulement aux peines, mais encore au péché qu'il étoit lié, et que c'est de ce lien que Jésus-Christ l'a délivré. Qui dit l'homme, dit ici sans contestation tout le genre humain. Adam n'est pas le seul lié au péché, ni le seul que Jésus-Christ est venu délier; tous les hommes sont regardés en Adam comme un seul pécheur, et en 1 De carne Christ., cap. XVII. Admon. ad Gent., p. 51; Eccles., VII, 30.

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Jésus-Christ comme un seul affranchi par l'unité du même corps et l'influence du même esprit.

Il enseigne dans le Pédagogue, que le baptême est appelé « un lavoir, parce qu'on y lave les péchés, et une grace, parce qu'on y remet la peine qui leur est due 1. » Il fait donc voir qu'on ne vient dans ce sacrement à la rémission de la peine, que par celle de la coulpe; et selon la doctrine de saint Augustin et du concile de Carthage, que le baptême seroit faux dans les enfans si l'on n'y

trouvoit l'un et l'autre.

Après avoir rapporté dans le troisième livre des Tapisseries2 le sentiment de Basilide, qui condamnoit la génération des enfans; à quoi cet hérésiarque faisoit servir le passage de Job où il est porté « que nul n'est exempt de tache, pas même l'enfant d'un jour; » et le verset où David confesse « qu'il a été conçu dans les péchés; » il conclut : « Qu'encore qu'il soit conçu dans les péchés, il n'est point lui-même dans le péché : » ce qui seroit contradictoire, si on n'expliquoit, qu'il n'est point dans un péché qui vienne de lui, quoiqu'il soit dans un péché qui vient d'un autre.

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On trouve même en termes formels cette distinction dans ce savant auteur, au quatrième livre des Tapisseries 3 où il est porté : « Que l'enfant, à la vérité, n'a point péché, mais actuellement et en lui-même ¿vegyõs, ¿v tau:. » Il est vrai que ces paroles sont de Basilide; mais saint Clément ne les contredit pas et ne reprend, dans le discours de cet hérétique, que de dire « qu'on a commis des péchés dans une autre vie précédente; » laissant tout le reste en son entier, comme en effet il n'y a rien que de véritable.

Et le même Père fait bien voir qu'à la réserve de cette autre vie et des péchés qu'on y pourroit avoir commis, la doctrine de Basilide étoit véritable, puisque dans le troisième livre des mêmes Tapisseries il enseigne qu'un prophète reconnoît « des impiétés dans les enfans qui étoient le fruit de ses entrailles *; » et qu'il appelle de ce nom d'impiétés; non pas la génération en elle-même, ni ces paroles Croissez et multipliez, prononcées de la bouche de Dieu; « Mais, dit-il, les premiers appétits qui nous viennent de 1 Pædag., lib. I, cap. vI - 2 P. 342.3 P. 369. · Lib. III, p. 342.

notre naissance, ix yévesɛw;, » et qui nous empêchent de connoître Dieu.

Par là donc il a désigné la concupiscence que nous apportons en naissant. Il l'appelle une impiété, non point en acte formé, mais quant à la tache qui nous en demeure en habitude, en puissance, en inclination; et cela qu'est-ce autre chose que le fonds du péché originel, puisque selon saint Augustin 1, c'est à ce fonds qu'adhère la tache qui est effacée dans le baptême?

CHAPITRE XXIV.

Que la concupiscence est mauvaise; que par elle nous sommes faits un avec Adam pécheur; et qu'admettre la concupiscence, c'est admettre le péché originel doctrine mémorable du concile de Trente sur la concupiscence.

Il faut donc ici remarquer que tous les passages (qui sont infinis) où nous trouvons la concupiscence comme un mal venu d'Adam, inhérent en nous, nous montrent dans tous les hommes le fond du péché originel; cette concupiscence étant le mal même dont saint Paul a dit : « Le mal réside en moi, » ou « le mal y est attaché, y est inhérent, » malum mihi adjacet. Le cardinal Bellarmin prouve par ce passage et par beaucoup d'autres « que la concupiscence est mauvaise 3. » Comme elle est inséparable de notre naissance, et qu'elle vient avec la vie d'Adam devenu pécheur, elle nous fait un avec lui en cette qualité et contient tout son péché en elle-même. C'est pourquoi saint Clément d'Alexandrie l'appeloit une impiété. C'est aussi ce qui faisoit dire à saint Grégoire de Nazianze «qu'elle désiroit toujours le fruit défendu *. » Le concile de Trente en expliquant en quel sens elle peut être appelée péché, décide à la vérité qu'elle ne l'est pas véritablement et proprement, non verè et propriè, mais c'est, dit-il, « dans les baptisés,» in renatis ; ce qui semble indiquer que dans les autres et avant ce sacrement c'est un péché « véritable et proprement dit,» tant à cause qu'elle domine dans les ames où la grace n'est

De nupt. et conc., 1, 11; I ad Bonif. Contr. Jul., III, IV, V; Oper. imper., lib. 1, cap. 11, etc. Rom., VII, 21. 3 De amiss. grat. et stat. pecc., lib. VI, Tom. 1, p. 93, Carm. 5 Sess. V, can. v.

cap. XIV.

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