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béissance d'autrui,» il faut ici entendre nécessairement par «être pécheur, » l'être par un péché propre et actuel : autrement un si grand docteur n'auroit pas seulement contredit les autres, mais se seroit encore contredit lui-même.

on

Mais d'où vient donc que partout, dans cette homélie, il explique pécher en A lam de la peine plutôt que du péché? C'est là qu'il ne paroît pas que sa doctrine soit assez suivie, ou du moins assez expliquée; et néanmoins dans le fond et à parler de bonne foi, doit plutôt dire qu'il s'embarrasse dans une matière qui n'étoit pas encore bien éclaircie, qu'on ne doit dire qu'il se trompe. Ceux qui lui attribuent l'erreur de reconnoître le supplice où le péché ne seroit pas, et le font en cela plus déraisonnable que n'ont été les pélagiens, comme on l'a démontré plus haut ', devroient trouver quelque part dans ses écrits que la justice permît de punir de mort des innocens, ou de faire sentir la peine à ceux qui n'ont pas de part au crime. Mais loin qu'on trouve quelque part une si étrange doctrine dans les ouvrages de ce Père, on y trouve tout le contraire, et même dans l'homélie x et dans l'endroit qu'on nous oppose. Car au même endroit où il dit « qu'il n'y a aucune apparence qu'on soit pécheur par la désobéissance d'autrui, » il ajoute : « qu'on trouvera que celui qui seroit tel, » c'est-à-dire, qui seroit pécheur du péché d'un autre, « ne seroit redevable d'aucune peine, puisqu'il ne seroit point pécheur en lui-même, » ou en son particulier, ice. Quiconque donc n'a point de péché en lui-même ne peut selon la règle de saint Chrysostome être assujetti à la peine, et ceux qui lui attribuent une autre doctrine sont réfutés par luimême.

Il est pourtant vrai qu'il venoit de dire dans cette même homélie « qu'encore qu'il ne semble pas raisonnable qu'on soit puni pour le péché d'autrui, cela néanmoins est arrivé aux enfans d'Adam; » et on ne peut concilier ces deux endroits du même discours, à moins de reconnoître que ce péché qu'il appelle le péché d'autruià ca ise qu'un autre l'a commis actuellement, devient le propre péché de tous les autres, en tant qu'ils en ont la tache en eux-mêmes par contagion; de même à peu près, qu'encore qu'on 1 Ci-dessus, liv. VIII, chap. XII et suiv.

prenne le mal de quelqu'un, on ne laisse pas de l'avoir en soi; et c'est la comparaison que saint Augustin fait en plusieurs endroits: d'où il infère que le péché que nous tirons de nos premiers parens « nous est étranger d'une certaine façon, quoiqu'il soit propre d'une autre étranger en le regardant selon la propriété de l'action, » qui appartient en ce sens à Adam qui l'a fait; « et propre cependant par la contagion de notre naissance1, » qui le fait passer en nous avec la vie.

Il ne faut pourtant pas s'imaginer que la comparaison de la contagion soit parfaite, puisque cette maladie que nous aurions contractée dans un air qu'un pestiféré auroit infecté, seroit de même nature que la sienne; au lieu que le péché que nous avons contracté d'Adam ne peut pas être en nous comme il est en lui, ni absolument de même nature, puisqu'il n'y peut jamais être aussi actuel et aussi propre qu'il est à ce premier père, auteur de notre vie et de notre faute.

CHAPITRE VII,

Pourquoi, en un certain sens, saint Chrysostome ne donnoit le nom de péché qu'au seul péché actuel.

Et pour pousser la chose à bout, si l'on demande à quoi servoit à saint Chrysostome de distinguer l'actuel de l'originel dans cette précision, cela lui servoit à montrer qu'il y avoit un libre arbitre et par conséquent un péché de propre détermination, de propre volonté, de propre choix : ce que nioient les gnostiques et les manichéens, qui attribuoient le péché à une nature mauvaise; les uns, qui étoient les gnostiques, en disant qu'il y avoit des hommes de différente nature, dont quelques-uns étoient essentiellement mauvais ; et les autres, qui étoient les manichéens, en attribuant le péché à ce principe mauvais qu'ils reconnoissoient indépendant de Dieu même, sans que ni les uns ni les autres voulussent avouer un libre arbitre, ni par conséquent aucun péché qui vînt d'un propre choix.

Il lui étoit donc important de montrer aux uns et aux autres, Contr. Jul., lib. VI, cap. IV.

non-seulement qu'il y avoit des péchés de propre choix, mais encore que le péché venoit de là naturellement, puisque même le péché d'Adam, qui passoit en nous avec la naissance, étoit dans la source et dans Adam même un péché de propre volonté, qui dans cette précision et en ce sens ne venoit point jusqu'à nous.

C'est donc ce qui lui fait dire en un certain sens qu'on n'a point péché en Adam de cette manière singulière de pécher qui consiste dans l'acte même et dans le propre choix, cela est vrai; en excluant toute tache de péché généralement, on a vu tout le contraire dans saint Chrysostome.

Et afin de tout expliquer par un seul principe, il faut entendre qu'y ayant deux choses dans le péché, l'acte qui passe, comme par exemple dans un homicide l'action même de tuer, et la tache qui demeure par laquelle aussi celui qui cesse de faire l'acte par exemple de tuer demeure coupable et criminel, l'intention de saint Chrysostome est d'exclure des enfans d'Adam ce qu'il y a d'actuel dans son péché, c'est-à-dire la manducation actuelle du fruit défendu, et non pas ce qu'il y a d'habituel et de permanent, c'est-à-dire la tache même du péché, qui fait qu'après avoir cessé de le commettre, on ne laisse pas d'en demeurer toujours coupable. Pour ce qui est donc de l'acte du péché d'Adam, il n'a garde de passer à ses enfans ou d'y demeurer, puisqu'il ne demeure pas en Adam même, et c'est tout ce que veut dire saint Chrysostome; mais quant à ce qu'il y a d'habituel et de permanent dans le péché, ce saint docteur l'exclut si peu, qu'au contraire il le présuppose comme le fondement nécessaire des peines.

CHAPITRE VIII.

Preuve par saint Chrysostome, que les peines du péché ne passoient à nous qu'après que le péché y avoit passé : passage sur le psaume L.

C'est ce qui paroît clairement dans ce verset du psaume cinquantième : « Je suis conçu en péché, » où ce docte Père parle ainsi : « De toute antiquité, dit-il, et dès le commencement de la nature humaine, le péché a prévalu, puisque la transgression du commandement divin a précédé l'enfantement d'Eve voici donc

ce que veut dire David : Le péché qui a surmonté nos premiers pères, s'est fait une entrée et une ouverture dans ses enfans. » C'est donc le péché qui entre : les peines entrent aussi, il est vrai; et c'est pourquoi saint Chrysostome les rapporte après, et premièrement la mort, ou si l'on veut la mortalité, d'où il fait naître « les passions, les craintes, l'amour du plaisir, » et en un mot, la concupiscence; mais il a fallu que le péché même entrât le premier, sans quoi le reste n'auroit pas suivi.

CHAPITRE IX.

Que saint Chrysostome n'a rien de commun avec les anciens pélagiens, et que saint Augustin l'a bien démontré.

C'est là aussi, pour en revenir à l'homélie x sur l'Epître aux Romains, le pur esprit de saint Paul dans cette épître. « Le péché, dit-il, est entré dans le monde par un seul homme. » Remarquez la particule par. Il n'est pas entré seulement en Adam, mais par lui. Il est entré dans tout le monde; et, poursuit-il sur ce fondement, « la mort est aussi entrée par le péché ; » comme le supplice entre par le crime.

A cela il n'y avoit de solution que celle dont les pélagiens se servoient d'abord, que ce n'étoit pas par la génération, mais par l'exemple qu'Adam avoit introduit le péché dans le monde; mais comme cette solution étoit absurde et insoutenable pour toutes les raisons qu'on a vues ailleurs, saint Augustin, qui n'oublie rien, sait bien remarquer que saint Chrysostome ne s'en est jamais servi. « Ce Père, » dit-il en traitant la question comment le péché a passé d'Adam à tous les hommes, « n'a pas seulement songé à dire que ce fût par imitation: trouve-t-on, dit saint Augustin, un seul mot dans tout son discours qui ressente cette explication 1? » Pélage et Célestius en sont les auteurs: saint Chrysostome rapporte tout à l'origine et non pas à l'exemple, et dès là les anciens Pélagiens ne peuvent s'autoriser de son témoignage.

1 Lib. 1 Contr. Jul., cap. VI.

CHAPITRE X.

Que saint Chrysostome ne dit pas qu'on puisse être puni sans être coupable, et que les nouveaux pélagiens lui attribuent sans preuve cette absurdité.

Mais les nouveaux pélagiens qui le font auteur du nouveau système encore plus prodigieux, où la peine passe sans la faute, ne sont pas mieux fondés. Car après tout, que dit ce Père? Dit-il que la peine puisse passer sans la coulpe, ou, ce qui est la même chose, qu'on puisse être puni sans être coupable? On ne trouvera jamais dans ses écrits une telle absurdité. Il dit seulement que dans ce passage de saint Paul : « Plusieurs ont été faits pécheurs par la désobéissance d'un seul; » pécheurs, c'est-à-dire sujets au supplice et condamnés à la mort1. » En toute opinion, cela est vrai : être pécheur n'est pas en ce lieu avoir actuellement commis le péché, actuellement mangé le fruit défendu, ce que n'ont pas fait les enfans d'Adam; mais être pécheur, c'est avoir en soi ce qui demeure après l'acte du péché, ce qui est resté en Adam après que cet acte a été passé, c'est-à-dire être coupable; ce que saint Chrysostome explique très-bien par « être assujetti au supplice, EL, et condamné à la mort. »

En effet, à dire le vrai et en bonne théologie, être coupable ne peut être autre chose que d'être obligé au supplice, út xoλáσet, comme parle saint Chrysostome; ou, comme dit le même Père au même endroit, << redevable de la peine, » Sixv ¿í. C'est ce que saint Chrysostome explique par ces termes généraux κολάσις, δικὴ : « punition, peine. » Que s'il ajoute qu'être coupable n'est pas seulement « être assujetti à la peine, » mais encore « être condamné à mort; » et s'il s'attache principalement à la mort du corps dans toute la suite de son discours, ce n'a pas été pour réduire à la seule mort corporelle tout le supplice d'Adam, mais pour l'exprimer tout entier par la partie la plus sensible.

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