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l'apprend de saint Augustin' et de la lettre d'filaire 2, ni s'ils cherchoient de vaines différences entre les uns et les autres. C'est qu'en avouant ce péché ils n'en vouloient pas voir toutes les suites, dont l'une est le droit qu'il donne à Dieu de damner et les grands et les petits, et de faire miséricorde à qui il lui plaît. L'orgueil humain rejette volontiers un argument qui finit trop tôt la dispute, et fait taire trop évidemment toute langue devant Dieu. Les pélagiens s'imaginoient justifier Dieu dans la différence qu'il met entre les enfans, en disant qu'il ne s'agissoit pour eux que d'être privés du royaume des cieux, mais non pas d'être envoyés dans l'enfer; et ceux qui ont voulu introduire à cette occasion une espèce de félicité naturelle dans les enfans morts sans baptême, ont imité ces erreurs des pélagiens; mais l'Eglise catholique ne les souffre pas, puisqu'elle a décidé, comme on a vu, dans les conciles œcuméniques de Lyon II et de Florence, qu'ils sont en enfer comme les adultes criminels, quoique leur peine ne soit pas égale; et quand il seroit permis (ce qu'à Dieu ne plaise!) d'en revenir à l'erreur des pélagiens, saint Augustin n'en conclut pas moins que ces hérétiques n'ont qu'à se taire 3, puisqu'enfin de quelque côté qu'ils se tournent pour établir la différence entre les enfans baptisés et non baptisés, quand il n'y auroit dans les uns que la possession et dans les autres que la privation d'un si beau royaume, il faudroit toujours reconnoître qu'il n'y a là ni hasard, ni fatalité, ni acception de personnes, mais la pure volonté d'un Dieu souverainement absolu.

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Ainsi il sera toujours véritable que la prédestination des enfans répond aux objections qu'on pourroit faire sur la prédestination des adultes; mais il y a bien un autre argument à tirer de l'un à l'autre. Saint Augustin a démontré par ce passage de la Sagesse: « Il a été enlevé de peur que la malice ne le corrompît » que Dieu prolonge la vie ou l'abrége selon les desseins qu'il a formés de toute éternité sur le salut des hommes; qu'ainsi c'est par un effet d'une prédestination purement gratuite qu'il continue la vie à un enfant, et qu'il tranche les jours de l'autre, faisant par là que

1 De dono persev., c. XI, n. 26. ad Bonif., cap. v.

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2 Epist. Hilar. ad August., n. 8. 3 Lib. II “Sapient., IV, 11.

l'un d'eux vient au baptême, dont l'autre se trouve privé, ou que l'un est enlevé en état de grace sans que jamais la malice le puisse corrompre, pendant que l'autre demeure exposé aux tentations. où Dieu voit qu'il doit périr. Quelle raison apporterons-nous de cette différence, sinon la pure volonté de Dieu, puisque nous ne pouvons la rapporter ni au mérite de ces enfans, ni à l'ordre des causes naturelles, comme à la source primitive d'un si terrible discernement; puisqu'ainsi que nous avons vu, ce seroit ou introduire les hommes dans le royaume de Dieu, ou les en exclure par une espèce de fatalité ou de hasard? Mais si ce raisonnement ne souffre point de réplique pour les enfans, il n'en souffre pas non plus pour les adultes. Leurs jours ne sont pas moins réglés par la sagesse de Dieu que ceux des enfans. C'est d'eux principalement que parloit le Saint-Esprit dans le Livre de la Sagesse, lorsqu'il dit, qu'ils ont été enlevés pour prévenir les périls où ils auroient pu succomber. C'est donc par une pure miséricorde que l'un est pris en état de grace, pendant que l'autre également en cet état est abandonné aux tentations où il doit périr. De là pourtant il résulte que l'un est sauvé et que l'autre ne l'est pas. Il n'y a point d'autre raison de la différence, que celle de la volonté de Dieu. Ce qu'il a exécuté dans le temps, il l'a prédestiné de toute éternité. Voilà donc déjà dans les adultes, aussi bien que dans les enfans, un effet certain de la prédestination gratuite, en attendant que la suite nous découvre les autres que M. Simon reproche à saint Augustin comme des erreurs, où ce grand homme s'est éloigné du droit chemin des anciens.

Dans toute cette matière, l'esprit de ce téméraire critique est de dépouiller la doctrine de saint Augustin de tout ce qu'elle a de solide et de consolant, pour n'y laisser, s'il pouvoit, que des difficultés et des sujets de dispute, ou même de désespoir et de murmure. Mais si l'on apporte à la déduction que nous allons commencer tant de la doctrine de ce Père que des erreurs de M. Simon sur le dogme de la grace, l'attention que mérite un discours de cette nature, j'espère qu'on trouvera que tout ce qu'a dit saint Augustin pour établir l'humilité, est aussi plein de consolation que ce qu'a dit M. Simon pour flatter l'orgueil est sec et vain.

LIVRE X.

SEMI-PÉLAGIANISME DE L'AUTEUR. ERREURS IMPUTÉES A SAINT AUGUSTIN. EFFICACE DE LA GRACE. FOI DE L'ÉGLISE PAR SES PRIERES, TANT EN ORIENT QU'EN

OCCIDENT.

CHAPITRE PREMIER.

Répétition des endroits où l'on a montré ci-dessus que notre auteur est un manifeste semi-pélagien à l'exemple de Grotius.

La première erreur de ce critique sur l'article de la grace chrétienne est, sous prétexte de suivre l'antiquité, de s'être déclaré semi-pélagien. Lui et les critiques ses semblables ont peine à reconnoître cette secte; et il est vrai qu'elle n'a point fait de schisme dans l'Eglise, à cause que toujours liée de communion avec le Saint-Siége, à la fin elle a cédé à ses décisions; mais l'hérésie qu'elle enseignoit n'en est pas moins condamnable, puisqu'en effet elle a été condamnée par les papes et par les conciles, nommément par celui d'Orange et en dernier lieu par celui de Trente: en quoi l'Eglise a suivi le jugement de saint Augustin, où nous avons vu que cette créance semi-pélagienne, qu'il avoit suivie avant que de l'avoir bien examinée, étoit une erreur, un sentiment condamnable, damnabilem sententiam1. On en peut voir les passages dans les pages précédentes 2, et l'on y peut voir en même temps que M. Simon se déclare pour les sentimens que saint Augustin rétractoit comme étant les sentimens des anciens, dans lesquels par conséquent les adversaires de ce Père, c'est-àdire ceux qu'on appelle les Marseillois ou les Provençaux, et les semi-pélagiens avoient raison de persister. Ainsi selon les idées de M. Simon, leurs sentimens avoient tous les caractères de la vérité; et ceux où saint Augustin est mort et que toute l'Eglise a suivis, tous les caractères d'erreur. Ce Père, dit notre auteur, étoit seul de son avis; il abandonnoit sa propre créance, qui étoit celle de l'antiquité : il alloit en reculant, comme ceux dont il est

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1 Lib. II Retract.; lib. De prædest. SS., cap. III, n. 7. 2 Ci-dessus, lib. VI, cap. VI, VII, XIII, XIV, XV, XVI.

écrit, que « leur progrès est en mal: » proficient in pejus1: l'Eglise qui l'écoutoit comme le défenseur de la tradition reculoit avec lui ainsi avec Grotius 2, on tire avantage des Rétractations de saint Augustin pour s'affermir dans une doctrine qu'il a condamnée, au lieu de s'en servir pour se corriger, et l'Eglise est reprise pour n'avoir pas approuvé la doctrine que ce Père rétractoit.

Je plains Grotius dans son erreur. Nourri hors du sein de l'Eglise, dans les hérésies de Calvin, parmi les nécessités qui ôtoient à l'homme son libre arbitre et faisoient Dieu auteur du péché, quand il voit paroître Arminius qui réformoit ces réformes, et détestoit ces excès des prétendus réformateurs, il croit voir une nouvelle lumière et se dégoûte du calvinisme. Il a raison; mais comme hors de l'Eglise il n'avoit point de règle certaine, il passe à l'extrémité opposée. La haine d'une doctrine qui détruit la liberté le porte à méconnoître la vraie grace des chrétiens; saint Augustin, dont on abusoit dans le calvinisme, lui déplaît; en sortant des sentimens de la secte où il vivoit, il est emporté à tout vent de doctrine, et donne comme dans un écueil dans les erreurs sociniennes. Il s'en retire avec peine tout brisé pour ainsi dire, et ne se remet jamais de ce débris. On trouve partout dans ses écrits des restes de ses ignorances: plus jurisconsulte que philosophe et plus humaniste que théologien, il obscurcit la doctrine de l'immortalité de l'ame : ce qu'il y a de plus concluant pour la divinité du Fils de Dieu, il tâche de l'affoiblir et de l'ôter à l'Eglise : il travaille à obscurcir les prophéties qui prédisent le règne du Christ: nous en avons fait la preuve ailleurs 3. Parmi tant d'erreurs il entrevoit quelque chose de meilleur; mais il ne sait point prendre son parti, et il n'achève jamais de se purifier, faute d'entrer dans l'Eglise. Encore un coup, je déplore son sort. Mais qu'un homme né dans l'Eglise, élevé à la dignité du sacerdoce, instruit dans la soumission qu'on doit aux Pères, ne sache pas se débarrasser des erreurs semi-pélagiennes, et ne défende saint Augustin que dans les endroits où saint Augustin plus éclairé confesse lui-même son erreur qu'après avoir affoibli autant qu'il a pu la tradition du

1 II Timoth., III, 13. - 2 Ci-dessus, liv. VI et VII. 3 Ci-dessus, liv. III.

péché originel, il affoiblisse encore celle de la grace, et soutienne impunément à la face de tout l'univers des erreurs frappées d'anathème, encore tout nouvellement dans le concile de Trente, c'est une plaie à la discipline que l'Eglise ne souffrira pas.

CHAPITRE II.

Autre preuve démonstrative du semi-pelagianisme de M. Simon dans l'approbation de la doctrine du cardinal Sadolet.

Il se déclare encore plus ouvertement dans l'examen des Commentaires sur saint Paul du cardinal Jacques Sadolet, évêque de Carpentras. On ne peut pas refuser à ce cardinal, je ne dirai pas la louange de la politesse, de l'éloquence, de l'esprit, qui sont de foibles avantages dans un docteur de l'Eglise tel qu'il étoit par sa charge, mais encore celle d'un zèle désintéressé pour le renouvellement de la discipline. Néanmoins ce n'est pas sans raison qu'un cardinal, plus savant que lui, a averti « les modernes qui croyoient mieux réfuter les hérétiques, en s'éloignant des principes de saint Augustin, du péril extrême où ils se mettoient1. » Ce péril, dont les avertit Baronius, est celui de tomber dans un manifeste semi-pélagianisme, ainsi que M. Simon fait voir qu'il est arrivé au cardinal Sadolet. « Il semble, » dit notre critique, en parlant de son Commentaire sur l'Epitre aux Romains, «que ce cardinal n'ait eu en vue que de s'opposer aux sentimens durs de Luther et de quelques autres novateurs sur la prédestination et le libre arbitre. » C'est lui donner un dessein digne d'un évêque et d'un cardinal; mais il le tourne un peu après d'une autre manière « L'on croiroit, dit-il, qu'il n'auroit eu d'autre dessein que de combattre la doctrine de saint Augustin, que Luther et Calvin prétendoient leur être favorable 3. » On voit d'abord l'affectation d'unir le dessein de s'opposer à Luther, à celui de s'opposer à saint Augustin. Ce malin auteur met en vue ces deux choses comme connexes. Il n'en est pas moins coupable, pour le faire artificieusement sous le nom de Sadolet, puisqu'enfin c'est lui qui parle, c'est lui qui fait ces réflexions, où l'on met en comparaison saint 1 Baron., tom. VI, ad ann. 490, p. 449. 2 P. 550. — 3 P. 553.

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