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CHAPITRE V.

Que M. Simon fait un crime à saint Augustin de l'efficace de la grace: ce que c'est selon ce critique que d'être maitre du libre arbitre ENTIÈREMENT, et que son idée est pelagienne.

Il est vrai qu'à son ordinaire, toujours ambigu et enveloppé, il dit que ces hérétiques abusoient de ces passages, et que par là il paroît avoir dessein de condamner leur erreur; mais ce n'est, selon sa coutume, que pour les justifier aussitôt après par ces paroles: «Toute l'antiquité, ajoute-t-il, qui s'étoit opposée fortement aux gnostiques et aux manichéens, qui ruinoient la liberté de l'homme, sembloit parler en leur faveur 1. » En quoi parler en leur faveur ? En ce qu'ils soutenoient le libre arbitre contre ces hérétiques. Il n'auroit donc pas fallu dire que l'antiquité sembloit parler, mais qu'elle parloit effectivement en leur faveur, n'y ayant jamais eu aucun doute sur le libre arbitre dans l'antiquité, c'est-à-dire, non-seulement dans le temps qui a précédé celui des · Pélagiens, mais encore dans ce temps-là même. Ainsi quand notre auteur insinue que l'antiquité favorisoit les pélagiens, ce n'étoit pas par rapport au libre arbitre dans le fond; mais dans l'abus qu'ils en faisoient, c'est-à-dire dans la confiance téméraire qu'ils avoient dans leur liberté « en se croyant entièrement maîtres de leurs actions; » et parce que saint Augustin combattoit cette orgueilleuse puissance et faisoit voir que sans détruire le libre arbitre, Dieu savoit le faire fléchir où il vouloit, en quoi consistoit un des principaux secrets de la doctrine de la grace, le même auteur insinue encore que ce Père changea alors l'état de la tradition et opposa aux pélagiens ses sentimens outrés, ce qu'il exprime en ajoutant « qu'il poussa trop loin ses principes 3. »>

Mais afin qu'on ne doute pas en quoi il estime qu'il les poussa trop loin, il s'en explique en un autre endroit, lorsqu'il blâme saint Augustin d'avoir voulu obliger Pélage à reconnoître une grace par laquelle « Dieu ne nous donne pas seulement le pouvoir d'agir et son secours, mais par laquelle il opère aussi le vouloir et l'action même 3. » Pour lui il ne permet pas qu'on pousse la chose 1 P. 290.. 2 Ibid. - 3 P. 297.

plus loin

que de dire que, « pour ce qui est du bien, nous ne voulons rien et nous ne faisons rien sans le secours de Dieu. » C'est tout ce qu'il peut souffrir à saint Augustin. « Et, dit-il, s'il pousse quelquefois sa pensée jusqu'à établir une grace qui nous fasse agir efficacement, il étend trop loin ses principes 1. »

Ce quelquefois est tout à fait de mauvaise foi, ou d'une extrême ignorance. Car de dire que saint Augustin n'ait établi que quelquefois une grace qui nous fasse agir efficacement, on en sera démenti à toutes les pages qu'on voudra ouvrir de ses divins écrits. Ou il n'a jamais établi cette sorte de grace, ou il l'a établie un million de fois et partout. Car partout cette efficace revient, et le quelquefois n'a point de lieu. C'est aussi d'où je conclus que cette partie de la doctrine de saint Augustin ne peut avoir été ignorée de personne; d'où il s'ensuit que les papes qui ont approuvé la doctrine de ce Père, non-seulement sur la grace, mais encore sur le libre arbitre, de gratiâ et libero arbitrio 2, ne peuvent l'avoir approuvée que dans la présupposition « d'une grace qui nous fasse agir efficacement; » et que si c'est en cela que saint Augustin, comme l'enseigne M. Simon, « étend trop loin ses principes,» l'Eglise qui a réprimé ceux qui l'accusoient d'avoir excédé est complice de ses excès.

CHAPITRE VI.

Que M. Simon continue à faire un crime à saint Augustin de l'efficace de la grace trois mauvais effets de la doctrine de ce critique.

Cette erreur de M. Simon règne dans tout son ouvrage. Cette grace, qui tourne les cœurs comme il lui plaît, qu'on appelle par cette raison « la grace efficace, parce qu'elle agit efficacement en nous et qu'elle nous fait effectivement croire en Jésus-Christ, » est partout l'objet de son aversion 3; partout il trouve mauvais que saint Augustin ait enseigné « que ceux à qui Dieu accorde cette grace ne la rejettent jamais, parce qu'elle ne leur est donnée que pour ôter entièrement la dureté de leurs cœurs . » Il loue

1 P. 297. Epist. Hormisd. ad Poss. - 3 P. 294, 295 et suiv. De prædest. SS., cap. VIII.

D

4 S. Aug..

saint Chrysostome de n'avoir point eu recours à cette grace 1, qu'il appelle par dérision « la grace efficace de saint Augustin", »> comme si ce Père en étoit l'auteur; au lieu que certainement on la trouve dans tous les saints et même dans saint Chrysostome, et qu'elle est aussi ancienne que les prières de l'Eglise, où elle se fait remarquer à toutes les pages. C'est pour exclure cette grace qu'il aime à dire et à faire dire aux anciens auteurs, sans correctif, « que l'homme est le maître de sa perte et de son salut que son salut et sa perte dépendent absolument de lui: qu'il est entièrement maître de ses actions 3; » ce qui au sens naturel emporte l'exclusion de ces voies secrètes de changer les cœurs, qu'on trouve dans tous les Pères, et non-seulement dans toutes les prières de l'Eglise, mais encore dans toutes les pages des Livres divins.

Aussi est-ce un fait si constant, que personne ne le nie. On dispute bien dans l'Ecole de la manière dont Dieu touche l'homme de telle sorte qu'il lui persuade ce qu'il veut, et des moyens de concilier la grace avec le libre arbitre; et c'est sur quoi saint Augustin même n'a peut-être voulu rien déterminer, du moins fixement, content au reste de tous les moyens par lesquels on établiroit le suprême empire de Dieu sur tous les cœurs. Pour le fond, qui consiste à dire que Dieu meut efficacement les volontés comme il lui plaît, tous les docteurs sont d'accord qu'on ne peut nier cette vérité, sans nier la toute-puissance de Dieu et lui ôter le gouvernement absolu des choses humaines; mais encore que cette doctrine de l'efficace de la grace, prise dans son fond, soit reçue sans contestation dans toute l'Ecole, M. Simon ne craint pas de la confondre avec la doctrine des hérétiques; ce qui fait trois mauvais effets: le premier, de mettre saint Augustin qui constamment, selon lui, reconnoît cette efficace de la grace, au nombre des hérétiques; le second, de mettre par ce moyen la cause des hérétiques à couvert, en leur donnant un défenseur que personne ne condamne; et le troisième, de condamner un dogme sans lequel il n'est pas possible de prier, comme nous verrons bientôt que toutes les prières de l'Eglise nous le font sentir.

1 P. 154. - P. 296.3 P. 121, 290.

CHAPITRE VII.

Le critique rend irrépréhensibles les hérétiques, qui font Dieu auteur du péché en leur donnant saint Augustin pour défenseur.

L'excuse que M. Simon prépare à nos hérétiques s'étend encore plus loin, puisqu'elle va même à les rendre irrépréhensibles en ce qu'ils font Dieu auteur du mal. Nous avons vu1 pour une autre fin, quelques endroits où il attribue constamment cette doctrine impie à saint Augustin; et le premier, lorsqu'en parlant de Pélage: «Il s'accorde, dit-il, avec les anciens commentateurs, dans l'interprétation de ces paroles : » Tradidit illos Deus, etc. « Dieu les a livrés à leurs désirs, » bien qu'il soit éloigné de saint Augustin 2. » Mais en quoi s'éloigne-t-il de saint Augustin? les paroles suivantes le montrent : « Cette expression, poursuit-il, ne marque pas, dit Pélage, que Dieu ait livré lui-même les pécheurs aux désirs de leur cœur, comme s'il étoit la cause de leurs désordres. » S'il s'éloigne de saint Augustin en ce qu'il ne fait pas Dieu auteur des désordres, saint Augustin l'en fait donc l'auteur. Voilà par un même coup ce Père au rang des impies qui font Dieu auteur du mal, et les hérétiques hors d'atteinte, puisqu'on ne pourra plus les condamner qu'avec un docteur si approuvé.

Nous avons aussi remarqué encore pour une autre fin, l'endroit où blamant Bucer d'autoriser, par les anciens Pères, sa doctrine sur la cause de l'endurcissement des pécheurs, il lui répond « qu'à la réserve de saint Augustin, toute l'antiquité lui est contraire 3.> Il demeure pourtant d'accord « que Bucer, Luther et Calvin établissent également la souveraine puissance de Dieu sans avoir aucun égard au libre arbitre de l'homme: » ce qui emporte que Dieu est auteur du mal comme du bien; et malgré l'impiété de cette doctrine, quelques louanges qu'il fasse semblant de vouloir donner à saint Augustin, il abandonne ce Père à ces hérésiarques, comme un docteur de néant.

On voit par là le mauvais esprit dont il est emporté. Lorsqu'il Ci-dessus, liv. V, chap. VII. — - 2 P. 240. - 3 Ci-dessus, liv. VII, chap. IV. - P. 747.

blâme les erreurs d'un côté, il les autorise de l'autre. Il est vrai qu'il paroît contraire à la doctrine qui fait Dieu auteur du péché ; mais en même temps il la met au rang des doctrines irrépréhensibles, en lui donnant un partisan tel que saint Augustin; de sorte que plus il improuve une doctrine dont il rend la condamnation impossible, plus il plaide la cause de la tolérance.

Pour donner encore plus d'autorité à ce sentiment impie qui fait Dieu auteur du péché, il implique saint Thomas avec saint Augustin dans cette cause1, et ose faire des leçons au dernier sur la doctrine qu'il a établie dans les Livres contre Julien et dans celui de la Grace et du Libre arbitre, comme s'il étoit l'arbitre des théologiens, au lieu que bien constamment l'ignorance qu'il fait paroître dans tous les endroits où il traite cette matière, fait voir qu'il ne sait pas les premiers principes.

CHAPITRE VIII.

On commence à proposer l'argument des prières de l'Eglise. Quatre conséquences de ces prières remarquées par saint Prosper, dont la dernière est que l'efficace de la grace est de la foi.

Pour le montrer avec une évidence qui ne puisse laisser aucun doute, réduisons d'abord à deux chefs les erreurs qu'il attribue à saint Augustin sur le libre arbitre : le premier chef regarde la manière dont ce Père fait agir Dieu dans les bonnes œuvres; le second regarde celle dont il le fait agir dans les mauvaises.

Dans les bonnes œuvres, ce que M. Simon, le censeur des Pères et l'arbitre de la doctrine a trouvé mauvais, c'est que saint Augustin ait établi une grace qui nous fasse croire effectivement et à laquelle nul ne résiste, à cause qu'elle est donnée pour ôter l'endurcissement et la résistance. Mais c'est précisément une telle grace que toute l'Eglise demande; et c'est par où il faut montrer à M. Simon qu'il ne peut ici s'opposer à saint Augustin sans renverser le fondement de la piété avec celui de la prière.

Donnons donc un peu de temps à rappeler dans la mémoire des lecteurs les Prières ecclésiastiques, telles qu'elles se font par toute

1 P. 475.2 P. 299.

TOM. IV.

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