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Dieu nous enseigne, est qu'on en vienne à l'effet; et c'est aussi ce que la prière apprenoit à saint Chrysostome.

Et tant s'en faut que ce saint docteur soupçonnât que cette prière et la vertu de la grace qu'on y demandoit, affoiblissent le libre arbitre, qu'il s'en sert au contraire pour l'établir, puisqu'il trouve tout ensemble dans la prière, et l'instruction de ce qu'on doit faire librement pour plaire à Dieu, et le secours qu'on doit demander pour l'exécuter. On verra dans tout le discours de saint Chrysostome, qu'il fait toujours marcher ensemble ces deux choses; et saint Augustin n'a pas un autre esprit, lorsqu'il enseigne que le commandement et la prière sont unis ensemble, puisque nous ne devons demander à Dieu que ce qu'il commande, comme il ne commande rien que ce dont il nous ordonne de lui demander l'actuel accomplissement : en sorte, dit-il, que le précepte n'est qu'une invitation à prier, comme la prière est le moyen sûr d'obtenir l'accomplissement du précepte.

CHAPITRE XIII.

Abrégé du contenu dans les prières, où se trouve de mot à mot toute la doctrine de saint Augustin: la discussion des Pères peu nécessaire : erreur de M. Simon, qui loue saint Chrysostome de n'avoir point parlé de grace efficace.

Il n'y a donc plus qu'à recueillir, en peu de paroles, les prières de l'Eglise pour y voir ce qu'elle a cru de l'efficace de la grace. On demande à Dieu la foi et la bonne vie, la conversion, qui comprend le premier désir et le commencement de bien faire; la continuation, la persévérance, la délivrance actuelle du péché; par d'autres façons de parler, toujours de même sens et de même force, on lui demande qu'il donne de croire, qu'il donne d'aimer, qu'il donne de persévérer jusqu'à la fin dans son amour : on lui demande qu'il fasse qu'on croie, qu'il fasse qu'on aime, qu'il fasse qu'on persévère. L'effet qu'on attend de cette prière n'est pas seulement qu'on puisse aimer, qu'on puisse croire; mais que Dieu agisse de sorte qu'on aime, qu'on croie. Or c'est un principe certain de saint Augustin, mais évident de soi-même, qu'on ne demande à Dieu que ce qu'on croit qu'il fait; autrement, dit le même

Père, « la prière seroit illusoire, irrisoria; faite vainement et par manière d'acquit, perfunctoriè, inaniter. » On croit donc sérieusement et de bonne foi que fait Dieu véritablement tout cela, et ces demandes sont fondées sur la foi. On les fait en Occident comme en Orient, et dès l'origine du christianisme; c'est donc la foi de tous les temps, comme celle de tous les lieux : quod ubique, quod semper, et en un mot la foi catholique.

On voit maintenant la raison qui a fait dire à saint Augustin qu'il n'étoit pas nécessaire d'examiner les écrits des Pères sur la matière de la grace, sur laquelle ils ne s'étoient expliqués que brièvement et en passant, transeunter et breviter1. Mais ils n'avoient pas besoin de s'expliquer davantage, non plus que nous d'entrer plus profondément dans cette discussion, puisque sans tout cet examen les prières de l'Eglise montroient simplement ce que pouvoit la grace de Dieu; Orationibus autem Ecclesiæ simpliciter apparebat Dei gratia quid valeret. Remarquez ces mots : Quid valeret, ce que la grace pouvoit ; c'est-à-dire que ces prières nous en découvroient, non-seulement la nécessité, mais encore la vertu et l'efficace; et ces qualités de la grace, dit saint Augustin, parois sent fort nettement et fort simplement dans la prière, simpliciter. Ce n'est pas qu'elles ne paroissent dans les écrits des saints Pères, où le même saint Augustin les a si souvent trouvées; mais c'est que cette doctrine du puissant effet de la grace ne paroissoit si pleinement, si nettement, si simplement nulle part que dans les prières de l'Eglise. Quand on prie, on sent clairement et dans une grande simplicité, non-seulement la nécessité, mais encore la force de la prière et de la grace qu'on y demande pour fléchir les cœurs. Dans la plupart des discours des Pères, comme ils disputent contre quelqu'un qui n'est attentif qu'à prendre ses avantages, ils craignent de dire ou trop ou trop peu; mais dans la prière, ou publique ou particulière, chacun est entre Dieu et soi : on épanche son cœur devant lui; et sans craindre que quelque hérétique abuse de son discours, on dit simplement à Dieu ce que son esprit fait

sentir.

Ç'a donc été à M. Simon une erreur grossière et une pernicieuse 1 De prædest. SS., cap. xiv, n. 27. — 2 Ibid.

ignorance d'avoir loué saint Chrysostome de ne parler point de grace efficace. Quand il n'en auroit point parlé dans ses discours, ce qui n'est pas, il en a parlé dans ses prières. Il a très-bien entendu, comine on vient de voir, qu'il en parloit; et il en parloit simplement, puisqu'il en parloit à Dieu dans l'effusion de son cœur. Ce n'est pas ici une matière où l'Eglise ait besoin de laborieuses disputes; et comme dit saint Augustin, elle n'a, sans disputer, qu'à être attentive aux prières qu'elle fait tous les jours: Prorsus in hac re non operosas disputationes expectet Ecclesia, sed attendat quotidianas orationes suas1.

CHAPITRE XIV.

Erreur de s'imaginer que Dieu ôte le libre arbitre en le tournant où il lui plait modèle des prières de l'Eglise dans celles d'Esther, de David, de Jérémie, et encore de Daniel.

Notre auteur croit bien raffiner lorsqu'il dit que ces expressions que Dieu donne et que Dieu fait, n'empêchent pas l'exercice du libre arbitre. C'est précisément ce qu'on prétend, et ce que saint Augustin a prétendu démontrer par ces prières. Ce qu'il prétend, encore un coup, c'est de démontrer que Dieu donne, et que Dieu opère cet exercice du libre arbitre en la manière qu'il sait, et qu'il n'a garde de détruire en l'homme ce qu'il y a fait et ce qu'il lui donne. Car pour ici laisser à part les prières de l'Eglise et remonter à la source de l'Ecriture, lorsque dans l'extrême péril de la reine Esther, qui s'exposoit à la mort en se présentant au roi son mari hors de son rang sans être appelée, elle se mit en prière et y mit tous les Juifs, et que l'effet de cette prière fut « que Dieu tourna en douceur l'esprit du roi : » convertit Deus spiritum regis in mansuetudinem2; en sorte qu'Assuérus, « qui avoit d'abord regardé la reine avec des yeux terribles, comme un taureau furieux 3, » ainsi que saint Augustin a lu' après les Septante, donna le signe de grace, « en étendant son sceptre d'or vers cette princesse3, » et lui promit de faire ce qu'elle voudroit: Dieu lui ôta-t-il son libre ar

1 De dono persev., cap. vii, n. 15. Lib. I ad Bonif., cap. xx. - ›

-

2 Esther, XV, 11.-
Esther, V,
2.

3 Esther, XV, 10. –

bitre, ou l'Eglise prioit-elle Dieu de l'en priver? N'est-ce pas par son libre arbitre que ce roi sauva les Juifs et punit Aman? Et tout cela néanmoins fut l'effet de la prière « et de la secrète et trèsefficace puissance, par laquelle, dit saint Augustin, Dieu changea le cœur du roi, de la colère où il étoit à la douceur, et de la volonté de nuire à la volonté de faire grace1. »

Et lorsque David ayant appris qu'Achitophel, dont les conseils étoient écoutés comme des oracles, étoit entré dans le parti rebelle, il fit à Dieu cette prière : « Renversez, Seigneur, le conseil d'Achitophel. Cette prière ne fut-elle pas accomplie par le libre arbitre des hommes ? Ce fut sans doute par son libre arbitre que David renvoya Chusaï à Absalom3: ce fut par son libre arbitre que Chusaï proposa un mauvais conseil : ce fut par son libre arbitre qu'Absalom le préféra à celui d'Achitophel qui étoit meilleur ce fut néanmoins par tout cela que le conseil d'Achitophel fut renversé, et que la prière de David fut exaucée; et lorsque l'Ecriture dit que le conseil « d'Achitophel, qui étoit utile, fut dissipé par la volonté de Dieu, Domini nutus, » que nous dit-elle autre chose, sinon qu'il tourne où il veut le libre arbitre?

C'est sur les exemples de ces prières publiques et particulières que l'Eglise a formé les siennes ; et si l'on nous dit que ce sont là des coups extraordinaires et comme miraculeux de la main de Dieu, et qu'il ne faut pas croire pour cela qu'il se mêle de la même sorte dans les autres affaires des hommes, et en particulier dans celle du salut, c'est le comble de l'aveuglement; car au contraire, c'est du salut éternel des hommes que Dieu se mêle principalement. Ce n'étoit pas un secours extraordinaire et miraculeux que demandoit le Prophète, en disant Convertissez-moi; c'étoit néanmoins un secours très-efficace et tout-puissant, puisqu'il l'exprime en ces termes : « Convertissez-moi, et je serai converti, parce que vous êtes le Seigneur mon Dieu (qui pouvez tout sur ma volonté); car après que vous m'avez montré vos voies (de cette manière secrète et particulière que vous savez) j'ai frappé mes genoux en signe de douleur. On ne pouvoit pas exprimer plus II Reg.,

1 Lib. I ad Bonif. cap. xx. - 211 Reg., XV, 31.3 Ibid., 34.XVII, 7, etc. — 5 Ibid., 14. - Jerem., XXXI, 18, 19.

clairement cette grace toujours suivie de l'effet, quoique David l'exprime encore en moins de mots et avec autant d'énergie, lorsqu'il dit : « Aidez-moi, et je serai sauvé1, » nous faisant sentir en deux si courtes paroles cet infaillible secours avec lequel nul ne périt. Cent passages de cette sorte établissent, dans l'Ancien Testament, cette grace qui donne l'effet. Ils sont encore plus fréquens. dans le Nouveau; mais nous n'avons ici besoin que de l'Oraison Dominicale.

CHAPITRE XV.

Preuve de l'efficace de la grace par l'Oraison Dominicale.

:

L'esprit de cette divine prière n'est pas, par exemple, dans "cette demande : « Que votre nom soit sanctifié, » de faire dire au chrétien Seigneur, faites seulement que je puisse vous sanctifier et laissez-moi faire ensuite. Ce seroit présumer de soi-même, douter de la puissance que Dieu a sur nous et désirer trop foiblement un si grand bien. Jésus-Christ nous apprend donc à demander l'actuelle sanctification du nom de Dieu, l'actuel établissement de son règne en nous, en sorte que dans l'effet rien ne lui résiste : la parfaite conformité de notre volonté avec la sienne, ce qui sans doute ne se sauroit faire que par notre volonté; mais en la demandant à Dieu, on montre qu'il en est le maître.

Et quand on dit : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour, » pour ne point encore parler du sens spirituel de cette demande, on demande sans difficulté que nous l'ayons actuellement et tous les jours, ce pain nécessaire à notre vie; ce qui n'empêchera pas qu'il ne nous soit donné par notre travail volontaire, et souvent par la bonne volonté et les aumônes de nos frères; auquel cas ce n'est pas moins Dieu qui nous le donne, parce que c'est lui qui tient en sa main la volonté de tous les hommes, et qui leur inspire effectivement tout ce qu'il lui plaît.

Mais de toutes les demandes de l'Oraison Dominicale, celles qui marquent le plus l'effet certain de la grace, sont les deux dernières : « Ne nous induisez point en tentation, mais délivrez-nous du mal. » Car, comme dit excellemment saint Augustin, a celui Psal. CXVIII, 117.

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