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qui est exaucé dans une telle prière, ne tombe point dans les tentations qui lui feroient perdre la persévérance 1. » Il aura donc ce présent divin par lequel très-certainement il est sauvé, et l'effet de cette prière est que Dieu nous mène actuellement au salut.

« Mais, poursuit saint Augustin, c'est par sa propre volonté qu'on abandonne Dieu et qu'on mérite d'être abandonné. Qui ne le sait pas ? Aussi c'est pour cela qu'on demande qu'on ne soit point induit en tentation, afin que cela n'arrive point; » c'est-àdire, afin qu'il n'arrive point, ni que nous quittions Dieu, ni qu'il nous quitte; a et si l'on est exaucé dans cette prière, et que ce mal n'arrive point, c'est que Dieu ne l'aura pas permis, étant impossible qu'il arrive rien que ce qu'il veut ou qu'il permet. Il peut donc et tourner au bien les volontés, et les relever du mal, et les diriger à ce qui lui est agréable, puisque ce n'est pas en vain qu'on lui dit : « Seigneur, vous nous donnerez la vie en nous convertissant ; » et encore : « Ne laissez point vaciller mes pieds 3; » et encore : « Ne me livrez point au pécheur par mon désir *; » et enfin : « Ne nous laissez point tomber en tentation 5. » Car celui qui ne tombe point dans la tentation, sans doute ne tombe point dans la tentation de la mauvaise volonté. Quand donc on demande à Dieu qu'il ne nous induise point en tentation, c'est-à-dire qu'il ne permette, qu'il ne souffre pas que nous y soyons induits, on reconnoît qu'il empêche notre mauvaise volonté. » Par où il est manifeste que c'est par la grace que nous sommes parfaitement délivrés du mal, c'est-à-dire principalement du mal du péché qui est le plus grand de tous, et à vrai dire le seul; ce qui ne seroit pas vrai, puisque nous n'évitons ce mal qu'avec notre libre arbitre, s'il n'étoit certain en même temps que Dieu empêche dans nos volontés tout le mal qu'il veut, et y met tout le bien qu'il lui plaît.

Quand j'allègue ici saint Augustin, ce n'est pas tant pour faire valoir une autorité aussi vénérable que la sienne, que pour faire sentir à M. Simon, et à tous ceux qui comme lui se bouchent les yeux pour ne point entrer dans sa doctrine, combien les preuves en sont invincibles. Au reste il est évident que l'Eglise n'a pas en2 Psal. LXXXIV, 7. 3 Psal. LXV, 9.

1 De dono persev., cap. vi, n. 11, 12. - Psal. CXXXIX, 9. -5 Matth. vi, 13.

TOM. IV.

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tendu autrement que lui l'Oraison Dominicale; car dans cette belle prière qui précède la communion, lorsqu'elle parle en ces termes : « Faites que nous soyons toujours attachés à vos commandemens, et ne permettez pas que nous soyons séparés de vous, » que veutelle dire autre chose, si ce n'est plus expressément et d'une manière plus étendue, ce que Jésus-Christ renferme dans ce peu de mots : « Ne nous induisez pas en tentation? » L'intention de JésusChrist n'est pas de nous faire demander que nous vivions sur la terre exempts de tentations, dans une vie où toutes les créatures nous sont une tentation et un piége. Ce qu'il veut que nous demandions, c'est qu'il ne nous arrive pas de tentation où notre vertu succombe ; et cela, qu'est-ce autre chose que de demander en d'autres termes, « qu'il nous tienne toujours attachés à ses commandemens, et qu'il ne permette pas que nous soyons séparés de lui? » Fac nos tuis semper inhærere mandatis, et à te nunquàm separari permittas. Il y a une force particulière dans ces mots : Ne permettez pas. Si nous sommes assez malheureux pour nous séparer de Dieu, il est sans doute que nous l'aurons voulu. L'Eglise demande donc que Dieu ne permette pas qu'un si grand mal nous arrive, et qu'il tienne notre volonté tellement unie à la sienne, qu'elle ne s'en sépare jamais.

Par ce moyen nous serons parfaitement délivrés du mal; et il faut encore remarquer comment l'Eglise entend cette demande : Libera nos à malo. Après l'avoir prononcée, elle ajoute incontinent: « Délivrez-nous de tout mal passé, présent et à venir. » Ce mal passé dont nous demandons d'être délivrés, ne peut être que le péché qui passe dans son action et qui demeure dans sa coulpe. Nous demandons donc d'être délivrés des péchés déjà commis, et de ceux que nous commettons de jour en jour, et en même temps préservés de tous ceux que nous pourrions commettre, par la grace qui nous prévient pour nous les faire éviter. Par ce moyen, nous obtiendrons la parfaite liberté des enfans de Dieu, qui consiste à n'être jamais assujettis au péché; et c'est pourquoi la prière se termine en demandant que nous soyons établis dans une paix qui nous fasse vivre « toujours affranchis du péché, et assurés contre tout ce qui nous pourroit troubler.»

Cela même n'est autre chose que demander la persévérance par une grace dont l'effet est double: l'un de nous faire toujours bien agir, et l'autre de nous empêcher toujours de mal faire. L'Eglise explique le premier, en priant Dieu que nous soyons toujours attachés au bien: Tuis semper inhærere mandatis ; et le second, en le priant qu'il ne permette jamais que, « nous tombions dans le mal, » et à te nunquàm separari permittas.

CHAPITRE XVI.

Saint Augustin a pris des anciens Pères la manière dont il explique l'Oraison Dominicale: saint Cyprien, Tertullien: tout donner à Dieu : saint Grégoire de Nysse.

Ceux qui trouveront que je m'arrête plus lontemps qu'il ne faudroit aux prières de l'Eglise, ne conçoivent pas de quelle importance il est de les bien entendre. Si saint Augustin a démontré, comme je fais après lui, qu'elles sont toutes fondées sur l'Oraison Dominicale, il n'a fait que suivre les pas des Pères qui ont écrit avant lui. On peut voir dans son Livre du Don de la Persévérance les beaux passages qu'il rapporte de saint Cyprien, principalement celui-ci sur ces paroles de l'Oraison Dominicale : « Que votre nom soit sanctifié; c'est-à-dire, qu'il le soit en nous, dit ce saint; » et ensuite « Après que Dieu nous a sanctifiés, il nous reste encore à demander, que cette sanctification demeure en nous; et parce que Notre-Seigneur avertit celui qu'il a guéri de ne pécher plus, de peur qu'il ne lui arrive un plus grand mal, nous demandons nuit et jour que la sanctification qui nous est venue de la grace, nous soit conservée par sa protection'. »

Le même saint Cyprien reconnoît que dans ces paroles : « Votre volonté soit faite dans la terre comme au ciel, » nous demandons, non-seulement que nous la fassions, mais encore que ceux qui ne sont pas convertis « et qui sont encore terre, deviennent célestes; » ce qui enferme la reconnoissance de la grace, qui change les cœurs de l'infidélité à la foi.

Ces sentimens venoient de plus haut, et on les trouve dans Ter1 Cypr., De Orat. Dominic.; August., De dono persev., cap. II.

tullien au Livre de l'Oraison, que saint Cyprien a imité dans celui qu'il a composé du même titre, sur ces paroles : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain de tous les jours. » Saint Cyprien, en interprétant ces paroles de l'Eucharistie, avoit dit : « Nous demandons. que ce pain nous soit donné tous les jours, de peur que, tombant dans quelque péché mortel et ce pain céleste nous étant interdit par cette chute, nous ne soyons séparés du corps de Notre-Seigneur ; » ce que Tertullien avoit expliqué par ces mots : « Nous demandons dans cette prière notre demeure perpétuelle en NotreSeigneur, et notre inséparable union avec le corps de JésusChrist. >> Tout tend à demander l'action, l'effet, l'actuel accomplissement, c'est-à-dire, sans difficulté, une grace qui donne tout cela par les moyens que Dieu sait.

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Mais il n'y a rien de plus clair que ces paroles de saint Cyprien : « Quand nous demandons que Dieu ne permette pas que nous tombions en tentation, nous demandons que nous ne présumions point de nos propres forces, que nous ne nous élevions pas dans notre cœur, que nous ne nous attribuions pas le don de Dieu, lorsque nous confessons la foi, ou que nous souffrons pour lui. » Nous demandons donc précisément ce qui dépend le plus du libre arbitre; et la source d'où naissent ces demandes, « c'est afin, dit le même saint, que notre prière étant précédée par une humble reconnoissance de notre foiblesse, il arrive qu'en donnant tout à Dieu, nous recevions de sa bonté ce que nous lui demandons d'un humble cœur. »

Il faut donc tout donner à Dieu, tout, dis-je, jusqu'au plus formel exercice de notre libre arbitre, parce qu'encore qu'il soit de nature à ne pouvoir être contraint et à ne devoir pas être nécessité, il peut être fléchi, ébranlé, persuadé par celui qui l'ayant créé, le tient toujours sous sa main; ce qui fait dire à l'Eglise, dans une de ses Collectes: Deus virtutum, cujus est totum quod est optimum: « Dieu des vertus, à qui appartient tout entier ce qu'il y a de plus excellent; » par conséquent les vertus, qui sont sans difficulté ce qu'il y a de meilleur parmi les hommes. Prière. admirable, dont saint Jacques avoit établi le fondement par ces 1 Apud August., De dono persev., cap. IV.

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paroles: «Tout présent très-bon et tout don parfait vient du Père des lumières 1. >>

Les Grecs expliquent l'Oraison Dominicale dans le même esprit que les Latins; et saint Grégoire de Nysse, dans ses homélies sur cette prière, s'accorde à reconnoître avec eux qu'on y demande tout ce qui appartient le plus au libre arbitre, comme d'être juste, pieux et éloigné du péché; de mener une vie sainte et irréprochable, et le reste de cette nature: par conséquent un secours qui donne non-seulement le pouvoir de toutes ces choses, mais en induise l'effet.

CHAPITRE XVII.

La prière vient autant de Dieu que les autres bonnes actions.

Et pour achever de donner à Dieu la gloire de tout le bien, il faut ajouter que la prière, qui nous fait voir que tout vient de Dieu par cette grace qui fléchit les cœurs, nous fait voir en même temps qu'elle-même est un des fruits de cette grace. Saint Augustin l'a prouvé par des preuves incontestables; et saint Ambroise disoit, avant lui, « que prier étoit encore un effet de la grace spirituelle qui, selon lui, fait pieux qui elle veut. » L'Ecriture y est expresse. Il est écrit dans le Prophète : « En ces jours je répandrai dans la maison de David, et sur les habitans de Jérusalem, l'esprit de grace et de prière 3. » Et quel sera l'effet de cet esprit? « Qu'ils me regarderont, moi qu'ils ont percé, et se frapperont la poitrine et s'affligeront comme on fait pour la mort d'un fils unique. Toute la terre sera en pleurs, famille à famille: la famille de David d'un côté, la famille de Nathan de l'autre, la famille de Lévi et les autres; » tant est tendre, tant est efficace cet esprit de gémissement, de prière et de componction que Dieu répandit sur son peuple, ou celui qu'il y répandra un jour, lorsque les Juifs tourneront les yeux vers ce Dieu qu'ils ont percé.

L'efficace de cet esprit paroît encore bien clairement dans ces paroles de saint Paul : « L'esprit prie pour nous avec des gémis

1 Jacob., I, 17. - Ambros, apud August., De dono persev., cap. XXII.

Zachar., XII, 10, 13.

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