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il rend graces de tout le bien que les hommes lui ont fait, ou par œuvres, ou par paroles, volontai rement ou involontairement, en comptant cette bonne volonté des autres, quoique sortie bien certainement de leur libre arbitre, comme un don de Dieu qui les meut. Il montre donc que Dieu fait en nous-mêmes le libre mouvement de nos cœurs; et finit ainsi sa prière : « Nous vous prions, Seigneur, de nous conserver une ame sainte, une bonne conscience et une fin digne de votre bonté : vous qui nous avez tant aimés que vous nous avez donné votre Fils, rendez-nous dignes de votre amour, ô Jésus-Christ, Fils unique de Dieu; faites-nous trouver la sagesse dans votre parole et dans votre crainte, etc. » C'est ainsi qu'on demande à Dieu ce qu'on fait soi-même, et qu'aussi on lui en rend graces comme d'une chose qui vient de lui. Il y a un instinct dans l'Eglise pour demander à Dieu, chacun pour soi et tous pour tous, non pas le simple pouvoir, mais le faire il y a encore un instinct pour lui rendre une action de graces particulière du bien que font ceux qui font bien. On ressent donc qu'ils ont reçu un don particulier de bien faire. On ne croit pas pour cela que leur libre arbitre soit affoibli, à Dieu ne plaise! ni que la prière lui nuise. Cet instinct vient de l'esprit de la foi, puisqu'il est dans toute l'Eglise. C'est donc un dogme constant et un article de foi que sans blesser le libre arbitre, Dieu le tourne comme il lui plaît, par les voies qui lui sont connues.

CHAPITRE XXI.

Ni les semi-pélagiens, ni Pelage même ne nioient pas que Dieu ne put tourner où il vouloit le libre arbitre si c'étoit le libre arbitre mème qui donnoit à Dieu ce pouvoir, comme le disoit Pélage: excellente réfutation de saint Augustin.

La doctrine qui reconnoît Dieu pour infaillible moteur du cœur humain est si constante dans l'Eglise, que les semi-pélagiens, tout

1 Hom. x ad Coloss., n. 3.

cisément le lieu où souffrent les damnés. Ainsi l'on doit dire que le saint homme, qui rendoit graces à Dieu pour l'enfer et pour le royaume des cieux, se proposoit uniquement de glorifier la justice et la miséricorde de Dieu. On ne pourroit concevoir sans cette explication ce que signifient ces actions de graces rendues pour l'enfer. (Note de la ire édition.)

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attachés qu'ils étoient à élever le libre arbitre au préjudice de la grace, ne l'ont pas nié; au contraire ils l'outrent plutôt lorsqu'ils disent qu'il y en a «que Dieu force malgré qu'ils en aient à faire le bien, qu'il attire, soit qu'ils le sachent ou non, malgré toute leur résistance, et soit qu'ils le veuillent, ou qu'ils ne le veuillent pas 1. » Je ne crois pas qu'en parlant ainsi, Cassien, le père des semi-pélagiens, ait voulu dire qu'en émouvant l'homme, Dieu lui ôtât absolument son libre arbitre, pour lequel il combat tant dans les endroits mêmes d'où ces paroles sont tirées; mais, quoi qu'il en soit, il parle de sorte qu'il donne lieu à saint Prosper de le reprendre de partager mal à propos le genre humain, et de nier dans les uns le libre arbitre, et la grace dans les autres. Il n'y a nul inconvénient que des esprits, à qui la justesse et la profondeur manquent et qui se laissent dominer à leur prévention, agissant par des mouvemens irréguliers, outrent d'un côté ce qu'ils relâchent de l'autre. Ce qui est certain, c'est qu'ils avouent que Dieu change les volontés comme il lui plaît, ainsi que saint Prosper le reconnoît; et qu'à regarder la consommation des bonnes œuvres et l'exclusion parfaite du péché, ils parlent à peu près comme les autres docteurs, se réservant de laisser, quand ils vouloient, au libre arbitre le commencement de la piété, encore que quand ils vouloient ils le donnassent aussi à la grace.

Le fond de cette doctrine venoit de Pélage, dont saint Augustin rapporte un mémorable passage, où il reconnoît « que Dieu tourne où il lui plaît le cœur de l'homme, » ut cor nostrum quò voluerit Deus ipse declinet *. «Voilà, dit saint Augustin, un grand secours de la grace de tourner le cœur où il lui plaît; mais, poursuit ce Père, Pélage veut qu'on mérite ce secours par le pur exercice de son libre arbitre; lorsque nous souhaitons que Dieu nous gouverne; lorsque nous mortifions notre volonté, que nous l'attachons à la sienne; et que devenant avec lui un même esprit, nous mettons notre cœur en sa main, en sorte qu'il en fait après tout ce qu'il veut. Pélage n'a donc pu nier que Dieu peut tout

1 Cass., Collat., XIII, cap. XVII, XVIII. 2 Contr. Collat., n. 21 - 3 Collat., III, cap. xv; Collat., IX, cap. XXIII; Collat., XII, cap. IV, VI; Collat., XIII, cap. 1%, XI, XII, XIV et seq. - De gratiâ Christ., lib. I, cap. XXIII.

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5 Ibid., cap. XXIV.

sur le libre arbitre de l'homme. Cette vérité étoit établie par trop de témoignages de l'Ecriture et trop constante dans l'Eglise pour être niée; et tout ce que put inventer cet hérésiarque en faveur du libre arbitre, c'est que si Dieu avoit un pouvoir si absolu sur nos volontés, c'étoit nous-mêmes qui le lui donnions; mais saint Augustin le force dans ce dernier retranchement, par ces paroles « Je voudrois bien qu'il nous dît si Assuérus, ce roi d'Assyrie, dont Esther détestoit la couche, pendant qu'il étoit assis sur son trône, chargé d'or et de pierreries, et regardoit cette sainte femme avec un œil terrible comme un taureau furieux, s'étoit déjà tourné du côté de Dieu par son libre arbitre, souhaitant qu'il gouvernât son esprit et qu'il mit son cœur en sa main? Ce seroit être insensé de le croire ainsi, et néanmoins Dieu le tourna où il vouloit et changea sa colère en douceur, ce qui est bien plus admirable que s'il l'avoit seulement fléchi à la clémence, sans l'avoir trouvé possédé d'un sentiment contraire 1. » Afin donc d'avoir tout pouvoir sur le cœur de l'homme, Dieu n'attend pas que l'homme le lui donne. « Qu'ils disent donc, poursuit ce Père, et qu'ils entendent que par une puissance cachée et aussi absolue qu'elle est ineffable, »> sans l'emprunter de personne, « Dieu opère dans le cœur de l'homme toutes les bonnes volontés qu'il lui plaît. >>

CHAPITRE XXII.

La prière de Jésus-Christ pour saint Pierre : J'ai prié pour toi, en saint Luc, xxII, 32 application aux prières de l'Eglise.

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Jésus-Christ a déclaré très-manifestement cette puissance dans cette prière qu'il fait pour saint Pierre : « J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point. » Personne ne doute que saint Pierre ne dût croire par sa volonté, et par conséquent que ce ne fût le libre exercice de la volonté que Jésus-Christ demandoit pour lui. On ne doute pas non plus que le Fils de Dieu n'ait été exaucé dans cette demande, puisqu'il dit lui-même à son Père : Je sais que vous m'exaucez toujours 2, » ni par conséquent que ce libre arbitre si foible, par lequel dans quelques heures cet apôtre devoit 1 De gratiâ Christi, lib. I, cap. XIV. - 2 Joan., XI, 14.

renier son maître, après la prière de Jésus-Christ ne dût être fortifié en son temps, jusqu'à devenir invincible. Par conséquent on ne doute pas que Dieu ne puisse tout sur nos volontés. C'est en cette foi que l'Eglise demande à Dieu qu'il convertisse les pécheurs, et qu'il donne aux justes l'actuelle persévérance. Elle prie au nom de Jésus-Christ, ou plutôt c'est Jésus-Christ qui prie en elle; il y est donc aussi exaucé. Il n'est pas permis de douter que tous ceux à qui il applique de la manière qu'il sait les prières de son Eglise, ne reçoivent secrètement en leur temps cette grace qui convertit, et qui fait persévérer jusqu'à la fin dans le bien. C'est donc une vérité qui ne peut être révoquée en doute, que Dieu a des moyens certains de faire tout le bien qu'il veut dans nos volontés; et ces moyens, quels qu'ils soient, c'est ce que l'Ecole appelle la grace efficace. Voilà le fond de la doctrine de saint Augustin. Si M. Simon la méprise et ne connoît point cette grace, qu'il ne trouve point dans Grotius et dans ses autres théologiens, la vérité de Dieu n'en est pas moins ferme et les prières ecclésiastiques n'en sont ni moins véritables, ni moins efficaces.

CHAPITRE XXIII.

Prière du concile de Selgenstad avec des remarques de Lessius.

Pour montrer que l'Eglise catholique n'a jamais dégénéré de cette doctrine, après avoir rapporté les anciennes prières, où elle se trouve si clairement établie, il ne sera pas hors de propos d'en réciter quelques-unes de celles qu'elle a produites dans les siècles postérieurs. En voici une du concile de Selgenstad, dans la province de Mayence, de l'an 1022, sous le pape Benoît VIII, composée pour être faite à l'ouverture des conciles et devenue en effet une prière publique de ces saintes assemblées : « Soyez présent au milieu de nous, Seigneur; Saint-Esprit, venez à nous, entrez dans nos cœurs, enseignez-nous ce que nous avons à faire; montrez-nous où nous devons marcher, soyez l'instigateur et l'auteur de nos jugemens; unissez-nous efficacement à vous par le don et par l'effet de votre seule grace, afin que nous soyons un en vous, et que nous ne nous écartions en rien de la vérité. »

Il ne faut point de commentaire à cette prière. On y voit clairement, comme le remarque Lessius qui la rapporte, qu'on « y demande au Saint-Esprit que les Pères du concile soient rendus véritablement et avec effet, reverà et cum effectu, unanimes dans leurs sentimens. » C'est ce qu'il trouve principalement dans ces paroles: « Unissez-nous efficacement à vous;» ce qu'il explique par ces autres termes : « Tirez-nous à vous de telle sorte que l'effet s'ensuive véritablement, en sorte que nous soyons unis en vous par une véritable charité; » à quoi le même auteur ajoute encore que le Saint-Esprit nous unit et nous tire à lui efficacement, lorsqu'il emploie cette manière de nous tirer par laquelle il sait que nous viendrons très-certainement, de notre plein gré toutefois; ce qui montre tout à la fois, et la liberté de l'action et la certitude de l'effet.

On voit par là que les auteurs qui sont le moins soupçonnés d'outrer l'efficace de la grace, la reconnoissent dans le fond : leurs sentimens sont unanimes sur cela; et ils concourent, comme nous verrons, à les trouver dans saint Augustin. Ce Père en effet n'en a jamais demandé davantage; c'est-à-dire, comme on a vu, qu'il n'a jamais demandé que ce que l'Eglise demande elle-même dans tous les temps et dans tous les lieux; et ainsi la manière toutepuissante dont Dieu agit dans le bien selon la doctrine de ce Père, quoi qu'en ait pu dire M. Simon, est reçue de toute l'Eglise catholique. Mais nous avons encore à démontrer que cet auteur n'est pas moins aveugle, lorsqu'il blâme la manière dont ce saint docteur fait agir Dieu dans le mal.

1 Disput. apolog., de gratiâ, etc., cap. xvIII, n. 6.

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