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l'ordre, et la fait servir à la beauté de l'univers et de l'Eglise. Il faut donc entendre dans Dieu, lorsqu'il agit dans les pécheurs, cette opération divisante, s'il est permis de l'appeler ainsi. C'est que Dieu divise toujours ce qui est bon de ce qui est mauvais; et ne faisant dans le pécheur que ce qui est bon, ce qui convient, ce qui est juste, il arrange seulement le reste, et le fait servir à ses desseins; « en sorte, dit saint Augustin, qu'il est bien au pouvoir de l'homme de faire un péché; mais qu'il arrive par sa malice un tel ou un tel effet, cela n'est pas au pouvoir de l'homme, mais en celui de Dieu, qui a divisé les ténèbres et qui sait les mettre en leur rang » Non est in hominis potestate, sed Dei dividentis tenebras et ordinantis eas 1. Voilà tout ce que Dieu fait dans le péché; et en le faisant, dit ce Père, il demeure toujours bon et toujours juste.

CHAPITRE XVI.

La calomnie de l'auteur évidemment démontrée par deux conséquences

de la doctrine précédente.

Je tire de là contre notre auteur deux conséquences, qui ne peuvent être ni plus claires ni plus importantes pour le convaincre la première, que c'est en vain qu'il attribue à saint Augustin une doctrine particulière, puisque sa doctrine, qui n'est autre que celle qu'on vient d'entendre, ne disant rien qu'il ne faille dire nécessairement et que tout le monde en effet n'ait dit dans le fond, il s'ensuit que ce docte Père n'a pu sans témérité et sans ignorance être accusé de singularité en cette matière. Voilà ma première conséquence, qui ne peut pas être plus certaine; et la seconde est que d'imaginer dans la doctrine de ce Père quelque chose qui favorise les protestans, ce n'est pas seulement, comme je l'ai déjà dit, les autoriser en leur donnant saint Augustin pour protecteur, mais encore visiblement leur faire absolument gagner leur cause, puisque ce Père qu'on veut qui les favorise ne dit rien qu'il ne faille dire, et que tout le monde n'ait dit comme lui; en sorte qu'en se déclarant son ennemi, comme fait ouvertement M. Simon, on l'est de toute l'Eglise.

1 De pradest. SS., cap. XVI, n. 33.

CHAPITRE XVII.

Deux démonstrations de l'efficace de la grace par la doctrine précédente : première démonstration, qui est de saint Augustin.

A deux conséquences si importantes, j'en ajouterai une troisième qui ne l'est pas moins; c'est que, sans aller plus loin, l'efficace de la grace, tant rejetée par notre auteur, demeure prouvée par deux raisons démonstratives. La première est de saint Augustin dans ces paroles : « Si Dieu, dit-il, est assez puissant pour 'opérer, soit par les anges bons ou mauvais, ou par quelque autre moyen que ce soit, dans le cœur des méchans dont il n'a pas fait la malice, mais qu'ils ont ou tirée d'Adam ou accrue par leur propre volonté, peut-on s'étonner s'il opère par son esprit dans le cœur de ses élus tout le bien qu'il veut, lui qui a auparavant opéré que leurs cœurs de mauvais devinssent bons1? » C'est-àdire (pour recueillir tout ce qu'il a dit dans le discours précédent, dont ces dernières paroles sont le corollaire) quelle merveille, que celui qui fait ce qu'il veut des volontés déréglées qu'il n'a pas faites, fasse ce qu'il veut de la bonne volonté dont il est l'auteur! S'il est tout-puissant sur les méchans dont il ne meut les cœurs qu'indirectement et pour ainsi dire qu'à demi; quelle merveille, qu'il puisse tout sur les cœurs où sa grace développe toute sa vertu et agit avec une pleine liberté !

CHAPITRE XVIII.

Seconde démonstration de l'efficace de la grace par les principes de l'auteur.

Cette démonstration est confirmée par une autre que nous tirerons des principes mêmes de M. Simon. Selon lui la véritable interprétation de ces paroles : « Dieu les a livrés aux désirs de leurs cœurs » et à des péchés infâmes, est que Dieu a permis qu'ils y soient tombés; mais cette permission étant sans contestation une peine, puisque saint Paul la remarque comme une punition de l'idolâtrie, ceux qui ont persévéré dans l'idolâtrie ne l'auront pas 1 De gratia et lib. arb., cap. XXI.

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évitée et ne seront pas au-dessus de Dieu, qui les veut punir de cette sorte. Ils tomberont donc dans ces péchés affreux, et leur chute sera une suite de cette permission pénale. Quel en a donc été l'effet? Est-ce de pousser les hommes au mal? A Dieu ne plaise! c'est contre la supposition. Est-ce seulement de les laisser faire ou bien ou mal? Ce n'est pas l'intention de l'Apôtre, qui assure qu'après un premier péché, leur peine doit être une autre chute. Que si Dieu ne fait rien en eux pour les y pousser, cette peine consiste donc à leur soustraire quelque chose dont la privation les laisse entièrement à eux-mêmes, et ce quelque chose c'est la grace. Il y a ici deux partis à prendre les uns disent que cette permission qui livre les hommes au mal en punition de leurs péchés précédens, emporte la totale soustraction de la grace, sans laquelle on ne peut rien. Ce n'est pas là ce que doit dire M. Simon, puisqu'il faut selon ses principes, qu'en cela je crois très-probables, que Dieu veuille toujours sauver et guérir. D'autres disent donc que les graces que Dieu retire sont certaines graces, qui préparées et données d'une certaine façon, attirent un consentement infaillible et que faute de les avoir dans le degré que Dieu sait, on tombe dans ces péchés qui sont la peine des autres. Ces graces sont les efficaces, celles qui fléchissent le cœur. Si l'on ne tâche de les obtenir, si l'on ne veut pas même les connoître, on périt, et de péché en péché on tombe enfin dans l'enfer.

CHAPITRE XIX.

Suite de la même démonstration de l'efficace de la grace, par la permission des péchés où Dieu laisse tomber les justes pour les humilier. Passage de saint Jean de Damas.

C'est ce qui se confirme encore par une doctrine de tous les Pères et de tous les Spirituels anciens et nouveaux, que je ne puis mieux exprimer que par ces paroles de saint Jean de Damas, dans le chapitre de la Providence : « Dieu, dit-il, permet quelquefois qu'on tombe dans quelque action déshonnête pour guérir un vice plus dangereux; comme celui qui s'enorgueillit de ses vertus ou de ses bonnes œuvres, tombera dans quelque foiblesse,

TOM. IV.

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afin que reconnoissant son infirmité, il s'humilie devant Dieu et confesse ses péchés. » Un peu après : « Il y a un délaissement de permission et de ménagement, où Dieu permet une chute pour l'utilité de celui qui tombe, » ou « pour celle des autres, » ou « pour sa gloire particulière; » et « il y a un délaissement final et de désespoir, quand on se rend incorrigible par sa propre faute, » et « qu'on est livré, comme Judas, à la dernière et entière perte1. » Laissant maintenant à part ce dernier genre de délaissement, dont il faudra peut-être parler ailleurs, considérons ce délaissement miséricordieux où Dieu permet un péché, non pour perdre, mais pour sauver celui qui le commet. On peut dire de tels péchés que de même que l'Eglise chante du péché d'Adam qu'il a été vraiment nécessaire pour accomplir les desseins que Dieu avoit sur le genre humain, ainsi ce péché permis est nécessaire à ces ames pour parvenir au degré d'humilité et de grace que Dieu leur prépare par leur chute. C'est donc ici qu'il faut admirer les profonds conseils de Dieu dans la sanctification des ames. Car si c'est une merveille de sa sagesse d'avoir envoyé à saint Paul un ange de Satan pour empêcher qu'il ne s'élevât de ses grandes révélations, et de faire ainsi servir un esprit superbe à établir l'humilité dans cet Apôtre, combien plus est-il étonnant de faire servir à la destruction du péché, non pas le tentateur ni la tentation, mais le péché même ? Pour entendre de quelle sorte s'accomplit ce dessein de Dieu, je demanderai seulement ce qui seroit arrivé à cette ame dont nous avons vu que Dieu permet le péché, s'il n'avoit pas voulu le permettre? Sans doute il en auroit empêché la chute par une grace particulière. Il y a donc encore une fois de ces graces particulières qui sont faites pour empêcher les hommes de tomber effectivement. Ceux qui les ont ne tombent pas, ceux à qui Dieu les retire tombent; et par un conseil de miséricorde, il fait servir cette soustraction de sa grace à une grace plus abondante.

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CHAPITRE XX.

Permission du péché de saint Pierre, et conséquences qu'en ont tirées les anciens docteurs de l'Eglise grecque premièrement Origène : deux vérités enseignées par ce grand auteur, la première que la permission de Dieu en cette occasion n'est pas une simple permission.

Nous avons un grand exemple de cette sorte de délaissement en la personne de saint Pierre, et il est bon de considérer ce qu'en disent les Pères grecs, à qui M. Simon nous renvoie toujours. Origène, qu'on accuse ordinairement de n'être pas favorable à la grace, enseigne à cette occasion deux vérités où toute la doctrine de la grace est renfermée : la première, que le délaissement de cet apôtre ou la permission de le laisser tomber, n'est pas une simple permission ou un simple délaissement, mais une permission et un délaissement fait avec dessein, premièrement de le punir, et ensuite de le guérir de son orgueil. « Il a, dit-il, été délaissé à cause de son audacieuse promesse, et parce que sans songer à la fragilité humaine, il a proféré non-seulement avec témérité, mais presque avec impiété ce grand mot : « Je ne serai point scandalisé, quand tous les autres le seroient. » Il n'est pas délaissé médiocrement, ni pour une petite faute, ad modicum, en sorte qu'il reniât une seule fois seulement; mais il est encore davantage délaissé, abundantiùs derelinquitur, en sorte qu'il reniàt jusqu'à trois fois, pour être convaincu de la témérité de sa promesse1. »

Ce n'est pas en vain qu'on marque tant ce triple reniement de saint Pierre. Car si l'on y prend garde de près, cet apôtre s'opposa trois fois à la parole de son Maître : la première, devant le souper sacré, ou en tout cas avant que Notre-Seigneur fût sorti de la maison où il le fit, lorsqu'ayant répondu à saint Pierre qui lui demandoit où il alloit, « qu'il ne pouvoit l'y suivre encore, » cet apôtre lui soutint « qu'il le pouvoit, » et apprit dès lors de son Maître, qu'il le renieroit trois fois.

Après que sorti de la maison avec ses disciples, il s'acheminoit 1 Tract. XXXV in Matth., p. 114. 2 Joan., XIII, 36, 37.

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