Images de page
PDF
ePub

la grace n'est point donnée par les œuvres, autrement la grace ne seroit plus grace1; » ce qui est la même chose, en d'autres termes, que ce qui a été défini et répété tant de fois contre les pélagiens et les semi-pélagiens, que la grace n'est point donnée selon les mérites 2. Car les mérites sont les œuvres; et si la grace étoit donnée selon les œuvres, elle seroit donnée selon les mérites. Il ne faut pas entendre pour cela qu'une certaine suite de la grace, comme celle qui nous obtient, non-seulement la gloire future, mais encore dans cette vie l'accroissement de la grace même, ne puisse pas être un fruit de nos bonnes œuvres, c'est-à-dire de nos bons mérites; et quand la grace nous est donnée, non pas selon nos œuvres, mais selon la foi, comme il arrive dans la justification, saint Augustin demeure d'accord qu'elle est donnée selon les mérites, puisque la foi, dit ce Père, n'est pas sans mérite, neque enim nullum est meritum fidei. Comment donc a-t-on défini si certainement que la grace n'est pas donnée selon les mérites, si ce n'est à cause que de grace en grace, de mérite en mérite, il en faut venir au moment où la grace de bien commencer actuellement nous est donnée sans mérite, pour être continuée avec la même miséricorde par celui qui a fait en nous le commencement, conformément à cette parole de saint Paul : « Celui qui a commencé en vous la bonne œuvre (de votre salut) la perfectionnera jusqu'au jour (qu'il faudra paroître devant le tribunal) de Jésus-Christ'; » c'est-à-dire vous donnera la persévérance.

On ne peut donc pas s'empêcher de reconnoître, avec saint Augustin, un enchaînement de graces si bien préparées, que tous ceux qui les ont font bien : donc tous ceux qui ne font pas bien ne les ont pas; et les autres, c'est-à-dire ceux qui font bien, leur sont préférés par une prédilection dont ils lui doivent de continuelles actions de graces.

CHAPITRE XII.

Neuvième proposition, où l'on commence à démontrer que la doctrine de saint Augustin, sur la prédestination gratuite, est très-claire.

Toute la doctrine de saint Augustin sur la prédestination gra1 Rom., XI, 6. - 2 Conc. Valent. 3 Philip., 1, 6.

:

tuite, est enfermée dans la doctrine précédente. C'est une neuvième proposition qui ne souffre aucune difficulté. Pour l'établir, il ne faut que ce seul principe rapporté à cette occasion par saint Augustin, que tout ce que Dieu donne, il a résolu de toute éternité de le donner tout ce qu'il exécute dans la dispensation temporelle de sa grace, il l'a prévu et prédestiné avant tous les temps. Dans cette dispensation et distribution temporelle de la grace, les prières de l'Eglise nous ont fait voir une préférence gratuite pour tous les saints; c'est-à-dire pour tous ceux qui vivent et qui agissent saintement, ou pour un temps, ou pour toujours. Cette préférence est donc prévue, voulue, ordonnée de toute éternité; et cela même, dit saint Augustin, c'est la prédestination.

Nous avons donc eu raison de dire que la doctrine de la prédestination est entièrement renfermée dans celle de la gratuite dispensation de la grace; puisque, comme dit saint Augustin, «< toute la différence qu'il y a entre la grace et la prédestination, c'est que la prédestination est la préparation de la grace, et la grace le don même que Dieu nous en fait : » Inter gratiam et prædestinationem hoc tantùm interest (pesez ces mots, hoc tantùm), quod prædestinatio est gratiæ præparatio, gratia verò jam ipsa donatio 1; d'où ce saint docteur conclut que ces deux choses, la prédestination et la donation actuelle de la grace, ne diffèrent que comme la cause et l'effet, puisque, dit-il, la prédestination est, comme on a vu, « la préparation de la grace, et la grace donnée dans le temps est l'effet de la prédestination. >>

Ce Père montre cette vérité par cet autre excellent principe, que Dieu prédestine, non pas les œuvres d'autrui, mais les siennes propres, facta non aliena sed sua; car il prévoit beaucoup de choses qu'il ne fait pas, comme les péchés; mais il ne prédestine rien qu'il ne fasse, puisqu'il ne prédestine et ne préordonne que les bonnes œuvres qu'il fait par cette grace que nous avons vu qu'on ne cesse de lui demander. Lors donc qu'il fait en nous ces bonnes œuvres, il dispense cette grace, et lorsqu'il la prépare, il prévoit « et il prédestine ce qu'il devoit faire: » Prædestinatione præscivit quæ fuerat ipse facturus 3.

[ocr errors][merged small][ocr errors][merged small]

C'est là, en termes formels, le raisonnement du prophète Amos et de l'apôtre saint Jacques dans le concile de Jérusalem. Ce prophète prédit et promet la conversion des gentils, et il ajoute : « Voilà ce que dit le Seigneur qui fait ces choses' : » c'est Dieu qui convertira les gentils par ce secours qui change les cœurs : il ne lui est pas plus malaisé de prédire que de promettre ce qu'il doit faire; et c'est pourquoi saint Jacques conclut : « L'ouvrage de Dieu est connu de lui de toute éternité. » Saint Augustin ne fait pas un autre raisonnement, et ne suppose pas un autre principe. Accordez-lui que c'est Dieu qui tourne les cœurs où il lui plaît (c'est ce que vous ne sauriez lui nier après les prières de l'Eglise): accordez-lui encore qu'il a connu et qu'il a voulu son propre ouvrage, ce Père n'en veut pas davantage sur la prédestination.

Il n'y a rien de si clair, et saint Augustin présuppose aussi partout que ce qu'il enseigne de la prédestination, est la chose du monde la plus évidente. « Dieu donne, dit-il, la persévérance jusqu'à la fin; il a prévu que cela seroit, » c'est-à-dire qu'il donneroit la persévérance; « voilà donc, poursuit-il, ce que c'est que la prédestination; » ce qu'il explique dans la suite en d'autres termes qui ne sont pas moins évidens, lorsqu'il dit : « C'est une erreur manifeste de penser qu'il ne donne pas la persévérance; or il a prévu qu'il donneroit toutes les graces qu'il avoit à faire, afin qu'on persévérât, et il les a préparées dans sa prescience : la prédestination n'est rien autre chose. » Un peu après il réduit cette doctrine à cet argument démonstratif: « Lorsque Dieu nous donne tant de choses, dira-t-on qu'il ne les a pas prédestinées ? De là il s'ensuivroit de deux choses l'une, ou qu'il ne les auroit pas données, ou qu'il n'auroit pas su qu'il les donneroit : que s'il est certain qu'il les donne et qu'il ne soit pas moins certain qu'il a prévu qu'il les donneroit, bien certainement il les a prédestinées. » Il conclut par ces paroles : « Si la prédestination que nous défendons n'est pas véritable, Dieu n'a pas prévu les dons qu'il feroit aux hommes or est-il qu'il les a prévus, donc la prédestination que nous défendons est certaine3.

[ocr errors]

1 Act., XV, 15, 17, 18; Amos, IX, 3 Ibid., cap. XVII.

12.

2 Lib. Il De don. persev., cap. VII. —

CHAPITRE XIII.

Suite de la même démonstration: quelle prescience est nécessaire dans la prédestination.

On voit par là quelle prescience il faut reconnoître dans la prédestination. « C'est, comme dit saint Augustin, une prescience par laquelle Dieu prévoit ce qu'il devoit faire, » Prædestinasse est hoc præscisse quod fuerat ipse facturus'. Ce n'est donc pas une prescience de ce que l'homme doit faire, mais de ce que Dieu doit faire dans l'homme : non que Dieu ne prévoie aussi ce que l'homme doit faire; mais c'est que ce qu'il doit faire est une suite de ce que Dieu fait en lui, et qu'il voit le consentement futur de l'homme dans la puissance de la grace qu'il lui prépare.

C'est enfin pour cette raison que saint Augustin définit la prédestination « la prescience et la préparation de tous les bienfaits de Dieu, par lesquels sont certainement délivrés tous ceux qui le sont. La prédestination des saints n'est, dit-il, autre chose que cela: » Hæc prædestinatio sanctorum nihil aliud est quàm præscientia et præparatio beneficiorum Dei quibus certissimè liberantur quicumque liberantur. Toute l'Ecole reçoit cette définition de saint Augustin comme constante. Il est donc constant que Dieu a des moyens certains de délivrer l'homme, c'est-à-dire de le sauver. S'il les donnoit à tous, tous seroient sauvés; il ne les donne donc pas à tous, ces moyens certains: car c'est de ceux-là dont il s'agit. Et à qui les donne-t-il? A quelques-uns de ceux qui sont sauvés? Non; c'est à tous ceux qui le sont: Quibus certissimè liberantur quicumque liberantur. Tous done ont reçu ces bienfaits dont l'effet devoit être si certain; et d'où les ont-ils reçus, sinon d'une bonté aussi spéciale que ces bienfaits sont particuliers? Cette bonté est par conséquent aussi gratuite que le sont ces bienfaits mêmes, étant impossible et manifestement absurde que Dieu ne prépare gratuitement et de toute éternité ce qu'il accorde gratuitement dans le temps.

1 Lib. II De don. persev., cap. XVII et XVIII.

1

2 Ibid., cap. XIV.

CHAPITRE XIV.

Dixième proposition, où l'on démontre que la prédestination, comme on vient de l'expliquer par saint Augustin, est de la foi: passage du cardinal Bellarmin.

La dixième proposition est que cette doctrine de saint Augustin sur la prédestination est de foi. D'abord saint Augustin l'enseigne ainsi très-expressément par les prières de l'Eglise, lorsqu'après les avoir remarquées et après avoir aussi remarqué que prier est un don de Dieu, il poursuit ainsi : « Ces choses donc que l'Eglise demande à Dieu, et qu'elle n'a jamais cessé de lui demander depuis qu'elle est établie, sont prévues de Dieu comme des choses qu'il devoit donner et qu'il avoit même déjà données dans la prédestination, comme l'Apôtre le déclare; » d'où il tire cette conséquence: << Celui-là donc pourra croire que la vérité de cette prédestination et de cette grace n'a pas toujours fait partie de la foi de l'Eglise, qui osera dire que l'Eglise n'a pas toujours prié ou n'a pas toujours prié avec vérité, soit afin que les infidèles crussent, soit afin que les fidèles persévérassent; mais si elle a toujours demandé ces biens comme étant des dons de Dieu, elle n'a jamais pu croire que Dieu les ait pu donner sans les connoître; et par là l'Eglise n'a ja mais cessé d'avoir la foi de cette prédestination, qu'il faut maintenant défendre avec une application particulière contre les nouveaux hérétiques 1. »

Il est donc clair comme le soleil que la prédestination que saint Augustin défendoit dans les livres d'où sont tirés tous ces passages, c'est-à-dire dans ceux de la Prédestination des Saints et du Don de la persévérance, appartient à la foi selon ce Père, et que c'étoit cette foi qu'il falloit défendre contre les hérétiques; et la raison en est premièrement, qu'on ne peut nier sans erreur que les prières où l'Eglise demande les dons qu'on vient d'entendre, ne soient dictées par la foi, en laquelle seule elle prie; et secondement, qu'il n'est pas moins contre la foi de dire « que Dieu n'ait pas prévu et les dons qu'il devoit accorder, et ceux à qui il en devoit faire la distribution ; » ce qui fait dire à saint Augustin aussi affirmati1 Lib. II De don. persev., cap. XXIII. - 2 Ibid., cap. XXIV.

2

« PrécédentContinuer »