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vement qu'on le peut faire : « Ce que je sais, c'est que personne n'a pu sans errer disputer contre la prédestination que nous avons entrepris de défendre1. »

Le cardinal Bellarmin, après avoir rapporté ces passages de saint Augustin et en même temps remarqué les définitions du Saint-Siége, qui ont déclaré entre autres choses que saint Augustin n'a excédé en rien, conclut que la doctrine de ce saint sur la prédestination n'est pas une doctrine particulière, mais la foi de toute l'Eglise autrement saint Augustin, et après lui les papes qui le soutiennent, seroient coupables de l'excès le plus outré, puisque ce Père avoit donné son sentiment pour un dogme certain de la foi.

CHAPITRE XV.

Différence de la question dont on dispute dans les Ecoles d'avec celle qu'on vient de traiter: douze sentences de saint Augustin.

Par là il faut remarquer la différence entre la question de la prédestination, comme elle s'agite dans les Ecoles parmi les docteurs orthodoxes, et comme elle est établie par saint Augustin contre les ennemis de la grace. Car ce qu'on dispute dans l'Ecole, c'est à savoir si le décret de donner la gloire à un élu précède ou suit d'un instant, qu'on appelle de nature ou de raison, la connoissance de leurs bonnes œuvres futures et des graces qui les leur font opérer; ce qui n'est qu'une précision peu nécessaire à la piété; au lieu que saint Augustin sans s'arrêter à ces abstractions dans le fond assez inutiles, entreprend seulement de démontrer qu'étant de la foi par les prières de toute l'Eglise qu'il y a une distribution des bienfaits de Dieu, par où sont menés infailliblement au salut ceux qui les reçoivent, cette distribution ne peut être aussi purement gratuite qu'elle l'est dans l'exécution, qu'elle ne le soit autant et aussi certainement dans la prescience et la prédestination divine: de sorte que l'un et l'autre est également de la foi. C'est encore ce qui résulte de l'Epitre à Vital 2, une des plus doctes et des plus précises de saint Augustin, selon le P. Garnier, puisque ce saint évêque y ayant posé douze sentences, comme il 1 Lib. II De don. persev., cap. XVIII. — 2 Epist. CCXVII, al. CvII.

les appelle, qui renferment tout le fondement de la prédestination gratuite, déclare en même temps jusqu'à trois fois «qu'elles appartiennent à la foi catholique, et que tout ce qu'il y a de catholiques les reçoivent 1; en quoi tout le monde sait qu'il est suivi par saint Prosper et par les autres saints défenseurs de la grace chrétienne, et soutenu par les papes, qui ont décidé avec l'applaudissement de toute l'Eglise que la doctrine de ce saint étoit irrépréhensible, encore qu'il n'y eût rien qui le fùt moins que de donner comme de foi ce qui n'en est pas.

CHAPITRE XVI.

Onzième proposition, où l'on commence à fermer la bouche à ceux qui murmurent contre cette doctrine de saint Augustin.

Onzième proposition: Ceux à qui Dieu ne donne pas ces graces singulières, qui mènent infailliblement ou à la foi, ou même au salut et à la persévérance finale, n'ont point à se plaindre. La raison en est, dit saint Augustin, que le Père de famille qui ne les doit à personne, seroit en droit selon l'Evangile de répondre à ceux qui se plaindroient : « Mon ami, je ne vous fais point de tort ne m'est-il pas permis de faire de mon bien ce que je veux? et faut-il que votre regard soit mauvais (injuste, jaloux), parce que je suis bon 3?» Et si ces murmurateurs répondent encore que dans cette parabole il s'agit du plus et du moins, et non pas d'être à la fin privé de tout, comme le sont les réprouvés, le père de famille n'en dira pas moins: Je ne vous fais point de tort, puisque si je vous laisse dans la masse justement damnée de votre origine, vous n'avez point à vous plaindre de la justice que je vous fais; et si je vous en ai tiré par ma pure grace, et que vous vous soyez replongé vous-même dans cette masse corrompue en suivant la concupiscence, qui en est venue, je vous fais d'autant moins de tort que je ne vous ai pas refusé les graces absolument nécessaires pour conserver la justice que je vous avois donnée; ainsi vous n'avez qu'à vous imputer votre perte. Et si ces murmurateurs

1 Epist. CCVII, al. CvII, n. 17, 25.-2 Lib. De don. persev., cap. VIII.- - 3 Matth., XX, 15.

nous disent encore que cela est difficile à concilier avec la préférence gratuite que nous venons d'établir avec tant de certitude, il faudra enfin leur fermer la bouche avec cette parole de saint Augustin: «Faut-il nier ce qui est certain, à cause qu'on ne peut comprendre ce qui est caché? Ou faudra-t-il dire que ce qu'on voit clairement ne soit pas, à cause qu'on ne trouve pas la raison pourquoi il est 1?» Et enfin si l'autorité et la raison de saint Augustin ne leur suffisent pas, que répondront-ils à l'Apôtre, lorsqu'il leur dira: « Qui connoît les desseins du Seigneur, ou qui est entré dans ses conseils? O homme, qui êtes-vous pour disputer contre Dieu? Ne savez-vous pas que ses conseils sont impénétrables, et ses voies incompréhensibles 2. »

CHAPITRE XVII.

Douzième proposition, où l'on démontre que bien loin que cette doctrine mette les fidèles au désespoir, il n'y en a point pour eux de plus consolante. Douzième et dernière proposition : Loin de désespérer les fidèles ou même de troubler et de ralentir les mouvemens de la piété, la doctrine de saint Augustin, qu'on vient d'exposer, est le soutien de la foi et la plus solide consolation des ames pieuses. Que désire un homme de bien, que d'assurer son salut autant qu'il est possible en cette vie? C'est pour l'assurer que les ennemis de la prédestination gratuite veulent qu'on le remette entre leurs mains et que chacun soit maître absolu de son sort, parce qu'autrement nous ne serions assurés de rien, la disposition que Dieu fait de nous étant incertaine. C'est précisément ce qu'on objectoit à saint Augustin; mais il n'y a rien de plus fort et de plus consolant que sa réponse: «Je m'étonne, dit ce saint docteur, que les hommes aiment mieux se fier à leur propre foiblesse qu'à la fermeté de la promesse de Dieu. Je ne sais pas, dites-vous, ce que Dieu veut faire de moi. Quoi donc! savez-vous mieux ce que vous voulez faire de vous-même, et ne craignez-vous pas cette parole de saint Paul: «Que celui qui croit être ferme, prenne garde à ne pas tom3 34. Rom., IX, 20; XI, 33, Epist. Hilar.

1 De don. persev., cap. XIV. ad August.

ber1?» Puis donc que l'une et l'autre volonté, celle de Dieu et la nôtre, nous sont incertaines, pourquoi l'homme n'aimera-t-il pas mieux abandonner sa foi, son espérance et sa charité à la plus forte qui est celle de Dieu, qu'à la plus foible qui est la sienne propre 2?»

L'homme, qui est la foiblesse même, qui sent que sa volonté lui échappe à chaque pas, toujours prêt à s'abattre au premier souffle, ne doit rien tant désirer que de la remettre entre des mains sûres, qui daignent la recevoir pour la tenir ferme parmi tant de tentations. C'est ce qu'on fait en la remettant uniquement à la grace de Dieu. Vous vous contentez, dites-vous, d'une grace qui soit laissée si absolument en votre puissance, qu'elle ait en bien ou en mal tout l'effet que vous voudrez sans que Dieu s'en mêle plus à fond. Mais l'Eglise ne vous apprend pas à vous contenter d'un tel secours, puisqu'elle vous en fait demander un autre qui assure entièrement votre salut. Vous voudriez du moins pouvoir vous flatter de la pensée que vous ferez quelquefois le bien sans une grace ainsi préparée; mais l'Eglise ne vous le permet pas, puisqu'après vous avoir appris à la demander, elle vous apprend, si l'effet s'ensuit, à rendre grâces à Dieu de l'avoir reçue; et par là que prétend-elle, sinon que vous mettiez l'espérance de votre salut, à l'exemple de saint Cyprien, en la seule grace? Car c'est là, dit ce saint martyr, ce qui fait exaucer nos prières, « lorsqu'elles sont précédées d'une humble reconnoissance de notre foiblesse; et que donnant tout à Dieu, nous obtenons de sa bonté tout ce que nous demandons dans sa crainte 3. >>

Il dit, et saint Augustin le dit après lui, qu'il faut tout donner à Dieu, non pour éteindre la libre coopération du franc arbitre, mais pour nous montrer qu'elle est comprise dans la préparation de la grace dont nous parlons. « Nous voulons, dit saint Augustin, mais Dieu fait en nous le vouloir : nous agissons, mais Dieu fait en nous notre action selon son bon plaisir.» Ainsi, encore une fois, elle est comprise dans celle de Dieu. « Il nous est bon, il nous est utile de le croire et de le dire, cela est vrai, cela est pieux,

1 I Cor., X, 12.- 2 Lib. De prædest. SS., cap. XI, n. 21. - 3 De Orat. Domin. apud August., De don. persev., cap. vi, n. 12. — ↳ Ibid.

et rien ne nous convient mieux que de faire devant Dieu cette humble confession et de lui donner tout.

Si quelque chose est capable de mettre dans le cœur du chrétien une douce espérance de son salut, ce sont de tels sentimens. Car comme c'est la confiance qui nous obtient un si grand bien, quelle plus grande confiance l'ame peut-elle témoigner à son Dieu, que celle d'abandonner entre ses mains un aussi grand intérêt que celui de son salut? Celui-là donc qui a le courage de lui remettre une affaire de cette importance, et la seule à dire vrai qu'on ait sur la terre, dès lors a reçu de lui une des marques des plus assurées de sa prédestination, puisque l'objet que Dieu se propose dans le choix de ses élus étant de se les attacher uniquement, et de leur faire établir en lui tout leur repos, le premier sentiment qu'il leur inspire doit être sans doute celui-là. Ce premier gage de son amour les remplit de joie; et leur prière devenant d'autant plus fervente que leur confiance est plus pure et leur abandon plus parfait, ils conçoivent plus d'espérance qu'elle sera exaucée, et ainsi que l'humble demande qu'ils font à Dieu de leur salut éternel aura son effet : ce qu'ils attendent d'autant plus de sa bonté, que c'est encore elle qui leur inspire la confiance de prier ainsi et de se remettre entre ses bras.

Si quelque chose peut attirer le regard de Dieu, c'est la foi et la soumission de ceux qui savent lui faire un tel sacrifice. Dire que cette doctrine, qui est le fruit de la foi de la prédestination, met les hommes au désespoir, « c'est dire, dit saint Augustin 1, que l'homme désespère de son salut quand il en met l'espérance, non point en lui-même, mais en Dieu, quoique le Prophète crie: << Maudit l'homme qui se fie en l'homme !» Ceux donc que cette doctrine jette dans le relâchement ou dans la révolte sont, ou des esprits lâches qui veulent donner ce prétexte à leur nonchalance, ou des superbes qui ne savent pas ce que c'est que Dieu, ni avec quelle dépendance il faut paroître devant lui. Mais ceux qui le craignent et qui savent que l'humilité est le seul moyen de fléchir une si haute majesté, travaillent à leur salut avec d'autant plus de soin et d'application, que par l'humble état où ils se mettent de1 De don. persev., cap. XVII. — 2 Jerem., XVii, 5.

TOM. IV.

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