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doient, ils en rendoient continuellement de particulières actions de graces. En entrant dans la prison, ils offroient à Dieu leur louange avec actions de graces « de ce qu'ils avoient persévéré jusqu'alors dans la foi et la religion catholique 1. » Un autre disoit : « Je vous rends graces, mon Seigneur Jésus, de ce que vous m'avez donné cette patience. » C'est de l'effet et de la patience actuelle qu'ils rendent graces. Un autre disoit : « J'ai Jésus-Christ en moi, je te méprise 2. »-« Reconnois, disoit un autre, que Jésus-Christ m'aide, et que c'est par là que je te méprise comme un vil esclave 3. » Taraque disoit et répétoit : « Je résiste aux inventions de ta cruauté je te surmonte par Jésus-Christ qui me rend fort; » et encore : « Je ne respire que la mort; mais dans cette patience, ma gloire est en Dieu.» Ainsi ils reconnoissoient en deux manières la grace qui les faisoit vaincre : l'une en la demandant, et l'autre en rendant graces de l'avoir reçue. Euplius joignoit l'un et l'autre : « Je vous rends graces, Seigneur, conservez-moi, puisque c'est pour vous que je souffre : aideznous, Seigneur, jusqu'à la fin et ne délaissez pas vos serviteurs, afin qu'ils vous glorifient aux siècles des siècles ". » Voilà d'où ils attendoient la persévérance, parce qu'ils savoient que c'étoit de là qu'ils avoient reçu le commencement. Lorsque, pour tirer de leur bouche le nom de leurs docteurs, qu'ils ne vouloient pas découvrir pour ne leur point attirer de semblables peines, on leur demandoit qui les avoit induits à cette doctrine, ils répondoient : « Celui-là nous l'a donnée qui l'a aussi donnée à saint Paul, lorsque de persécuteur des Eglises, par sa grace il en est devenu le docteur . » Par quelle grace, sinon par celle dont l'effet étoit infaillible? Ainsi la grace efficace, que M. Simon ne peut souffrir dans saint Augustin, étoit celle que demandoient les martyrs et dans laquelle ils mettoient leur confiance.

1 Act. Pionii, p. 140. Act. Tarach., jam cit.

2 Act. 1arach., jam cit. 3 Act. Theod., p. 397. Act. Eupl., p. 488.6 Act. Lucin., p. 165.

CHAPITRE XXI.

Prière de saint Ephrem.

Après les prières des martyrs, on n'en trouve point de plus saintes parmi les Orientaux que celles de saint Ephrem le Syrien, dont les Pères du quatrième siècle ont célébré les louanges. Ce qui fait le plus à notre sujet, c'est que demandant à Dieu en cent manières différentes, « qu'il mette des bornes dans son cœur à ses désirs, afin que sans jamais se détourner ni à droite, ni à gauche1,» il marche persévéramment dans ses voies; il reconnoît encore que cette prière lui est donnée comme tout le reste par la grace: « Votre grace, Seigneur, m'a donné la confiance de vous parler 2. » Voilà un aveu bien clair que la prière est un don de Dieu : «Donnezmoi la componction et les larmes, afin que je pleure nuit et jour mes péchés avec humilité et charité, et pureté de cœur.» Donner la componction, c'est donner l'esprit de prière et ouvrir la source des larmes. Il ne faut donc pas s'étonner s'il dit ailleurs « que. Dieu donne la grace gratuitement, encore qu'il l'accorde aux larmes; » c'est, comme on voit, qu'il donne les larmes mêmes, et qu'il croit donner gratuitement ce qu'on achète avec ses dons. Un peu après: «Que ma prière, ô Seigneur, approche de vous; faites fructifier en moi votre céleste semence, qui me fasse offrir à votre bonté des gerbes pleines de confession et de componction; faites que je crie avec actions de graces: Gloire soit donnée à celui qui m'a donné de quoi lui offrir. » Par où l'on voit que Dieu a donné la prière même et l'action de graces; et c'est pourquoi il dit encore: « Je ne cesserai, mon Seigneur, de célébrer les louanges de votre grace je ne cesserai de vous chanter des cantiques spirituels je suis attiré à vous, mon Sauveur, par le désir de vous posséder votre grace pousse mon esprit à vous suivre par une secrète et merveilleuse douceur: que mon cœur soit une terre fertile, qui recevant votre bonne semence et arrosée de votre grace, comme d'une céleste rosée, moissonne comme un très-bon fruit la componction, l'adoration, la sanctification (de votre saint 1 Conf. Ephr., tom. I, p. 266, 267.-2 Ibid., p. 63, col. 2.

nom), dons qui vous sont toujours agréables 1. » La componction, la prière, l'adoration, les saints cantiques viennent à l'ame par l'infusion de la grace et de la douceur admirable dont elle prévient les cœurs. C'est ce qui lui fait ajouter: « Quand votre grace a voulu, elle a dissipé mes ténèbres pour faire retentir mon ame de douces louanges. » Il ne faut donc pas s'étonner s'il demande avec tant de foi les bonnes œuvres comme un don particulier de la grace, puisqu'il reconnoît qu'il tient de Dieu la grace de la prière, qui les lui fait demander : il attribue à Dieu jusqu'au premier commencement de la conversion, lorsqu'il dit : « Convertissez-moi, Seigneur, avec la brebis perdue et trouvée; et comme vous l'avez portée sur vos épaules, tirez mon ame avec votre main, et offrez-la à votre Père. » L'ame n'a donc rien d'ellemême que son égarement et sa perte. « Qui pourroit, Seigneur, supporter les conseils et les efforts de notre ennemi, qui ne cesse d'affliger mon ame de pensées et d'actes pour la faire succomber, si elle étoit destituée de votre secours? » Mais pour montrer quel est le secours qu'il se croit obligé de demander, il ajoute: « Et parce que le temps de ma vie s'est passé en vanités et en mauvaises pensées, donnez-moi un remède efficace par lequel je sois pleinement guéri de mes plaies cachées; et fortifiez-moi, afin que du moins à la dernière heure où ma vie très-inutile est parvenue sans rien faire, je travaille soigneusement dans votre vigne. » -« Car, ô mon Sauveur, dit-il ailleurs, si vous ne donnez durant cette vie à ce misérable pécheur un esprit saint et des larmes, pour effacer ses péchés par les lumières que vous ferez luire dans son cœur, il ne pourra soutenir votre présence. »

Dans toutes ces graces qu'il demandoit, il se fondoit toujours sur la toute-puissance de Dieu : « Prions, disoit-il, parce que Dieu peut ce qui est impossible à l'homme ". » Ainsi il reconnoissoit que tout ce qu'il demandoit à Dieu pour le faire marcher dans ses voies, étoit l'effet de la toute-puissance de Dieu et d'une grace à qui rien ne résiste.

Il ne laissoit pas avec tout cela de dire souvent que Dieu grati

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fioit ceux qui en sont dignes; et il ne croyoit pas, en parlant ainsi, déroger à la pureté de la grace, parce qu'il savoit «< qu'on ne pouvoit plaire à la grace que par la puissance de la grace 1. » Loin de croire qu'un autre que Dieu nous pût faire dignes de lui, il disoit : « Si vous désirez quelque chose, demandez-le à Dieu; et lorsque vous trouverez quelque bien en vous, rendez-lui-en graces, parce que c'est lui qui vous l'a donné 2. »

Voilà dans un homme, dont la sainteté a été l'admiration du quatrième siècle, une image de la piété de l'Eglise orientale, tant d'années avant que saint Augustin eût écrit sur cette matière. Qui sera le présomptueux qui, considérant cette suite de bienfaits divins que les serviteurs de Jésus-Christ se croient obligés de lui demander pour être conduits efficacement à leur salut, pourra croire qu'on peut mériter cet enchaînement de graces, pendant qu'on voit au contraire parmi ces gracès la première conversion du cœur et l'instinct des saintes prières par lesquelles on peut mériter quelque chose? Saint Ephrem connoissoit donc cette grace qui fait la séparation gratuite des élus d'avec les réprouvés. Sans doute il n'ignoroit pas qu'elle n'eût été prévue et préordonnée : il ne pouvoit donc pas ne pas reconnoître la prédestination gratuite que saint Augustin a prêchée, et c'est en ce sens qu'il reconnoit devant Dieu « qu'il est introduit dans son royaume par sa seule grace et par sa seule miséricorde 3,» parce que c'est aussi à elle seule qu'il doit la préparation de tous les secours par lesquels il devoit être conduit heureusement et infailliblement à cette fin.

Ce n'est pas que ce saint ne reconnoisse, comme fait aussi saint Augustin, qu'on rejette souvent la grace; et c'est aussi ce qui lui fait demander une grace qui empêche de la rejeter: « Seigneur, dit-il, si j'ai quelquefois rejeté et si je rejette encore votre grace comme un homme terrestre, vous toutefois qui avez rempli de votre bénédiction les cruches (de Cana), assouvissez la soif que j'ai de votre grace: faites, malgré mon indignité et mes résistances, que j'en sois effectivement rempli . »

1 Medit., p. 131. - Tom. II, Paræn., cap. xv, p. 280.- De comp., Serm. II, P. 143. - Conf. Ephr., p. 266.

CHAPITRE XXII.

Prière de Barlaam et de Josaphat dans saint Jean de Damas.

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Cette doctrine dans laquelle consistoit le fond de la piété, passoit d'âge en âge. Au septième siècle, saint Jean de Damas faisoit prier ainsi son Barlaam, lorsqu'il donna la communion à son Josaphat: « Regardez cette brebis raisonnable qui approche de vos saints autels par mon ministère convertissez cette vigne plantée par votre Esprit-Saint, et faites-la fructifier en fruits de justice fortifiez ce jeune homme, arrachez-le au démon par votre bon esprit : apprenez-lui à faire votre volonté, et ne lui retirez pas votre secours. » Ce jeune homme disoit aussi : « Je suis foible et incapable de faire le bien, mais vous pouvez me sauver : vous, qui tenez tout en votre puissance, ne permettez pas que je marche dans les voies de la chair, mais apprenez-moi à faire votre volonté 1. » Quand le solitaire dit: Apprenez-moi, et que Josaphat le répète, ils ne parlent pas de l'instruction extérieure qui avoit déjà été faite; mais de la doctrine du dedans, par laquelle actuellement on est véritablement enseigné de Dieu, selon la parole de Jésus-Christ: Erunt omnes docibiles Dei, selon le grec: Docti à Deo, ou docti Dei, didaro to 2, les disciples de Dieu au dedans par l'actuel accomplissement de sa volonté. C'est pourquoi ces deux saints disoient: « Apprenez-nous à faire votre volonté 3. » C'est toujours l'effet qu'on demande, et on demande par conséquent une grace qui le donne efficacement; ce qu'on explique par les mots suivans: « Quand vous inspirez des forces, les foibles deviennent forts, puisque c'est vous seul qui donnez un secours invincible. Fortifiez-moi, afin que je demeure dans la foi jusqu'à la fin de ma vie, » etc. Tout cela faisoit voir d'où l'on attendoit la persévérance, et par quelle grace.

Dans une tentation qui sembloit pousser à bout la vertu : « 0 Dieu, disoit Josaphat, espérance des désespérés et refuge unique de ceux qui sont destitués de secours, ne permettez pas que l'ini

1 Joan. Damasc., Hist., p. 613. 2 Joan., VI, 45 p. 260.

3 Joan. Damasc., Hist.,

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