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Cyprien, où il dit que « comme le jour paroît également et que le soleil répand également sa lumière sur tous les hommes, ainsi Jésus-Christ, le vrai soleil, étend également à tous la lumière de la vie éternelle; que la grâce est donnée à tous sans exception de personne, et que, semblable à une semence également répandue, elle se diversifie selon les dispositions de la terre1.» Selon ce Père, la rédemption n'est pas moins universelle. Tout le monde cite ce passage où il fait parler le démon à Jésus-Christ au dernier jugement, en cette sorte: «Je n'ai reçu pour ceux que vous voyez dans mon partage, ni des soufflets ni des coups de fouets; je n'ai point porté la croix; je n'ai point répandu mon sang pour eux; je ne leur ai point promis le royaume du ciel, et je ne les rappelle pas au paradis en leur rendant l'immortalité". » C'étoit donc à cette fin que se rapportoit la rédemption de ces malheureux, et Jésus-Christ ne leur avoit rien mérité de moins que le ciel même.

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Il est vrai que saint Cyprien, dans ces deux endroits, parle de l'Eglise; mais c'en est assez pour faire voir que le ciel étoit ouvert par la volonté de Dieu et par le sang de Jésus-Christ à ceux qui en étoient exclus par leur faute; et d'ailleurs l'esprit de ce saint martyr, dans ces endroits, est de comprendre tout le genre humain dans l'universalité de ce don : c'est à quoi tendent ces comparaisons du soleil et de la lumière; et c'est aussi l'esprit de l'Ecriture, lorsqu'elle dit : « Vous pardonnez à tout le monde; vous aimez tout ce qui est . » Cette volonté de Dieu n'est pas éteinte par le péché des hommes : « Parce que vous êtes le Seigneur de tous, vous vous portez à pardonner à tout le monde. » Dieu conserve sa miséricorde même en punissant; il peut perdre d'un seul coup ses ennemis, « mais il châtie peu à peu pour donner lieu à la pénitence. -Moi, comme je vis, dit le Seigneur, je ne veux point la mort de l'impie, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. >> Dans le Nouveau Testament: «Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et qu'ils viennent à la connoissance de la vérité". » Et parce que sa miséricorde ne se répand que par Jésus-Christ, « il y a un seul Dieu et un seul médiateur qui s'est donné en rédemption pour

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1 Epist. LXXVI ad Magn.

Ibid., vers. 27.

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2 De Opere et eleem., fin. 3 Sap., XI, 24, 25.

Ibid., vers. 10. -6 Ezech., XXXIII, 14.

71 Tim., II, 3.

tous.» Ce qui montre tout ensemble, et en Dieu dans sa propre nature, et dans Jésus-Christ selon la nôtre, un amour de bienveillance et de complaisance envers tous les hommes, sans en excepter les pécheurs, et encore pour ces derniers un support, une tolérance, une attente de leur repentir: en sorte qu'il ne les voit périr qu'à regret.

Ceux qui ne veulent pas croire que cet amour de Dieu et cette effusion générale de sa bonté sur tous les hommes, et même sur les pécheurs, doive être prise à la lettre, disent que le Saint-Esprit a dicté toutes ces paroles pour nous faire entendre que nous devons entrer dans ces sentimens de bonté envers tous les hommes; que Dieu aussi veut sauver en quelque façon, lorsqu'il inspire à ses serviteurs le désir de leur salut. C'est là, dit-on, le vrai esprit de ces passages, et non pas que Dieu veuille actuellement sauver tous les hommes, même ceux qui en effet n'ont pas de part au salut, puisque ce seroit faire vouloir au Tout-Puissant ce qui ne s'accomplira jamais, contre cette parole du Psalmiste: «Il a fait tout ce qu'il a voulu dans le ciel et dans la terre 2. >>

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Sans entrer à fond dans cet examen, il suffit ici de remarquer que l'esprit des Pères de l'Eglise manifestement porte plus loin. S'il y avoit de l'inconvénient à dire que Dieu veut sauver même ceux qui périssent, il faudroit dire qu'il n'a pas voulu sauver tous les anges et a laissé sans secours tous ceux qui se sont perdus, ce que personne ne dit; ou qu'il ne veut pas encore sauver tous les justes, ce qui est expressément condamné par l'Eglise. On est forcé par ces exemples à chercher une certaine manière d'expliquer l'efficace toute-puissante de la volonté de Dieu, qui ne se trouve point contraire à sa bonté générale, si digne d'un être parfait et universellement bienfaisant. Quant à l'explication qui fait consister cette bonté générale dans l'inspiration du désir que Dieu donne à ses serviteurs de demander et de procurer le salut de tout le monde, on ne peut manquer de la recevoir, mais dans le sens de ces paroles de saint Jérôme (a).....

Ce grand homme, loin de penser que Dieu ne veuille le salut

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de tous les hommes qu'en tant qu'il nous inspire la volonté de le procurer, conclut au contraire qu'il faut bien que Dieu ait luimême cette volonté, puisqu'il nous l'inspire afin que nous soyons ses imitateurs. Cette belle explication de saint Jérôme rend parfaitement l'esprit de l'Ecriture, dont les expressions générale par rapport à la volonté du salut de tous les hommes en ont produit de semblables, comme on en a vu de semblables dans tous les Pères.

CHAPITRE VI.

Les Pères qui ont suivi saint Augustin reconnoissent en Dieu et en JésusChrist la volonté générale de sauver et de racheter tous les hommes. D'aborl l'auteur inconnu de l'ouvrage intitulé : De la Vocation des gentils.

Ainsi M. Simon a raison de dire que ce ne sont pas les seuls Pères grecs, mais tous les Pères en général qui ont expliqué ces paroles de l'Ecriture sans y apporter de restriction, et que c'est la voix commune de toute l'Eglise. Mais quand il dit que saint Augustin et ses disciples ont changé cette tradition et les met sur ce fondement avec leur maître au rang des novateurs, il est important de faire voir qu'il impose à ces saints docteurs, et qu'il affoiblit la saine doctrine en la faisant démentir par la postérité. Un passage de saint Léon fait voir le contraire. Ce grand pape ayant enseigné que « Dieu ne refuse sa miséricorde à personne, et que pouvant justement soumettre les pécheurs à la peine, il aime mieux les inviter par ses bienfaits 1,» il ajoute que « comme il n'a trouvé personne exempt de péché, il est aussi venu pour sauver tous les hommes ; qu'il a pris en main la cause de tous les hommes 2, » celle de Judas comme des autres, celle de ceux qui l'ont crucifié, « celle de toute la nature qu'il a prise 3; » en sorte qu'il est véritablement « l'agneau qui ôte le péché du monde. »

Si la doctrine de saint Augustin avoit changé les anciennes idées de la rédemption et de la grâce universelle, saint Léon, l'un des plus zélés défenseurs de la doctrine de ce Père, n'auroit point

1 Serm. v de Epiph. - Serm. I in Nativ. Dom.-3 Serm. I de Pass.; serm. II, III, IV, V, VI; et Epist. LXXII.

parlé de cette sorte. En ce lieu il pourroit sembler qu'il n'y auroit rien de plus décisif que de produire d'abord les passages de saint Augustin. Mais, comme Dieu a suscité un de ses disciples qui a fait un traité exprès sur cette question, il ne sera pas inutile de considérer premièrement comme il la propose, et ensuite comme il la résout.

Le livre de la Vocation des gentils, qu'on trouve parmi les œuvres de saint Ambroise 1, est sans contestation un des plus beaux que l'antiquité ait produits contre les pélagiens et les semi-pélagiens sur la matière de la grâce; aussi se trouve-t-il attribué aux plus grands auteurs. On l'a publié d'abord sous le nom de saint Ambroise; maintenant il est donné par quelques-uns à saint Prosper d'Aquitaine, sous le nom duquel il est imprimé; par d'autres, à saint Léon; par d'autres, à d'autres auteurs aussi importans, sans qu'on puisse discerner au vrai par le style de qui il est, parce que les locutions et les tours qu'on y observe marquent plutôt le style du siècle où il est écrit, que celui d'aucun écrivain particulier que nous connoissions. Quoi qu'il en soit, voici d'abord comme il pose l'état de la question : « Il y a une ancienne dispute entre les défenseurs du libre arbitre (entre ceux qui lui attribuent en tout l'ouvrage ou du moins le commencement du salut) et les prédicateurs de la grâce. On demande si Dieu veut sauver tous les hommes; et parce qu'on ne peut nier qu'il ne le veuille (puisque cette proposition est expressément de saint Paul), la question se réduit à savoir pourquoi la volonté du Tout-Puissant n'est pas accomplie ; et parce qu'il paroît que cela se fait selon la volonté des hommes, par là il semble qu'on exclut la grâce, qui n'est plus un don, mais une dette, si elle est rendue aux mérites. D'où naît une seconde question: Pourquoi ce don, sans lequel nul n'est sauvé, n'est pas donné à tous les hommes par celui qui veut les sauver tous'?»

On ne peut pas mieux poser l'état de la question, ni donner en même temps plus d'espérance de la voir solidement résolue; et afin de le mieux entendre, il faut proposer d'abord l'économie de ce docte ouvrage. Il se partage en deux livres. Le premier, après

1 Tom. IV Antuerp. edit. Lib. I De Vocat. gent., cap. I.

qu'il a proposé l'état de la question comme on vient de voir, est employé à réfuter ceux qui ne vouloient pas reconnoître en Dieu une volonté et une grâce spéciale pour les saints: il montre donc dans ce premier livre qu'il y a pour eux une préférence, une grâce particulière, un don spécial 1. Mais ce n'étoit que la moitié de ce qu'il avoit promis: car il s'agissoit d'accorder cette volonté spéciale de sauver certains hommes avec la volonté générale de les sauver tous, et c'est ce qu'il réservoit pour le second livre 2. Voici donc, dès le commencement de ce livre, ce qu'il a dessein de prouver: «Il est évident, dit-il, qu'il y a trois choses auxquelles il faut s'arrêter dans la question qui doit faire le sujet de ce second volume: la première, qu'il faut confesser que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et qu'ils viennent à la connoissance de la vérité; la seconde, qu'il ne faut douter en aucune sorte qu'on parvient à cette connoissance, non par ses mérites, mais par le secours et l'opération de la grâce; la troisième, qu'il faut avouer que la hauteur des jugemens de Dieu est impénétrable, et que ce n'est point à nous à examiner pourquoi Dieu, qui veut sauver tous les hommes, ne les sauve pas tous. >>

Voilà, par une excellente méthode, ce qu'il se propose de prouver; et c'est pourquoi, après avoir achevé sa preuve, il montre à la fin à quoi s'est terminée sa décision : « C'est, dit-il, que lorsqu'on dispute de la profondeur et de la hauteur, il faut s'en tenir à ces trois définitions très-salutaires et très-véritables : l'une qui professe que c'est une disposition éternelle et propre à la divine bonté, de vouloir que tous les hommes soient sauvés et qu'ils viennent à la connoissance de la vérité. La seconde définition est qu'il faut en même temps enseigner que tout homme qui est sauvé et qui parvient à la connoissance de la vérité est aidé, gouverné, gardé par le secours de Dieu, afin qu'il persévère dans la foi, qui opère par charité. Par la troisième définition, on professe en toute humilité et retenue qu'il n'est pas possible à l'homme de comprendre toutes les raisons de la volonté de Dieu, ni toutes les causes de ses ouNrages.» Par où il démontre qu'en établissant comme constantes

1 Lib. I De Vocat. gent., cap. I. — 2 Ibid., cap. IX, in fin. 4 Ibid., cap. x et ultra.

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3 Lib. II, cap. L.

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