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à combattre ne rejetoient pas : il suffisoit de montrer les moyens extérieurs auxquels ils étoient attachés. Quand saint Augustin enseigne « qu'il y a des hommes qui sont doués naturellement d'un don d'intelligence si divin qu'ils seroient facilement portés à croire, s'ils voyoient ou s'ils entendoient des miracles ou des discours convenables à leur génie1, » la grâce est présupposée dans ce passage, encore qu'elle n'y soit pas exprimée. Je dirai à peu près de même que, quand saint Prosper propose les moyens extérieurs de connoître Dieu, qui rendent inexcusables ceux qui refusent de le faire, il présuppose et sous-entend les secours intérieurs qui les accompagnent: autrement il n'auroit pas tant fait valoir ce soin que Dieu a de tous les hommes par rapport à la religion, comme on a vu; et encore moins auroit-il pu dire que, « sans préjudice du discernement contenu dans la science divine que Dieu fait entre les hommes selon les secrets profonds de sa justice, il faut croire et confesser très-sincèrement que Dieu veut qu'ils soient tous sauvés 2. >>

Il est vrai que la volonté générale étoit prise en un mauvais sens par les semi-pélagiens qui, comme le rapporte saint Prosper luimême dans sa lettre à saint Augustin, en inféroient que, sans repousser personne de la vie, «la bonté de Dieu vouloit indifféremment que tous les hommes fussent sauvés et vinssent à la connoissance de la vérité : en sorte que, comme on dit que ceux qui ne viennent pas n'obéissent point parce qu'ils ne l'ont pas voulu, il soit aussi véritable que le fidèle qui obéit, le fait parce qu'il le veut, chacun ayant autant de pouvoir au bien qu'au mal et la volonté se mouvant avec un poids égal à l'un ou à l'autre 3. »

:

C'étoit là un des caractères du semi-pélagianisme si bien marqué dans leur doctrine, qu'il est même observé par les grecs et par Photius «Ils veulent, dit-il, que Dieu gratifie indifféremment. tous les hommes. » Ce mot indifféremment a un double sens. Il signifie, en premier lieu, que la bienveillance de «Dieu, qui veut sauver tous les hommes, n'excepte personne; » et nous avons vu ce sens dans plusieurs passages des Pères, et entre autres dans

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Resp. ad object. Vincent. 3 Prosp., Epist. ad August.,

ceux de l'auteur du livre de la Vocation des gentils et dans ceux de saint Prosper même. Il peut vouloir dire, en second lieu, que l'indifférence est si grande qu'il n'y a du côté de Dieu ni choix, ni discernement, ni grâces particulières pour les élus. En sorte, comme on a vu, que leur pouvoir et leur inclination, comme celle de tous les hommes, soit égale pour le bien comme pour le mal, sans que Dieu incline efficacement leur volonté au bien, qui est le sens des semi-pélagiens et celui auquel saint Prosper rejette la volonté générale; c'est-à-dire, comme il l'explique, « une volonté tellement indifférente que, dans tous les siècles et en quelque manière que ce soit, elle n'omette personne : Ita indifferens per omnia sæcula voluntas Dei, ut usquequaque neminem hominum prætermisisse videatur: ce qui ne peut être, dit le saint, sans qu'on attaque l'impénétrable hauteur des jugements de Dieu 1. »

Pourvu donc qu'on n'attaque pas cette impénétrable hauteur, et qu'on reconnoisse du côté de Dieu avec saint Augustin, avec saint Prosper, avec l'auteur du livre de la Vocation des gentils, un discernement du côté de Dieu, un choix, une élection, une prédestination et prédilection gratuite dont il n'y ait point d'autre cause qu'une bonté particulière de Dieu envers ses élus, non-seulement saint Prosper admettra une volonté générale de sauver et de racheter tous les hommes; mais encore il comptera, comme on a vu, parmi les calomnies qu'on fait à saint Augustin et parmi les erreurs qu'on lui impute, celle de lui faire nier cette volonté générale.

Et si l'on demande quel est, selon saint Prosper, l'effet de cette volonté générale, l'effet en est de donner aux hommes qu'il veut sauver le secours absolument nécessaire pour parvenir au salut et un secours, en un mot, de la nature de celui qui bien constamment est donné, selon ce saint Père et selon saint Augustin, comme on va voir, aux justes qui tombent. Car saint Prosper compte encore, parmi les erreurs qu'on impute à saint Augustin et à ses disciples, celle de leur faire assurer que Dieu « retire secrètement les bonnes volontés» aux justes qui ne persévèrent pas dans la vertu ; c'est-à-dire qu'il leur retire sa grâce et, comme il parle

1 Resp. ad obj. Gall., object. 8. - Resp. ad object. Vincent., object. 13.

en un autre endroit, « qu'il ne veut pas que tous persévèrent, nolit Deus ut omnes catholici in fide catholicà perseverent1; » et au contraire, il suppose comme incontestable que « c'est la volonté de Dieu qu'on demeure dans la bonne volonté, Dei ergò voluntas est ut in bond voluntate maneatur. » Et il ne faut pas répondre que, lorsqu'il dit que Dieu veut qu'on persévère, ce soit dire simplement qu'il le commande: car s'il ne s'agissoit que de vérifier que Dieu commande aux justes la persévérance, saint Prosper n'auroit eu besoin que d'alléguer les préceptes, et il n'auroit pas été nécessaire qu'il alléguât les secours. Or, est-il que, sans alléguer les préceptes, il n'allègue que les secours, en parlant ainsi : « C'est la volonté de Dieu qu'on demeure et qu'on persévère, puisqu'il ne délaisse personne qui ne l'ait auparavant délaissé, et qu'il convertit beaucoup de ceux qui le délaissoient: Qui et priusquàm deseratur, neminem deserit, et multos deserentes sæpè convertit 3. » Il répète le même principe, en un autre endroit par ces paroles : « Comme il faut rapporter le bien à Dieu qui l'inspire, il faut rapporter le mal à ceux qui pèchent: dont il rend cette raison, qu'ils n'ont pas été abandonnés de Dieu, afin qu'ils l'abandonnassent; mais qu'ils l'ont abandonné et ils ont été abandonnés, et ils ont été changés de bien en mal par leur propre volonté : Reliquerunt et relicti sunt, et ex bono in malum propriâ voluntate relicti sunt. » Enfin il inculque encore cette vérité, lorsqu'après avoir enseigné que « Dieu n'est pas cause de la défection de ceux qui s'éloignent de lui,» il le prouve en cette manière : « Qu'encore qu'il ait pu donner à ceux qui tombent, la force de ne tomber pas, il est pourtant véritable que sa grâce ne les a pas quittés avant qu'ils le quittassent 3. »

Nous allons voir, dans un moment, qu'il a pris ce beau principe de saint Augustin, ou plutôt de la tradition universelle de l'Eglise, d'où le concile de Trente l'a tiré pour en faire un point de foi. Mais nous n'en sommes pas encore à qualifier la proposition qui rejetteroit ce principe; nous en sommes à démontrer que c'est, selon saint Prosper, une vérité qui ne reçoit aucun doute, que les

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justes mêmes, lorsqu'ils tombent, n'étoient pas destitués de secours. Car quel que soit ce secours et en quelque sorte qu'on l'explique, si ce n'étoit ce secours absolument nécessaire et absolument suffisant pour conserver la justice, le juste, contre saint Prosper, seroit délaissé avant sa chute, et Dieu de lui-même lui auroit ôté son secours absolument nécessaire. Poussons plus avant et disons: Ce secours n'a pas son effet entier dans les justes, puisqu'ils tombent; il a pourtant un certain effet, puisqu'il les soutient jusqu'à leur donner le pouvoir de ne tomber pas, et cet effet est la suite de la volonté que Dieu a qu'ils persévèrent. Comme donc, parce qu'il a une volonté que les justes ne tombent point, il leur donne le secours absolument nécessaire pour prévenir cette chute, de même s'il y a en Dieu et en Jésus-Christ une volonté générale de sauver tous les hommes et que ce soit une calomnie de faire nier cette vérité à saint Augustin et à ses disciples, l'effet de cette volonté sera que Dieu prépare à tous, en temps convenable, en degré suffisant, quoiqu'avec des différences infinies et par les voies qui lui sont connues, des moyens de parvenir au salut, de la nature de ceux qu'il donne aux justes qui tombent, quoique Dieu veuille qu'ils demeurent.

Il ne s'agit pas maintenant de concilier ces deux volontés, c'està-dire la générale de sauver tous les hommes avec la prédilection et préélection particulière des saints. Le livre de la Vocation des gentils a mis cette importante conciliation au rang des vérités qu'il faut croire, encore qu'elles soient incompréhensibles; et quelque difficulté qu'il y ait à concilier ces deux volontés, saint Prosper qui, comme on a vu, a rangé la particulière qui regardoit les élus parmi les fondemens de la foi, n'a pas laissé de repousser comme des calomniateurs ceux qui imputoient à saint Augustin de nier la générale et universelle qui regardoit tous les hommes.

CHAPITRE VIII.

Saint Augustin reconnoit en Dieu et en Jésus-Christ la volonté générale de sauver et de racheter tous les hommes.

Que ce soit, en effet, une calomnie d'attribuer cette erreur à saint Augustin, le P. Deschamps le prouve par cent passages de ce Père, où il paroît clairement qu'il n'a point parlé autrement que les autres saints de l'universalité de la rédemption 1. Car on y trouve que si Jésus-Christ a acquis le droit de «juger tout le monde, c'est parce qu'il a acheté, non une partie mais le tout : il doit donc juger le tout, puisque c'est le tout qu'il a acheté : Judicabit orbem terrarum, non partem, quia non partem emit; totum judicare debet, quia pro toto pretium dedit. » Pour parler conséquemment, il dit toujours que «le sang de Jésus-Christ est le prix de toute la terre 3. » Rien n'étoit proportionné au prix qu'il donnoit que l'univers tout entier : «Voulez-vous savoir ce qu'il a acheté? Voyez ce qu'il a donné : le prix, c'est le sang de JésusChrist. Combien vaut-il? tout le monde. » Voulez-vous donc savoir ce qu'il a acheté par ce prix, vous n'avez qu'à considérer ce que ce prix valoit. Qu'on me montre aucun passage des autres Pères où l'universalité de la rédemption soit plus clairement expliquée.

Pour l'intention de sauver généralement tous les hommes aucun de ceux qui ont précédé saint Augustin ne l'a non plus énoncé plus clairement qu'il a fait sur ces paroles de Jésus-Christ: << Dieu a envoyé son Fils non point pour juger le monde, mais pour le sauver 3. » D'où saint Augustin conclut : « Autant qu'il dépend du médecin, quantùm in medico est, il est venu sauver le malade. Celui-là se donne la mort, qui ne veut pas observer le précepte du médecin. » Il ne veut donc pas qu'aucun des malades périsse que le médecin n'ait l'intention de le guérir, de le sauver; et s'il n'est pas sauvé, il veut qu'il ne l'impute qu'à sa propre volonté, 3 Ibid.,

1 De Hær. jans., disp. 7, cap. II et seq. XXI, med. — In Prosp., xcv, med.

TOM IV.

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In Prosp., xcv sub. fin.
Joan., III, 17.

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