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tribue toujours à la grâce cette humble reconnoissance de notre foiblesse, humiliter confitendam esse imbecillitatem.

Et tout cela est montré en Dieu, non pas durant l'innocence, mais après le péché du premier homme, depuis que l'ignorance et la cupidité se sont emparées de notre nature. Tout cela, par conséquent, est montré à l'homme perdu, par conséquent comme un effet de la grâce du Rédempteur, qui en ce sens est universelle.

Et après avoir rapporté ce beau passage du livre du Libre arbitre dans celui de la Nature et de la grâce, saint Augustin en conclut, non-seulement « qu'il a exhorté autant qu'il a pu les hommes à la vertu, mais encore qu'il a pris soin de ne pas anéantir la grâce de Dieu 1. » Concluons donc que sa doctrine sur la grâce s'accorde parfaitement avec la volonté générale de sauver ceux qui périssent, volentem sanare; concluons que les secours distingués qu'il établit en particulier pour les élus, ne l'empêchent pas de reconnoître que Dieu est présent à tous pour les aider; concluons enfin que saint Prosper qui, à son exemple et par les mêmes moyens, a établi cette volonté qui veut sauver tous les hommes et même ceux qui se perdent, n'a fait que suivre les pas d'un si excellent maître, et a eu raison de traiter de calomniateurs tous ceux qui lui imputoient une autre doctrine.

Il est vrai que saint Augustin, dans le même livre de la Nature et de la grâce, a dit dès l'entrée que si l'on admet que « les hommes, en croyant en Dieu qui a fait le ciel et la terre et dont on sent naturellement qu'on est l'ouvrage, peuvent accomplir sa volonté et bien vivre sans la foi de la passion et de la résurrection de Jésus-Christ, il s'ensuit que Jésus-Christ est mort en vain 1. » Mais cette doctrine n'est pas contraire à celle de la volonté générale: ceux qui la reçoivent et qui disent que Dieu attire à lui tous les hommes qui voient l'ordre de la nature, ne prétendent pas qu'ils soient sauvés sans connoître Jésus-Christ; mais seulement que s'ils sont fidèles à la grâce qui les appelle à la connoissance de Dieu, ils seront conduits dans leur temps comme Cornélius le centurion à la foi de Jésus-Christ par les moyens que Dieu sait;

1 De Nat. et grat., cap. LXVII. — 2 Ibid., cap. I.

paraissant certain, par l'exemple de cet officier romain, qu'une grâce qui ne nous conduit immédiatement qu'à la connoissance de Dieu, nous conduit médiatement, pour me servir de ce mot, à la connoissance de Jésus-Christ, comme l'enseignent saint Augustin et toute la théologie après un si grand maître.

CHAPITRE X.

Saint Augustin interprète cette parole de saint Paul: Dieu veut que tous les hommes soient sauvés.

Après que saint Augustin a si clairement reconnu la volonté générale en Dieu et en Jésus-Christ de sauver et de racheter tous les hommes, on s'étonnera peut-être de trouver dans le même Père tant d'explications où il restreint cette volonté. Car il est vrai qu'il en rapporte jusqu'à trois, dont nous en trouvons deux dans le livre de la Correction et de la grâce1, où il dit que « tous, dans le passage de saint Paul, veut dire tous les prédestinés, parce que toute sorte d'hommes se trouvent dans ce nombre: au même sens que Jésus-Christ dit aux pharisiens: Vous payez la dime de tous les légumes, c'est-à-dire de tous ceux qu'ils avoient, où tout genre de légumes étoit compris, et non point en général des légumes qui sont dans toute la terre. »

L'autre explication de saint Augustin dans le même livre, est que Dieu veut sauver tous les hommes, parce qu'il nous le fait vouloir; et que non-seulement il nous commande de demander et de procurer leur salut, mais encore qu'il nous en inspire le désir.

Ces deux explications se trouvent souvent répétées dans les livres de saint Augustin, et entre autres dans son Manuel à Laurent, où il en ajoute une troisième, c'est qu'on dit de Dieu qu'il veut sauver tous les hommes, « parce qu'il n'y a que ceux qu'il veut de sauvés. » Ce qu'il explique ailleurs par l'exemple d'un maître d'école dont on dit très-bien qu'il enseigne tous les enfans d'une ville, encore qu'il y en ait qui ne viennent point à l'école, 1 De Corr. et grat.. cap. XIV, n. 44. 2 Luc., XI, 42. 3 De Corr. et grat., cap. xv, n. 47. - Enchir., cap. CIII, n. 27.

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parce que personne ne la tient que lui, et que tous ceux qui sont enseignés le sont par son ministère.

Je récite sommairement ces trois explications de saint Augustin qui sont connues; mais si l'on en prétendoit conclure que ce Père n'en reçoit point d'autres, on le combattroit lui-même, puisque, dans le même lieu du Manuel où il les rapporte toutes trois, il y ajoute cette clause : « Et en quelque autre manière qu'on le puisse entendre, et quocumque alio modo intelligi potest, pourvu, ajoute ce Père, qu'on ne nous oblige point à croire que le ToutPuissant ait voulu quelque chose qui n'arrive point, lui dont il est écrit si expressément qu'il fait tout ce qu'il lui plaît dans le ciel et dans la terre1. D'où il s'ensuit qu'il n'a pas voulu tout ce qu'il n'a pas fait. >>

Ces paroles nous font entendre trois choses: la première, qu'après avoir rapporté les interprétations restrictives de la volonté générale, il déclare qu'il ne prétend point exclure les autres; d'où il s'ensuit, en second lieu, qu'il veut encore moins exclure celles qu'il a lui-même proposées en d'autres endroits, et surtout d'une manière si exacte et si authentique dans le livre de l'Esprit et de la lettre; et de là, en troisième lieu, il faut encore conclure qu'il range parmi les volontés de Dieu, qui ne peuvent être empêchées, celle par laquelle il veut sauver tous les hommes et les amener à la vérité, parce que ne le voulant qu'avec cette loi que s'ils refusent par leur libre arbitre de se conformer à ce qu'il veut d'eux, ils soient inévitablement punis (ce qui fait tout l'acte complexe de cette volonté de Dieu) il s'ensuit qu'elle ne peut jamais être éludée, parce qu'en résistant à la volonté que Dieu avoit de les gratifier, ils retombent dans celle qu'il a, supposé leur défection, de les punir, comme ce Père nous l'a si précisément expliqué dans le livre de l'Esprit et de la lettre.

Il faut donc, selon ce Père, ou plutôt selon tous les Pères et selon l'Ecriture même, distinguer en Dieu deux sortes de volontés l'absolue, par laquelle il veut déterminément et distinctement telle et telle chose, par exemple sauver les élus; et la condi

:

1 Psal. CXIII, 3.

tionnelle, par laquelle il veut telle chose, supposé que telle autre soit, par exemple sauver tous les hommes, pourvu qu'ils se conforment à sa volonté. Ces deux volontés ont leur effet : la volonté absolue l'a bien clairement, puisque les élus bien certainement sont sauvés, parce que Dieu, par sa bonté, leur a préparé des moyens certains pour parvenir au salut. La volonté conditionnelle l'est aussi, quoique d'une autre manière, par deux moyens : le premier, parce qu'en effet tous ceux qui accomplissent la condition et qui veulent ce que Dieu veut, sont sauvés; le second, parce que Dieu voulant sauver ceux qui le voudront et en même temps par le même acte perdre ceux qui ne le voudront pas, ils seront inévitablement perdus, sans que personne les puisse arracher à la justice de Dieu ni à ses mains vengeresses, qui, selon saint Augustin dans le livre de l'Esprit et de la lettre, est un des moyens par lesquels la volonté de Dieu est invincible, c'est-à-dire inévitable et toujours assurée de son effet.

De ces deux sortes de volontés sont nées les deux manières genérales d'expliquer cette parole de saint Paul : «Dieu veut sauver tous les hommes 1, » et les autres de cette nature. Si, par ces mots Dieu veut, nous entendons la volonté conditionnelle par laquelle il veut sauver si l'on se conforme à ses désirs, et perdre si l'on y résiste, il ne faut pas de restriction dans ce mot de tous, et c'est la sorte d'interprétation que saint Augustin a proposée dans le livre de l'Esprit et de la lettre. Que si, au contraire, par ces mots Dieu veut, vous aimez mieux entendre la volonté absolue, alors nécessairement il faudra restreindre le mot de tous aux élus et montrer en quel sens ils sont tous les hommes, et quelle sorte de totalité leur convient; et c'est à cette sorte d'interprétation que se terminent les trois manières de restreindre le mot de tous, que le même Père propose dans les endroits qu'on a vus et dans beaucoup d'autres.

Que si l'on demande pourquoi il propose deux sortes d'interprétation qui semblent si opposées, l'ordre de la dispute le va faire voir. Premièrement donc les pélagiens, en expliquant cette

11 Tim., cap. II, 4.

parole: «Dieu veut que tous les hommes soient sauvés 1, » poussoient le mot de tous jusqu'à nier que Dieu voulût sauver en particulier, par des moyens distingués et infaillibles, un certain nombre d'élus; et ils disoient, au contraire, qu'il vouloit sauver tous les hommes indifféremment, indistinctement et par des moyens égaux. C'est ce qui paroît en ces endroits, et en particulier, comme on a vu, dans la lettre de saint Prosper à saint Augustin. Ce Père, pour s'opposer à ce mauvais sens dans le livre de l'Esprit et de la lettre, c'est-à-dire dès le commencement de la dispute contre les pélagiens, en avouant à la lettre une volonté vraiment générale qui s'étend à tous les hommes sans exception, et selon cette volonté des secours préparés de Dieu que la malice des hommes rendoit inutiles, ne laisse pas, comme on a vu, de conduire la dispute jusqu'aux grâces de distinction, jusqu'aux mouvemens particuliers, dont les uns sont persuadés effectivement, pendant que les autres demeurent dans leur incrédulité, qui est tout le but de ce docte livre. Il demeurera véritable qu'ou Dieu veut sauver tous les hommes, c'est-à-dire un certain nombre d'élus que selon de certaines vues on appelle tous; ou il veut sauver tous les hommes, et il les appelle à la vérité par des moyens généraux : et alors même c'est sans préjudice de la volonté particulière par laquelle il en sépare quelques-uns qu'il sauve par des moyens particuliers et certains. De sorte qu'en quelque manière qu'on prenne le mot de tous, la doctrine de la prédestination et de la grâce subsiste dans toute sa force. Que les pélagiens prissent le tous tantôt pour tous indifféremment, tantôt pour plusieurs, le premier paroît par saint Prosper qui le raconte à saint Augustin, et c'est de quoi personne ne doute; et le second se trouve dans Pélage même sur ces paroles de saint Paul.

Voilà de quelle manière, dans le commencement de la dispute, saint Augustin combattoit la volonté indifférente en convenant naturellement et selon les termes précis de la lettre, d'une volonté vraiment générale. Depuis, pour déraciner encore davantage cette indifférence qui ôtoit la prédilection et la préférence des élus,

11 Tim., II, 4.

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