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CHAPITRE XI.

Saint Augustin enseigne que Jésus-Christ est mort pour tous les hommes.

Maintenant que l'intention de saint Augustin, en alléguant les interprétations restrictives de cette parole: « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés,» soit de le faire sans exclusion de l'intelligence et du sens universel qu'il lui donne ailleurs, outre les raisons que nous en avons apportées, en voici une tirée du propre livre contre Julien, où nous avons vu que commence l'interprétation restrictive. Car après l'avoir rapportée au livre Iv1, il ne laisse pas, pour prouver que les enfans sont morts de la mort de l'âme, de parler ainsi au livre vi: « Nous devons entendre que tous ceux pour qui Jésus-Christ est mort sont morts eux-mêmes, de la manière qu'il est dit ailleurs : Il vous a donné la vie à vousmêmes, pendant que vous étiez morts (par votre péché 3). Et de cette sorte, dit-il (saint Paul), un seul est mort pour tous, donc tous sont morts: montrant qu'il n'a pu mourir que pour des morts, puisqu'il a prouvé que tous étoient morts parce qu'un scul étoit mort pour tous *. » Où il paroît clairement que son intention est de montrer que, selon l'intention, le tous de cette parole: « Il est mort pour tous, » est aussi universel que le tous de cette parole: «Tous sont morts,» puisque l'un s'infère de l'autre. Or est-il que le tous de cette parole: «Tous sont morts, » est universel et sans restriction: donc le tous de cette parole: « Il est mort pour tous,» l'est aussi. Et pour pousser à bout cette preuve qu'il tire de saint Paul, saint Augustin continue ainsi : « Mal gré que vous en ayez, je ne cesserai de vous inculquer cette preuve de l'Apôtre Un seul est mort pour tous, donc tous sont morts. Voyez qu'il a voulu établir que si un étoit mort pour tous, c'étoit une conséquence que tous étoient morts. Or, comme il ne s'agissoit pas de la mort du corps, (puisqu'il étoit évident que ceux pour qui Jésus-Christ est mort, étoient encore en vie), il ne reste autre chose

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1 Lib. IV Contra Julian., cap. v, n. 8.- - 2 Coloss., II, 13. 3 II Cor., V, 14. Lib. IV Cont. Julian., cap v, n. 8.

à dire à un homme qui veut être chrétien, sinon que tous ceux-là sont morts pour qui Jésus-Christ est mort. » Que si tous ceux-là sont morts pour qui Jésus-Christ a donné sa vie, démonstrativement, par la règle des connexions dialectiques, Jésus-Christ a donné sa vie pour tous ceux qui étoient morts, c'est-à-dire sans exception pour tous les hommes.

Je sais que, pour éluder la force de cette preuve, on fait faire ce tour oblique à saint Augustin: Tous sont morts, si les enfans qu'on baptise sont morts: or est-il que les enfans qu'on baptise sont morts; donc tous sont morts. Mais ce n'est pas là le raisonnement de saint Augustin ni de saint Paul: saint Paul met tous d'un côté, et tous de l'autre; il compare ensemble ce qui répond immédiatement et directement à chaque tous; c'est donc également tous et avec la même étendue dans l'un et dans l'autre. Et il ne faut pas changer la preuve directe de saint Paul, et après lui de saint Augustin, en une preuve indirecte qui seroit moins vive et moins pressante: car saint Augustin a montré lui-même combien la preuve de saint Paul étoit directe en la pressant de cette sorte: « Un seul est mort pour tous: donc tous sont morts. Avec quel cœur, avec quelle bouche, avec quel front csez-vous nier que les petits enfans soient morts, puisque Jésus-Christ est mort pour eux? s'il n'est pas mort pour eux, pourquoi les baptise-t-on, puisque nul n'est baptisé qu'en sa mort; et si celui qui est mort pour tous est mort même pour eux, donc ils sont morts avec tous les autres1.» Entendez-vous ces paroles: Il est mort même pour eux ? N'est-ce pas dire qu'il est mort aussi pour tous les autres, et ainsi qu'il est mort pour tous les hommes baptisés ou non baptisés; et qu'il faut bien que les baptisés soient parmi les morts, puisqu'ils sont compris dans le tous pour qui Jésus-Christ est mort, et n'y sont pas compris seuls, mais avec les autres. Que s'il étoit vrai que les enfans baptisés fussent les seuls pour qui JésusChrist étoit mort, il ne falloit pas dire qu'il fût mort même pour eux, etiam pro eis, mais qu'il étoit mort seulement pour eux. Puis donc que saint Augustin les regarde, non comme le tous,

1 Lib. IV Contra Julian., cap. v, n 14.

mais seulement comme une partie des enfans pour qui JésusChrist est mort, il s'ensuit qu'il est mort aussi pour tous les autres qui n'ont pas reçu le baptême. Ainsi, dans le même livre où saint Augustin a commencé à produire les explications restrictives de ce mot tous, il presse plus que jamais l'explication sans restriction, et nous montre que c'est une erreur de les regarder comme incompatibles, mais qu'il les faut plutôt regarder comme s'aidant l'une l'autre, ainsi que nous l'avons vu.

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On objecte dans plusieurs endroits de saint Augustin, et entre autres dans le livre vr que nous venons de citer, que tous ceux pour qui Jésus-Christ est mort reçoivent la vie; mais ce passage porte avec soi sa solution et celle de tous les autres semblables: « Ceux-là vivent, pour la vie desquels est mort celui qui vivoit: ce qu'on peut dire plus clairement en cette sorte: Ceux-là sont délivrés du lien de la mort, pour qui est mort celui qui est libre, comme dit le Psalmiste, entre les morts 1, et que la mort n'a pu détenir dans ses liens; » ou beaucoup plus clairement en cette sorte: « Ceux-là sont délivrés du péché, pour qui est mort celui qui n'a jamais été dans le péché; et bien qu'il ne soit mort qu'une seule fois, toutefois il meurt pour chaque particulier, lorsqu'il est baptisé en sa mort à quelque àge que ce soit ; c'est-à-dire que la mort de celui qui est sans péché commence à profiter aux particuliers, lorsqu'ils sont baptisés en la mort de Jésus-Christ : le péché qui leur avoit donné la mort meurt en eux 2.

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La force de ce passage consiste en ces mots : « Encore qu'il ne soit mort qu'une fois, il meurt en particulier pour chacun de ceux qu'on baptise, lorsqu'il reçoit le baptême :» c'est-à-dire que sa mort commence alors à leur être appliquée, ou, comme parle saint Augustin, « à leur profiter : » qui est précisément la même chose que saint Prosper, son disciple, explique en disant « qu'à cause que Jésus-Christ, comme on a vu, a pris en main, en vérité, la cause de tous les hommes, comme il en a pris la nature, la rédemption en soi et dans l'intention est universelle; et on a raison de dire que tous sont rachetés, rectè omnes dicuntur redempti; mais que

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la propriété, c'est-à-dire l'application sans difficulté est à ceux qui sont faits membres de Jésus-Christ, dont la mort, continue-t-il, n'est pas tellement offerte pour tout le genre humain, que tous et même ceux qui ne doivent pas être régénérés appartiennent à la rédemption (à la considérer dans l'application); mais en telle sorte que ce qui s'est fait pour tous par un seul, l'exemple unique (de la mort de Jésus-Christ) se célébrât par le baptême dans chacun de ceux qui reçoivent ce sacrement, parce que ce breuvage d'immortalité, qui est composé de notre foiblesse et de la vertu divine, a de soi qu'il profite à tous1, » c'est-à-dire, comme on a vu, qu'il est fait pour leur profiter. Mais si on ne le boit pas, il ne guérit pas. En ce sens done on peut dire que la mort de JésusChrist est universelle dans l'intention de l'offrir pour tous, particulière dans le dessein de l'appliquer à certains plutôt qu'à d'autres Jésus-Christ est mort pour tous dans le premier sens, dans le second il n'est mort que pour ceux à qui sa mort est appliquée. Cette mort qui est à tous dans l'universalité de l'intention, par la propriété de l'application, n'est qu'à ceux qui sont baptisés: qui celle que est la doctrine commune de l'Ecole, et comme on a vu, le concile de Trente a expliquée par ces paroles : «Quoique JésusChrist soit mort pour tous, tous ne reçoivent pas le fruit de sa mort. >>

saint Par la conséquence de ce principe et de cette distinction, Augustin qui a établi si distinctement une volonté particulière efficace et déterminée d'amener certains enfans au baptême, selon laquelle il n'a pas voulu que d'autres y vinssent ou qu'ils mourussent avant que d'en avoir reçu la grâce, ne laisse pas d'établir que Jésus-Christ est mort pour tous : qu'il « juge tout le monde parce qu'il a acheté tout le monde2; que celui qu'il avoit délivré par un si grand prix s'est depuis livré au démon; qu'en crucifiant leur Sauveur, les Juifs en ont fait leur juge3; qu'il a acheté ceux qu'il perdoit et jusqu'à Judas qui l'a vendu, qui néanmoins ne l'a perdu que parce qu'il n'a pas voulu qu'il le possédât, à quo noluit possideri*. »

Resp. ad object. Vincent., resp. I, p. 208. cap. III. Lib. II De Symb., instruct. 108.

2 In Psal. XCV. - 3 In Galat.,

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A cela se rapportent encore tous les passages où il paroît que chacun doit croire de soi et qu'on doit croire de chacun, que JésusChrist est mort pour lui; tels que sont ceux-ci : « Si vous voulez, son sang est donné pour vous; si vous ne voulez pas, il n'est pas donné pour vous'. » Et ailleurs : « Vous ne croyez pas : croyez, croyez. Et quoi? qu'il est mort pour vous, mortuus est pro te3. Et que vous a-t-il promis? Que vous vivriez avec lui, et qu'étant mortel, vous y vivriez à cause que celui qui est éternel est mort pour vous. » Et encore : « Il a offert sa mort pour vous; comme s'il disoit : Je vous invite à ma vie (à la vie éternelle, à la vie heureuse). Vous ne le voulez pas croire? Ma mort (offerte pour tous) vous en est un gage. Il s'est fait mortel pour tous, afin que vous devinssiez éternel. Je t'ai racheté de mon sang, je t'ai racheté par ma mort lis ce testament, lis la promesse de ton Seigneur : tu y trouveras pour toi et la mort de ton Sauveur et le prix que ton Rédempteur a donné pour toi. En quelque endroit que tu ailles, Jésus te voit, lui qui t'a racheté, toi qui étois perdu; et qui est mort pour toi quand tu étois mort. » Saint Augustin a dit ces choses et une infinité d'autres de même force, et tout cela fondé sur ce passage de saint Paul : « Ne perdez pas votre frère pour qui Jésus-Christ est mort, » que le même saint Augustin a entendu comme saint Paul, de ceux qui périssoient effectivement. Il n'est point écrit en particulier de tel et tel particulier, que Jésus-Christ est mort pour lui. Saint Paul n'a donc pu assurer qu'il étoit mort pour un tel fidèle, sinon parce qu'il est écrit qu'il est mort pour tous les fidèles. Mais il n'est pas écrit simplement qu'il est mort pour tous les fidèles, mais qu'il est mort généralement pour tous les hommes. C'est pourquoi c'est un langage universel dans l'Eglise, et c'est celui de saint Augustin, comme de tous les autres docteurs, en parlant à tous ceux qu'on veut convertir, ou parmi les chrétiens ou parmi les infidèles, de leur dire que la voie du salut leur est ouverte, parce que Jésus-Christ est mort pour eux et qu'il les a

1 Serm. XXXI, ibid., in II Epist. ad Cor., cap. v.,- 2 In Psal. xv, 3, paulò ante med.3 Serm. CXLI de Tempore, nunc 231, cap. v. - Tract. in II Epist. Joan. - Serm. XIII de Tempore, nunc 161, cap. II. — .6 Epist. CXXXVII, nunc 78, n. 7.

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