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semble, comme nous avons dit de saint Basile. Mais l'auteur affecte de parler ainsi, parce qu'il ne nous veut point tirer de l'idée du petit nombre et de la foiblesse des preuves de l'Eglise.

CHAPITRE XV.

Mépris de l'auteur pour les discours et les preuves de saint Grégoire de Nazianze sur la Trinité.

Mais saint Grégoire de Nazianze est celui dont on représente les preuves et la méthode comme la plus foible. C'est dans ses Oraisons contre Eunome qui, comme nous avons vu, ont acquis à ce grand docteur le titre de Théologien, à cause qu'il y soutient avec tant de solidité la véritable théologie ; c'est, dis-je, dans ces Oraisons qu'on le met au nombre de « ceux qui se contentent des apparences et de l'ombre de la raison1. >>

Il est vrai qu'on tempère, en quelque façon, cette téméraire critique par un « quelquefois » et un « souvent. » Mais ces foibles corrections ne servent qu'à faire voir que le hardi censeur des Pères n'ose dire à pleine bouche ce qu'il en pense. Car si les preuves de saint Grégoire de Nazianze lui avoient paru concluantes en gros, du moins en disant « que souvent » elles sont apparentes plutôt que solides, et que « toutes » ne sont pas fortes, il auroit dù expliquer qu'elles le sont ordinairement, ce qu'il ne fait en aucun endroit. Au contraire, ce grand personnage est partout, dans notre auteur, un homme qui tremble, qui évite la difficulté: « Grégoire évite, dit-il, de rapporter en détail les endroits de l'Ecriture où il est fait mention du Saint-Esprit 3. » Il se couvre en ajoutant qu'il laisse cela à d'autres qui les avoient examinés. » Pour exposer la chose comme elle est et à l'avantage de ce grand théologien, il falloit dire qu'à la vérité il se remet du principal de la preuve aux écrivains précédens, et « à saint Basile, qui avoit écrit devant lui sur cette matière'; » mais que dans la suite il ne laisse pas de rapporter toutes leurs preuves et tous leurs passages d'une manière abrégée, et d'autant plus convaincante. Mais il faut dire encore un coup à notre critique qu'il ne sent pas ce qu'il lit.

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Il croit n'entendre que peu de passages de l'Ecriture dans les discours théologiques de saint Grégoire de Nazianze, parce que ce sublime théologien, qu'il a traité ignoramment de vain rhéteur, fait un précis de cent passages qu'il ne marque pas, parce que la lettre en étoit connue et qu'il falloit seulement en prendre l'esprit. C'est ce que peuvent reconnoître ceux qui liront avec réflexion ses cinq Discours contre Eunome, et surtout la fin du cinquième, où il établit en deux pages la divinité du Saint-Esprit d'une manière à ne laisser aucune réplique. Cela n'est pas éviter la preuve ni tout le détail, comme dit le bardi censeur de saint Grégoire de Nazianze, puisque ce Père n'oublie rien, et n'en fait pas moins valoir le texte sacré, pour n'en avoir pas cité expressément tous les endroits. Un bon critique devoit sentir cette vérité, et un catholique sincère ne la devoit pas taire. Mais il ne faut pas chercher dans notre auteur ces délicatesses de goût et de sentiment, non plus que celles de religion et de bonne foi. Au contraire, comme s'il ne s'étoit pas encore assez expliqué en insinuant que Grégoire évite la difficulté, il ajoute, pour ne laisser aucun doute de sa foiblesse : a qu'avant que de produire les passages qu'on lui demandoit (pour prouver qu'il falloit adorer le Saint-Esprit), il se précautionne judicieusement dans la crainte qu'on ne les trouve pas concluans1; » d'où il infère « qu'il étoit difficile qu'il convainquit ses adversaires par la seule Ecriture. » Ainsi ce ne sont point les hérétiques, mais les catholiques qui hésitent, quand il s'agit de la preuve par l'Ecriture: leur fuite est aussi honteuse que manifeste, et la victoire de l'Eglise sur les ennemis de la Trinité consiste plutôt dans l'éloquence de ses rhéteurs que dans le témoignage des livres sacrés.

CHAPITRE XVI.

Que l'auteur, en cela semblable aux sociniens, affecte de faire les Pères plus forts en raisonnemens et en éloquence que dans la science des Ecritures.

C'est ce que l'auteur ne nous laisse pas à deviner dans l'endroit où, commençant la critique de saint Grégoire de Nazianze, il en parle en cette manière : « Ce qu'on a remarqué ci-dessus du ca

1 P. 124.

ractère de saint Basile dans les livres qu'il a écrits contre les hérétiques, se trouve presque entièrement dans les disputes de saint Grégoire de Nazianze, qui ne s'est pas tant appuyé sur des passages de l'Ecriture que sur la force de ses raisons et de ses expressions; ce qui se termine à dire enfin «qu'il a été un grand maître dans l'art de persuader 2. »

C'est ce que veulent encore aujourd'hui les sociniens. Les discours des anciens Pères, selon eux, sont des discours d'éloquence, pour mieux dire des discours de déclamateurs; ou comme M. Simon aime mieux les appeler, de rhéteurs qui n'ont rien de convaincant. Saint Grégoire de Nazianze, avec son titre de Théologien, n'a eu, non plus que les autres, qu'une éloquence parleuse, destituée de force et de preuves. Ce qu'il ajoute de ce même Père, comme pour l'excuser de ne s'être pas beaucoup appuyé sur l'Ecriture, « qu'il suppose que ceux qui l'ont précédé avoient épuisé cette matière, et qu'il étoit inutile de répéter ce qu'ils avoient dit,» n'est après tout qu'une foible couverture de sa malignité. Car outre que nous avons vu qu'il entre en preuve quand il faut et comme il faut, il ne sert de rien de nous dire qu'il se repose sur les écrivains précédens, après qu'on a travaillé à nous faire voir que les anciens écrivains, saint Basile et saint Athanase, ou celui qu'on fait disputer si foiblement sous son nom, après tout ne concluent rien par l'Ecriture; en sorte que les hérétiques paroissent toujours invincibles de ce côté-là, ce qui dans l'esprit de tous les Pères et de l'aveu de M. Simon, est le principal.

CHAPITRE XVII,

Que la doctrine de M. Simon est contradictoire: qu'en détruisant les preuves de l'Ecriture, il détruit en même temps la tradition, et mène à l'indifférence des religions.

Il allègue ici la tradition; et c'est par où je confirme ce que j'ai déjà remarqué, qu'il ne l'allègue que pour affoiblir l'Ecriture sainte. Ce n'est pas là l'esprit de l'Eglise ni des Pères; et au contraire je vais démontrer par les principes de M. Simon, que c'est un moyen certain de détruire la tradition avec l'Ecriture même. P. 119.-2 lbid. — Ibid.

Il n'y a qu'à parcourir tous les endroits où il convient que les Pères mettoient leur fort principalement sur l'Ecriture 1. On a vu que dans la dispute sur le mystère de la Trinité les deux contendans, tous deux habiles selon lui et parfaitement instruits de la matière, se fondoient également sur l'Ecriture comme sur un principe convaincant, et réduisoient la question à la bien entendre. « La dispute, dit M. Simon, n'est appuyée de part et d'autre que sur des passages de l'Ecriture 3. » « Le véritable Athanase, dit encore M. Simon, nous apprend que les preuves les plus claires sont celles de l'Ecriture. » Les autres Pères ont suivi, selon notre auteur, la méthode comme la doctrine de saint Athanase, dont ils ont pris ce qu'ils ont de meilleur. Ils raisonnent à la vérité, et trop selon lui, comme on va voir, mais c'est toujours sur l'Ecriture. « La plupart de leurs disputes, dit-il, roulent sur des conséquences qu'ils tirent des explications de l'Ancien et du Nouveau Testament . » Telle est la méthode de saint Basile. En effet on a yu que ce grand auteur prétend avoir démontré la divinité du Fils et du Saint-Esprit, par les saints Livres. S'il y joint la tradition, ce n'es pas pour affoiblir l'Ecriture ni les preuves très-convaincantes qu'il ne cesse d'en tirer, mais pour ajouter ce secours à des preuves déjà invincibles.

On a vu que les deux Grégoire ont suivi cette méthode. Notre auteur nous apprend lui-même les deux principes de saint Grégoire de Nysse: « Le premier est de s'attacher aux paroles simples de l'Ecriture, le second de s'en rapporter aux décisions des anciens docteurs 8. » Voilà donc dans ce saint docteur deux principes également forts, et celui de l'Ecriture établi autant que l'autre.

Les Pères latins n'ont pas eu une autre méthode. «Saint Hilaire, dit notre auteur, ne s'appuie pas sur la tradition, mais seulement sur les livres sacrés; » et un peu après : « Les ariens convenoient de principes avec les catholiques, ayant de part et d'autre la même Ecriture, et toute leur dispute ne consistoit que dans le sens qu'on lui devoit donner 9. »

1 Ci-desssus, lib. II, chap. I, II, III, IV. — P. 91. — 6 P. 105.

Simon, p. 93. - P. 97. - P. 99.

7 Ci-dessus, chap. XI et suiv. — 8 P. 115. — 9 P. 182.

Dans la dispute de saint Augustin contre Maximin sur la même matière de la Trinité, si l'hérétique proteste qu'il n'a point d'autre volonté que de se soumettre à l'Ecriture, «saint Augustin de son côté ne fait pas moins valoir que lui les preuves de l'Ecriture'. C'étoit donc dans l'Eglise catholique une vérité reconnue, que les preuves de l'Ecriture étoient convaincantes.

2

Si l'on a mis le fort de la cause sur l'Ecriture dans la dispute sur la Trinité, dans celle contre Pélage saint Augustin ne l'y met pas moins, et nous avons vu que M. Simon lui fait pousser l'évidence des preuves, jusqu'à regarder celles de la tradition comme n'étant point nécessaires3, en quoi même nous avons marqué son

excès.

C'est donc une tradition constante et universelle dans l'Eglise, que les preuves de l'Ecriture sur certains mystères principaux, sont évidentes par elles-mêmes, encore que les hérétiques aveugles et préoccupés n'en sentent pas l'efficace; et M. Simon nous apprend qu'encore dans les derniers temps Maldonat avoit soutenu que, par la force des termes, «il n'y avoit rien de plus clair, pour établir la réalité, que cette proposition: Ceci est mon corps*; tant il est vrai que la tradition de l'évidence de l'Ecriture sur certains points principaux est de tous les âges, et même selon notre auteur.

Mais s'il est certain que M. Simon établit sur ces articles principaux l'évidence de l'Ecriture, d'autre côté il n'est pas moins clair, par tout ce qu'on vient de rapporter, qu'il en affoiblit les preuves jusqu'à dire qu'elles n'ont rien de convaincant. Quand on a des vues aussi diverses que celles de ce faux critique, qu'on veut plaire à autant de gens de principes différens et de créances si opposées, jamais on ne peut tenir un même langage: la force de la vérité ou la crainte de trop faire voir qu'on l'a ignorée tire d'un côté, les vues particulières entraînent de l'autre. Mais ce qui règne dans tout l'ouvrage de notre critique, est une pente secrète vers l'indifférence; et il n'y a point de chemin plus court pour y parvenir et pour renverser de fond en comble l'autorité de l'Eglise, que de faire voir d'un côté qu'elle fait fond sur l'Ecriture, pendant P. 284.-2 C-dessus, chap. VIL. 3 P. 285, 286, 290. — P. 623.

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