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CHAPITRE XV.

Non-seulement Dieu fait connoitre le bien par la grâce extérieure de la révélation, mais il le fait aimer et pratiquer par la grâce intérieure de la charité. Concile de Carthage tenu en 416.

Voilà comme saint Augustin pose l'état de la question, dans un livre qu'il envoie exprès en Orient pour y découvrir les équivoques des pélagiens, et proposer dans les termes les plus simples ce que l'Eglise demandoit à ces hérétiques sur la doctrine de la grâce chrétienne. Pour mieux expliquer le caractère et la différence précise de cette grâce d'avec la grâce pélagienne, il faut remarquer que les pélagiens mettoient la grâce qui nous aide à faire le bien dans la doctrine ou révélation des commandemens de Dieu, dans les exemples de Jésus-Christ et dans toutes les autres choses où nous apprenons ce que nous devons faire et éviter, comme s'il n'y avoit qu'à apprendre et à savoir le bien pour l'accomplir sans aucun besoin d'un autre secours. Mais saint Augustin fait voir dans ce livre combien la science est insuffisante, par ces paroles de saint Paul : « La science enfle et la charité édifie1 : » que Pélage discerne, dit-il, entre la pensée et l'amour, parce que « la science enfle et la charité édifie, » et la science n'enfle plus quand la charité édifie. L'un et l'autre étant donc un don de Dieu, l'un plus petit qui est celui de la science, l'autre plus grand qui est celui de la charité, qu'il n'élève point le cœur de l'homme audessus de Dieu, qui le justifie en attribuant à la grâce la science qui est le moindre de ces dons, et laissant au libre arbitre de l'homme la charité qui est le plus grand1. »

Il paroissoit donc clairement que non-seulement la science, comme l'accordoient les pélagiens, mais encore et à plus forte raison, la charité étoit un don de Dieu; et pour montrer quel don et quelle grâce c'étoit, saint Augustin la définissoit dans le même livre en cette sorte: «Cette grâce, dit-il, est celle par laquelle il se fait en nous, non-seulement que nous connoissions ce qu'il faut

1 I Cor., VIII, 1.

De Grat. Christ., cap. XXVI, n. 27.

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faire, mais encore que nous fassions ce que nous avons connu; et non-seulement que nous apprenions par la foi les choses qu'il faut aimer, mais encore que nous les aimions après les avoir crues 1. Telle est donc la grâce dont saint Augustin exigeoit de Pélage la confession : c'étoit une grâce qui non-seulement faisoit croire, mais encore aimer en effet ce qu'on croyoit; et pour la faire encore mieux entendre, ce Père ajoutoit « que s'il la falloit appeler doctrine, c'étoit à cause que Dieu la répand dans l'intérieur avec une suavité ineffable; en sorte que, non-seulement il montre la vérité, mais encore il en inspire l'amour : » Ut non ostendat tantummodò veritatem, sed etiam impertiat charitatem. « Car c'est, poursuit-il, en cette sorte que Dieu enseigne ceux qu'il a appelés selon son propos (ou son décret éternel), leur donnant tout ensemble et de savoir ce qu'il faut faire, et de faire ce qu'ils savent. » Ce qu'il prouve par ce beau passage de saint Paul dans la première Epitre aux Thessaloniciens: « Vous n'avez pas besoin qu'on vous écrive sur la charité fraternelle, puisque vous avez appris de Dieu même à vous aimer les uns les autres 2. » Et pour prouver, continue saint Augustin, qu'ils l'avoient appris de Dieu même, saint Paul ajoute : « Car vous le faites: » par où il montre, poursuit saint Augustin, « que la marque la plus assurée qu'on a appris de Dieu, c'est lorsqu'on fait ce qu'on a appris : et c'est, dit-il, en ce sens que tous ceux qui sont appelés selon le propos et le décret éternel, sont appelés par les prophètes enseignés de Dieu,» selon que l'explique Jésus-Christ. Et, conclut saint Augustin, « celui qui sait ce qu'il faut faire et ne le fait pas, ne l'a pas encore appris de Dieu selon la grâce et selon l'esprit, mais selon la loi et selon la lettre 3. » C'est aussi par où il explique cette parole de Notre-Seigneur: «Tous ceux qui ont ouï et qui ont appris de mon Père viennent à moi. » D'où il tire cette conséquence: « Si tous ceux qui apprennent viennent, quiconque ne vient pas n'a pas appris. Or qui ne voit qu'on vient ou qu'on ne vient pas, par son libre arbitre? Mais ce libre arbitre peut être seul s'il ne vient pas; mais il ne peut ne pas être aidé s'il vient, et encore tellement

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aidé que non-seulement il sache ce qu'il faut savoir, mais encore qu'il accomplisse ce qu'il sait de sorte que quand Dieu enseigne non par la lettre de la loi, mais par la grâce du Saint-Esprit, il enseigne de telle manière que quiconque apprend de lui, non-seulement sache ce qu'il faut faire en le connoissant, mais encore le désire par sa volonté et l'accomplisse par son action 1. » Il faudroit transcrire tout le livre, si l'on vouloit rapporter tous les passages où saint Augustin explique que la grâce dont il demande la confession aux pélagiens, est celle qui donne tout ensemble par un effet infaillible, et le savoir et le vouloir et le faire. Mais j'ai voulu en alléguer ce qui sert à faire entendre le chap. IV du concile de Carthage, dont voici les paroles : « Quiconque dira que la même grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (dont il s'agit contre les pélagiens) nous aide à ne pécher plus, à cause seulement qu'elle nous révèle et nous découvre l'intelligence des commandemens de Dieu, afin que nous sachions ce que nous devons ou désirer ou éviter; mais qu'il ne nous est point donné par cette grâce d'aimer et de pouvoir accomplir ce que nous aurons connu qu'il faut faire qu'il soit anathème. Car, comme l'Apôtre dit : « La science enfle et la charité édifie, » il est fort impie de croire que la grâce de Jésus-Christ nous soit donnée pour celle qui enfle, et ne nous soit pas donnée pour celle qui édifie, puisque l'un et l'autre sont un don de Dieu, et de savoir ce qu'il faut faire et encore d'aimer à le faire, afin que, par l'édification de la charité, la science ne puisse enfler; et de même qu'il est écrit de Dieu: « Lui qui donne la science à l'homme 2, » il est écrit de même: « La charité vient de Dieu 3. »

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On voit, par les paroles de ce chapitre, que le concile n'a fait qu'abréger et prendre l'esprit de la doctrine de saint Augustin, que nous venons de rapporter.

Ce grand homme étoit présent dans cette assemblée. Car s'il est vrai, comme les savans en conviennent maintenant, que le concile de Carthage, où furent arrêtés les huit chapitres de la condamnation de Pélage (car je n'ai pas besoin de parler ici du 1x), De Grat. Christ., cap. XIV, n. 15. 2 Psal. XCIII, 10. - Conc. Carth., cap. IV.

et le concile, dont parle saint Prosper, de deux cents et tant d'évêques, tenu dans cette capitale de l'Afrique en 418, il est certain que saint Augustin y étoit, qu'il en étoit l'ame et le génie, comme Aurèle de Carthage en étoit le chef, selon l'expression de saint Prosper; et que dans la même année il écrivit le Livre de la grâce de Jésus-Christ, dont nous avons rapporté tant de passages de sorte qu'il ne se faut pas étonner si, plein encore de ce saint concile et des chapitres qu'il avoit dictés, il en étale si au long la sainte doctrine dans les mêmes termes que ce concile avoit pris de lui. Car c'est de là que naissoient ces expressions: « que la charité qui édifie doit être encore plus un don de Dieu que la science qui enfle; et que la grâce nous donne, non-seulement de connoître ce qu'il faut faire, mais encore d'aimer à le faire, afin que par l'édification de la charité la science ne puisse enfler: » qui est encore une expression de saint Augustin, lorsqu'il dit dans le Livre de la grâce et du libre arbitre : « Qu'y a-t-il de plus absurde ou plutôt de plus insensé et de plus éloigné de la charité, que de dire que la science qui enfle sans la charité vienne de Dieu, et que la charité qui fait que la science ne peut enfler vienne de nous 1? » Il répète la même chose et les mêmes termes dans l'hérésie LXXXIII, qui est celle des pélagiens, où il pose si nettement l'état de la question contre les pélagiens. Il a continué le même discours jusqu'à la fin de sa vie, et dans l'ouvrage imparfait contre Julien, sur lequel il est mort: « Comment, dit-il, se peut-il faire que la moindre des choses, c'est-à-dire la science, soit un don de Dieu, et que la plus grande, c'est-à-dire la charité, nous vienne de nous-mêmes ? » L'on voit dans tous ces passages pourquoi le concile a pris tant de soin d'établir cette convenance entre la science et la charité, d'être l'une et l'autre, principalement la dernière, un don de Dieu. C'est que c'étoit là où il falloit mettre la principale différence de la grâce pélagienne et de la grâce chrétienne; et que saint Augustin l'ayant reconnu partout, il a fait entrer le concile dans cet esprit ; et qui voudroit parcourir toutes les locutions de ce concile, non-seulement dans le chapitre Iv

1 De Grat. et lib. arbitr., cap. XIX, n. 40. — 2 Lib. I, cap. XCV

qu'on vient de produire, mais encore dans les sept autres, il remarqueroit partout le style et le goût de saint Augustin; en sorte qu'on ne peut nier que ce concile ne soit un précis de saint Augustin, de même que saint Augustin est un long commentaire de ce concile.

Il ne faut donc pas s'imaginer que le dessein du concile, lorsqu'il dit que la charité est un don de Dieu aussi bien que la science, il entende seulement parler de la charité comme de la science habituelle. Car ces paroles du concile, lorsqu'il dit que c'est un don de Dieu, et de savoir ce qu'on doit faire et d'aimer à le faire, ce qui s'entend manifestement des actes; et saint Augustin, que le concile suivoit, disoit sans cesse que la grâce qui rend les fidèles disciples de Dieu, ou, comme parlent les prophètes cités par Jésus-Christ même, enseignés de Dieu; où ce Père explique partout que cet enseignement divin n'est autre chose que l'infusion de la grâce qui, non-seulement nous porte à faire le bien, mais encore, comme on a vu, nous le persuade, nous le fait croire, nous le fait aimer, et l'aimer de telle sorte que nous le fassions'.

Car il se faut souvenir que nous avons établi selon la doctrine de ce Père qu'en un certain sens qu'il a divinement expliqué, le pouvoir que nous avons de faire le bien nous vient de la volonté de l'accomplir, c'est-à-dire de l'amour même que nous avons pour le suivre; on ne peut jamais ce qu'on ne veut et ce qu'on n'aime que foiblement: et au contraire, dans ce qui regarde la vie chrétienne, on peut et on fait toujours ce qu'on aime et ce qu'on veut parfaitement, parce que cette volonté et cet amour, non-seulement nous font accomplir le bien qui nous est commandé, mais encore en sont eux-mêmes l'accomplissement. C'est pourquoi le chapitre Iv dont nous parlons, du concile de Carthage, s'est servi, comme on a vu, de cette expression, que la grâce nous donne, «non-seulement d'entendre ce qu'il faut faire, mais encore de l'aimer et de le pouvoir » Utquod faciendum cognoverimus, etiam facere diligamus atque valeamus; mettant, comme on voit, l'amour, c'està-dire la volonté forte de faire le bien, comme la source du pou

1 De Grat. Christ., cap. x, 11.

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