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dit : « Qu'on ne peut attendre ce don que de Dieu, qui peut affermir celui qui demeure ferme, et rendre de nouveau la fermeté à celui qui est tombé. » Il démontre la puissance de Dieu, non en disant qu'il nous peut donner le pouvoir de demeurer fermes ou de nous relever après nos chutes, mais en disant qu'il a la puissance de nous rendre fermes quand nous demeurons, ou si nous tombons de nous remettre sur nos pieds et nous tenir jusqu'à la fin en cet état : ce qui comprend l'effet même de l'actuelle persévérance, qui par conséquent est marqué comme l'effet propre et particulier de ce don. Ce don est donc efficace; ce don est propre aux élus, puisqu'il est propre à ceux qui persévèrent jusqu'à la fin dans la justice, et ceux qui tombent à la fin ne l'ont pas eu. Ils n'ont pourtant point d'excuse de leur chute, parce que s'ils n'ont pas reçu la persévérance actuelle, on a vu qu'ils ont reçu le pouvoir de persévérer dans la justice reçue; et que pour l'actuelle persévérance, ils pouvoient encore l'obtenir, ou, comme parle saint Augustin, même la mériter par leurs prières mais pour cela il falloit persévérer à prier, ce qu'on n'a, comme on a vu, que par un don spécial. Et ainsi, comme on a vu, pareillement on n'est sauvé que par grâce; et le salut se réduit enfin à une pure miséricorde, n'y ayant rien de plus gratuit que ce qui est donné à la prière, qui elle-même nous est donnée par une grâce si pure et tellement grâce.

:

C'est donc pour cette raison que ce don de persévérer jusqu'à la fin est appelé par le concile de Trente, « le grand don de Dieu. Si quelqu'un croit qu'il aura certainement, d'une certitude infaillible et absolue, ce grand don de persévérance jusqu'à la fin, s'il ne l'a appris par une révélation particulière : qu'il soit anathème 1. » C'est donc ici, en vérité, le grand don de Dieu et le plus grand de tous les dons en cette vie, parce qu'il a toutes les qualités d'un don et d'un grand don : il est le plus grand de tous les dons, parce qu'il est inséparablement uni à la prédestination; encore une fois le plus grand de tous les dons, parce que c'est le plus infaillible et le seul qu'on ne reçoit jamais inutilement; enfin, et en dernier

1 Sess. VI, can. 16.

lieu, il est le plus grand de tous les dons, parce qu'il est le plus gratuit et qu'un Dieu le donne de lui-même sans aucun mérite; ou s'il le donne au mérite de la prière persévérante, il donne premièrement par un don entièrement gratuit la prière persévérante. Et remarquez que le concile de Trente n'a pas eu à définir expressément ce qui regardoit le don de persévérance; mais qu'ayant dù en parler par occasion pour condamner la certitude de la prédestination jointe avec la persévérance que les hérétiques enseignoient, il a dit de ce grand don ce qu'on vient de voir comme une chose reconnue pour indubitable dans toute l'Eglise, conformément aux principes de saint Augustin, qui, outre tous les passages où il prouve cette vérité, a fait un livre exprès pour l'établir, et lui a donné pour titre : Traité du bien ou du don de la persévérance, selon les diverses leçons de ce livre.

Une des preuves que ce Père apporte de ce don singulier de persévérance est celle-ci : « Celui qui tombe, tombe par sa volonté; et celui qui demeure ferme, demeure ferme par la volonté de Dieu; » car (comme dit l'apôtre saint Paul) il est puissant pour l'affermir. « Ce n'est donc pas lui qui s'affermit lui-même, mais Dieu » Non ergo seipse, sed Deus : qui est non-seulement la conclusion, mais encore la preuve même du concile de Trente.

Et quand je parle tant de l'attachement que les conciles ont eu à la doctrine de ce saint, ce n'est pas pour dire que saint Augustin est la règle de la foi; mais c'est pour dire qu'ayant puisé sa doctrine dans la foi commune de l'Eglise catholique, et lui ayant été donné de l'exprimer plus précisément que tous les autres docteurs, il est sur cette matière comme l'ame de tous les conciles et le plus fidèle interprète de leurs sentimens.

Voilà ce que nous avons dans les conciles d'Afrique, dans celui d'Orange et enfin dans celui de Trente sur la gràce qui donne l'effet. Je pourrois encore ajouter à tous ces décrets du dernier le canon XXII, où il établit avec anathème « un secours spécial, sans lequel on ne peut persévérer dans la justice reçue et avec lequel on le peut. >> Cette grâce, ce secours, ce don spécial du concile,

1 De Dono persev., lib. VIII, n. 19.

semble insinuer le grand don de persévérance qu'on vient de voir dans ce concile. Mais comme il y a ici diverses interprétations et de grandes disputes entre les docteurs, cette discussion seroit inutile en ce lieu, où je n'ai dessein de proposer que ce qui est certain dans l'Ecole, et nous détourneroit trop de notre sujet.

Au reste, en considérant tant d'expresses définitions de l'Eglise sur la grâce qui donne l'effet, il ne faut pas croire qu'elle y ait été amenée par un dessein de subtilité et de curiosité, puisqu'on a vu au contraire que ce qui lui a inspiré ces définitions, c'est le dessein inspiré de Dieu par toutes ses écritures d'apprendre aux fidèles à prier, à s'humilier, à rendre grâces, en un mot, à reconnoître l'œuvre du salut comme l'œuvre de Dieu : ce qui a fait dire tant de fois à saint Augustin, aux conciles et en dernier lieu à celui de Trente, « que les mérites des fidèles sont des dons de Dieu1, » parce que c'est lui qui nous donne par un secours assuré, et le désir et l'effet de la conversion et de la persévérance, à laquelle est attachée la couronne de gloire.

Par là il se voit encore pourquoi les conciles n'ont rien défini expressément sur la prédestination gratuite, encore que saint Augustin dans ce sens que nous avons établi la mette comme de foi, parce que, comme on a vu, et comme il a été observé par saint Augustin, c'est suffisamment établir cette prédestination que de reconnoître dans le temps cette grâce de préférence que Dieu, qui prévoit, ordonne et prépare toutes ses œuvres de toute éternité, n'a pu manquer de prévoir, d'ordonner et de préparer, c'est-àdire de prédestiner avant tous les temps: ce qui est en termes formels et précisément cette divine prédestination que saint Augustin a tant en vue. Et ce Père l'ayant accordée avec la volonté générale et avec la grâce donnée du moins à tous les fidèles, quoique sans son dernier effet pour ceux qui périssent, il s'ensuit que cette grâce convient avec la grâce de préférence, ce qui fait tout le sujet de cette dispute.

1 Sess. VI, can. 16.

CHAPITRE XVII.

La grâce qui donne l'effet est nécessaire pour faire le bien et y persévérer.

Pour ne rien laisser d'incertain dans ce qui regarde la foi en cette matière, il faut encore examiner cette question: Si l'on peut dire que cette grâce qui donne l'effet est nécessaire à persévérer dans le bien ou même à le faire, et qu'on ne peut rien sans elle.

Vasquez a décidé cette question premièrement par saint Innocent, secondement par saint Célestin, troisièmement par saint Augustin'. La décision de saint Innocent est tirée de son Epitre décrétale au concile de Carthage, où il parle ainsi : « Dieu nous donne des remèdes journaliers, dont si nous ne sommes appuyés, si nous n'y mettons notre confiance, nous ne pourrons jamais surmonter les erreurs de la vie humaine. Car, poursuit-il, il est nécessaire que, si nous les surmontons maintenant et lorsqu'il nous aide, nous y succombions dans la suite lorsqu'il ne nous aide pas. » Ou, pour traduire de mot à mot : « Il est nécessaire que, Dieu nous aidant, nous surmontions; et que, Dieu ne nous aidant pas, nous soyons vaincus : » Necesse est enim ut quomodo, adjuvante, vincimus, eo iterùm non adjuvante, vincamur . Ce qu'il faut entendre de la grâce qui donne l'effet pour deux raisons: la première, que ce saint pape parle d'une grâce qui empêche de tomber ceux qui l'ont : « Nous surmontons, dit-il, quand Dieu nous aide: » Eo adjuvante, vincimus. Oui, sans doute, quand il nous aide de ce secours qui donne l'effet. Car pour le secours suffisant qui ne donne que le pouvoir de faire, et non pas le faire, c'est avec un tel secours que les justes tombent : ce qui n'est donc pas le secours avec lequel on triomphe infailliblement, lorsqu'on est secouru. Mais la seconde raison est encore plus indubitable, selon les principes de Vasquez. Car saint Innocent parle d'un secours qui peut être entièrement soustrait : « Il est nécessaire, dit-il, et que nous triomphions quand Dieu le donne, et que nous soyons vaincus

In I part., disput. XCVIII, cap. 4.

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Apud August., Epist. XCI.

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quand il cesse de le donner: » Necesse est, eo non adjuvante, vincamur. Il parle donc d'un secours dont la soustraction est suivie de notre chute. Or est-il que Vasquez ne suppose pas que le secours suffisant puisse être soustrait; au contraire il suppose qu'il ne le peut jamais être. C'est pourquoi il parle ainsi : « Ce secours qui vous est soustrait (dans le passage du pape Innocent) est le secours efficace et congru. Car quand il dit : Dieu ne nous aidat pas, Deo non adjuvante, c'est de même que s'il disoit : Dieu permettant; mais lorsqu'on dit que Dieu permet, on n'entend pas qu'il refuse le secours suffisant, mais le secours congru : » c'est-àdire, comme on a vu selon son style, le secours qui donne l'effet, qui est efficace. « Donc, continue-t-il, par les paroles de saint Innocent, il est nécessaire que nous tombions ou que nous soyons vaincus, si nous sommes destitués et du secours congru et du don spécial de persévérance. » Il ajoute après, que cette nécessité n'est pas une nécessité absolue ou antécédente, mais de cette sorte de nécessité qu'on appelle conséquente et qui n'ôte point le libre arbitre. Ce que j'avoue sans difficulté : et c'est assez pour la question que nous traitons, qu'on puisse dire en un très-bon sens avec la décrétale de saint Innocent, que sans la grâce qui donne l'effet, << on ne peut vaincre les erreurs humaines et que cette grâce nous étant ôtée notre chute est nécessaire » et inévitable.

Le même Vasquez trouve encore la même façon de parler dans les Capitules de saint Célestin, dans la première Epitre de ce pape aux Evêques de la Gaule, ch. vII'. C'est le sixième qu'il a voulu dire; où nous lisons ces paroles que Vasquez rapporte : « Qu'aucun homme, même celui qui est renouvelé par la grace du baptême, n'est capable de surmonter les tentations du malin esprit et les concupiscences de la chair, si par un secours journalier il n'obtient la persévérance d'une bonne vie, » ce qu'il prouve par les paroles de saint Innocent que nous venons de réciter. Vasquez demeure d'accord que « par ce secours qui donne la persévérance d'une bonne vie, » il faut entendre le secours que personne n'a jamais, selon saint Augustin, que celui qui persévère en effet.

1 In I part., disput. XCVIII, cap. IV.

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