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son départ. Elle répétait avec un accent indigné : « Et ce marquis! m'assurer que je trouverais ici mon ancienne société ! Vraiment, oui. Depuis une heure je tombe de fièvre en chaud-mal. Allons, ma fille, partons. »

Cette scène s'est passée à quelques pas de la banquette où ma mère et moi nous étions assises. Quant à ce qui précède la dernière partie de cette comédie, nous connaissions le marquis d'Hautefort, qui, avec son esprit satirique, ne nous en laissa ignorer aucune particularité. Il était fort moqueur, et long-temps il nous fit rire en nous racontant sa nuit de bal.

comploup i trets J CHAPITRE XXV.

Une

ne amie de ma mère et sœur Rosalie. Ma première communion, Mademoiselle Adèle de Boisgelin, madame de Laville-Gonthier, et la robe bleue de ciel. L'évêque de Saint-Papoul, et l'église remplie.

Ce fut vers cette époque que ma mère s'occupa de me faire faire ma première communion. Je commençais à être même plus grande qu'il ne le fallait pour cette cérémonie si remarquable pour la jeunesse. Jusqu'alors il avait été impossible d'avoir le libre exercice du culte dans une église; enfin quelques unes venaient d'être rouvertes dans Paris; mais le nombre en était encore si restreint que, demeurant rue Sainte-Croix, dans la Chaussée-d'Antin, je ne pus trouver une église que dans le quartier Poissonnière; ce fut donc à Bonne-Nouvelle que je fis ma première communion, et que je reçus la confirmation.

Ma mère avait retrouvé à Paris une famille de Marseille à laquelle elle était sincèrement attachée. M. et madame de Saint-Mesmes étaient bien les meilleurs, les plus excellens amis. M. de Saint-Mesmes était à la tête d'une partie des fournitures de l'armée d'Italie. Il était assez âgé pour être le père de sa femme, jeune et charmante personne, qui l'aimait avec autant de tendresse et même d'amour que s'il eût été le plus beau garçon de Paris. Sa vertu, sa pureté, la rendaient vraiment intéressante. Je me sens heureuse, en rappelant seulement son souvenir. J'éprouve une sorte de calme qui rafraîchit

mon sang, lorsque je me rappelle cette jeune mère entourée de six ou sept enfans qu'elle avait nourris, et s'occupant, au milieu d'eux, des soins de sa maison, comme une jeune Grecque aurait pu le faire jadis au sein de son gynécée.

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Ce fut cette aimable femme qui me fournit le moyen de faire ma première communion. Elle connaissait une religieuse bénédictine qui, sans elle et ses secours, eût été fort à plaindre. Madame de Saint-Mesmes était la providence de sœur Rosalie. Pour lui témoigner sa reconnaissance, sœur Rosalie venait s'établir pendant des mois entiers chez madame de Saint-Mesmes, et enseignait la parole de Dieu à ses enfans. Il y avait deux de ses filles dont l'âge se rapprochait un peu du mien, quoiqu'elles fussent plus jeunes, et avec lesquelles j'allais souvent passer quelques heures avec grand plaisir. Sœur Rosalie me demanda si je voulais faire ma première communion. On pense que ma réponse ne pouvait être douteuse. J'acceptai avec le plus vifempressement, et aussitôt nos arrangemens furent pris. Ma mère, qui déjà se sentait atteinte des douleurs cruelles qui, plus tard, l'ont mise au tombeau, fut heureuse de penser que j'allais enfin remplir un devoir que les événemens de la révolution l'avaient, jusqu'alors, empêchée de me faire accomplir. Sœur Rosalie vint donc lui communiquer le lendemain les arrangemens qu'il était nécessaire de prendre, et que voici.

Plusieurs jeunes personnes étaient confiées à la sainte fille pour le même objet, ou pour la confirmation. Laurette Saint-Mesmes était du nombre des dernières; mais parmi les autres se trouvaient des jeunes filles logées à des distances immenses l'une de l'autre. Il fallait, cependant, que tout cela fût réuni tous les jours à huit heures et demie dans la sacristie de l'église de Bonne-Nouvelle,

en présence de M. de Cani, curé de cette paroisse, le plus digne des hommes, et l'un des pasteurs qui ont le moins abandonné leur troupeau aux jours du péril.

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Sœur Rosalie ne fut rebutée par aucune difficulté ni effrayée par aucune fatigue. A cette époque, ma mère était trop souffrante pour que sa femme de chambre de confiance pût la quitter en même temps que moi, qui était sa garde habituelle. Rosalie le comprit à merveille; aussi tous les jours elle venait du fond du Marais (de la rue des Trois-Pavillons) chez ma mère; elle me prenait par le bras, se remettait en marche, et nous allions alors ensemble rue d'Orléans, toujours au Marais, pour chercher mademoiselle Adèle de Boisgelin, qui devait faire sa première communion avec moi. Elle était fort délicate, et ne pouvait se lever d'aussi bonne heure que Laurette de Saint-Mesmes et moi; elle dormait donc pendant que Rosalie rassemblait son petit bataillon, et puis nous la prenions, et nous nous rendions à l'instruction. Quelquefois madame de Boisgelin faisait conduire Adèle à l'église, mais rarement.

Adèle de Boisgelin avait alors douze ans, elle était fort petite, même pour son âge, et paraissait à peine dix ans. Elle était pâle et maigre; toute sa personne était frêle, sans cependant annoncer de la souffrance; elle était douce et gaie, bonne, gracieuse, et tout-à-fait spirituelle, annonçant devoir être un jour une femme aimable. Ce fut l'effet qu'elle fit à ma mère, et elle a confirmé pleinement le jugement qu'elle en a porté. Elle est devenue madame de Laville-Gonthier, et chacun sait combien c'est une personne agréable.

Nos exercices de piété, nos instructions, tout ce qui a rapport à cet acte solennel par lequel la jeune fille quitte l'enfance, ainsi que le jeune garçon, tout fut conduit avec la plus grande régularité par ceux qui nous

dirigeaient, mais surtout par notre pasteur; celui qui, chaque jour, nous distribuait des conseils, des instruc tions, avec une émotion de joie qui faisait même battre nos jeunes cœurs. Nous étions touchées, toutes jeunes filles que nous étions, de voir ce vénérable prêtre, sortant des périls de la proscription, et ne craignant pas d'en affronter d'autres, en reproduisant la parole de vie parmi cette jeune génération qui avait été au moment d'en être privée. Jamais le souvenir de ces six semaines ne sortira de la mémoire de mon cœur. Jamais je n'oublierai les exhortations de M. de Gani; ses paroles admirables, sa vertu, son courage, et surtout sa bonté pour nous, pauvres jeunes filles, mal apprises, quoique instruites. Rien ne le rebutait: il nous traitait comme si nous eussions été ses enfans.

C'est une grande époque dans notre vie que celle de notre première communion. Il existe un rapport entre elle et les temps à venir de notre existence que rien ne peut jamais détruire, lorsque la première instruction a été bien faite. Je l'ai éprouvé; je l'éprouve encore tous les jours; et, tous les jours, pensant à Rosalie, à M. de Cani, je les bénis, et je prie maintenant pour eux celui qu'ils m'ont si bien fait connaître 1.

Notre retraite fut austère, et pourtant je ne trouvais pas qu'elle le fût encore assez. J'aurais voulu, dans de pareils momens, être appelée à donner une preuve de mon dévoûment par l'abandon de tout mon être. Eh! qui n'a pas, comme moi, connu tout le charme de semblables momens? Le souvenir en est encore présent, et avec d'autant plus de force que rien ne vient l'altérer, rien ne vient troubler la limpidité de sa source. Nul regret ne se mêle à cette époque de ma vie. Je n'y vois que des

1 Sœur Rosalie vit toujours. Je l'ai appris depuis quelques jours; elle habite un couvent dans les environs de Meaux.

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