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fleurs, des flambeaux, un autel, un ciel s'ouvrant pour me montrer un Dieu venant à moi; tout est joie, pureté, amour, bonheur !

Nous communiâmes le lundi de Pâques. La foule était immense. L'église de Bonne-Nouvelle était tellement encombrée de monde, que les jeunes communiantes pouvaient à peine circuler. Le peuple de Paris, privé depuis si long-temps de ses cérémonies religieuses, éprouvait une joie presque délirante, en voyant cette troupe de jeunes filles avec leurs voiles blancs, leur figure virginale, s'agenouillant devant l'autel et offrant à Dieu un cœur pur et pieux. Dans cette foule chacun reconnaissait une fille, une sœur, une nièce, et se croyait meilleur en voyant des bouches si pures prier pour lui. Ma mère, qui, bien qu'elle fût souffrante, était venue à la cérémonie, me dit le soir qu'elle avait entendu à cet égard des choses étranges, puisqu'elles venaient de gens qui certes n'étaient influencés ni par le fanatisme ni par aucun autre prestige que celui de la vérité.

J'ai dit que ma mère m'avait rapporté ce qu'elle avait entendu; car pour moi, quoique je fusse aussi dans l'église, je ne vis et n'entendis dans cette journée qu'une seule et unique chose. Mais il en est que l'on décrit: celleci n'est pas du nombre, et je me tais.

Le lendemain fut encore un jour heureux pour moi. Je reçus la confirmation, dans la même église de BonneNouvelle, des mains de M. de Maillé, évêque de SaintPapoul. La foule était tellement immense qu'il fut obligé d'administrer le sacrement jusque sur la dernière marche extérieure de l'église. C'était une telle ferveur, que des femmes malades apportaient leur enfant sur leurs bras, et le tendant à l'évêque : « Bénissez-le! bénissez-le, monseigneur ! s'écriaient-elles; hélas! peut-être ne vous reverrons-nous pas !

Laurette de Saint-Mesmes, trop jeune pour faire sa première communion, avait été confirmée avec moi. C'était une bonne et excellente enfant, ayant beaucoup de gaîté et de naturel, et que j'aimais beaucoup. Je ne me rappelle pas si Mélanie de Saint-Mesmes, sa sœur, fut confirmée en même temps que nous. C'était aussi une bonne et douce jeune fille; elle est aujourd'hui mariée au général Romœuf, commandant à Dijon.

Ce ne fut qu'après la cérémonie du lundi de Pâques, que je revins assez à moi pour remarquer la toilette plus que burlesque de la pauvre Adèle de Boisgelin le jour de sa première communion. Je n'ai jamais pu m'expliquer la raison qui a fait venir mademoiselle de Boisgelin à l'é-glise, dans une occasion solennelle, avec une robe de gros de Naples ou plutôt de gros de Tours bleu-de-ciel, faite ce qu'on appelait en 89 en fourreau lacé, avec les manches demi-courtes, en sabot, avec des petites manchettes de dentelles, et un fichu croisé très-richement garni, puis ensuite un bonnet monté avec des barbes. Ceux qui croiront que je charge le tableau peuvent le demander à madame de Laville-Gonthier elle-même. Elle est devenue une de nos femmes les plus élégantes, et peut bien convenir d'un fait qui, d'ailleurs, ne fait même qu'une ombre de plus en faveur du tableau gracieux qu'elle nous présente aujourd'hui.

Quelques jours après la cérémonie de Pâques, ma mère me fit donner un grand déjeuner à toutes mes jeunes compagnes de bonheur. Adèle de Boisgelin y vint avec la robe bleu-de-ciel et le bonnet monté. La bonne Rosalie me gronda terriblement fort, pour m'être permis de faire une observation à Adèle sur son singulier costume. «< II est convenable pour une jeune demoiselle de sa sorte, me dit-elle; vous devriez être mise comme elle, mademoiselle Laure; toutes ces robes à la grecque vous don

nent l'air d'une baladine; permettez-moi de vous le dire. »

La colère de sœur Rosalie m'apprit que c'était elle qui avait ordonné la toilette de la pauvre Adèle pour le jour de Pâques, et elle-même me le confirma. Du reste, comme je l'ai dit plus haut, elle a bien rappelé de cette époque. Si je n'en avais été moi-même témoin oculaire, je n'aurais pas ramené sur la scène la robe bleu-de-ciel, les manches à sabot et le bonnet monté. C'est d'ailleurs un tribut payé au plaisir de parler de ma première jeu

nesse.

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L'armée d'Italie.

rara.

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Triomphes de Bonaparte. Mon frère à Massa-Car

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-

· Lucien Bonaparte et Christine Boyer. — Lucien Brutus et Saint-Maximin-Marathon. Course à Versailles. -Aventures de mon frère. Madame Felice, et enlèvement.-Le général Lannes et M. Felice. - Rivalité de Lannes et de mon frère. Léoben et CampoBonaparte à Paris, et enthousiasme général. Bal chez M. de Talleyrand.

Formio.
Directoire pour Bonaparte.

Haine du

L'ARMÉE d'Italie surprenait chaque jour par les prodiges qu'annonçaient ses bulletins. Le Directoire, qui n'aimait pas le général Bonaparte, aurait bien voulu dissimuler la gloire du jeune héros; mais alors la patrie qu'il sauvait de l'invasion autrichienne, les soldats qu'il menait à la victoire, tout avait des milliers de voix pour la proclamer, et la ressource unique qui restait au ridicule gouvernement que notre sottise nous avait donné, était de nuire dans l'ombre à celui qu'il aurait voulu détruire après l'avoir élevé.

Mon frère était alors en Italie. Il avait rejoint le quartier-général, et Bonaparte avait été parfait pour lui. Mon frère lui avait remis une lettre de recommandation de Joseph Bonaparte : « Pourquoi donc cette lettre? avait » dit le général; d'où vient de votre part une aussi grande » méfiance de vous-même ? » poursuivit-il en regardant plus sérieusement Albert. Mon frère répondit que la légère altercation qu'il y avait eu entre ma mère et lui lui avait

fait craindre que le général n'en eût peut-être gardé le souvenir. « Vous vous trompez, dit Bonaparte : cette » scène a été aussitôt effacée de mon souvenir. Je crains » même que madame Permon en ait plus de rancune que >> moi. Et cela doit être, ajouta-t-il en riant; ceux qui » ont tort se fâchent toujours.

En cette occasion, le contraire arriva; car c'est Bonaparte qui n'a jamais perdu le souvenir de cette malheureuse altercation. Plus de dix ans après il m'en parlait encore avec amertume. Quoi qu'il en soit, il fut très-bien pour mon frère, l'accueillit à merveille, lui donna tout l'appui qu'il pouvait demander, et lui fit avoir une fort bonne place.

Tandis que le général Bonaparte parcourait l'Italie de victoire en victoire, sa famille se réunissait à Paris et y formait une colonie. Joseph Bonaparte, après avoir été ambassadeur de la république française à Rome, était revenu à Paris, ramenant avec lui la sœur de sa femme, mademoiselle Désirée Clary, qui alors était dans le deuil le plus profond de la mort tragique du malheureux et brave Duphot qui avait été massacré à Rome presque sous ses yeux, au moment où elle allait l'épouser. La première douleur avait perdu un peu de sa violence, mais il en restait encore assez pour exciter beaucoup de pitié. Heureusement qu'elle était jeune alors et fort agréable.

Lucien annonçait son arrivée. Il venait d'obtenir une place je ne sais où, en Allemagne, et il voulait passer par Paris pour voir sa famille qui s'y trouvait presque toute réunie dans ce moment. Lucien venait de faire à cette époque un coup de tête, dont le général en chef, qui dès lors se regardait comme le chef de la famille, était courroucé au dernier point. Lucien Bonaparte est un homme que, sans nul doute, beaucoup de gens ont bien connu, mais que peut-être peu ont bien jugé. Je l'ai vu

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