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Quatre Saisons, est encore une suite de lieux communs de poésie descriptive, qui ne sont pas sans quelque mérite d'expression; mais il y a dans les images plus d'abondance que de choix, et plus

comte de Staremberg, et que les cajoleries de l'impératrice, prodiguées à la favorite, l'habileté de l'ambassadeur Staremberg à profiter de l'humeur qu'on avait contre le roi de Prusse, le souvenir des infidélités de ce prince dans la guerre de 1741, et le mépris qu'il laissait voir pour Versailles, pour Louis XV et sa maîtresse, furent les vraies causes de cette révolution politique, alors généralement blâmée, et dont les suites, qui, à la vérité, ne pouvaient pas être toutes prévues, ont été funestes aux deux maisons qui s'unissaient. De petites vanités flattées ou blessées furent cette fois l'origine très-réelle de grandes calamités publiques. Cependant la révolution française, qui doit nécessairement amener des changemens dans la politique de l'Europe, peut donner aussi une face toute nouvelle aux rapports éventuels et prochains entre la France et l'Autriche c'est un article pour l'histoire. Mais ceux qui ne méprisent pas les anecdotes, quand elles font connaître les hommes et les cours, ne seront pas fâchés de savoir ce que l'abbé de Bernis, lorsqu'il eut 400,000 livres de rente en bénéfices, aimait à raconter lui-même du premier argent qu'il avait reçu du roi. Il avait obtenu un petit logement au Louvre par le crédit de la marquise de Pompadour, qui goûtait beaucoup son esprit et ses chansons surtout celles qu'il faisait pour elle; elle venait même de lui donner une toile de Perse meubler son nouvel appartement. L'abbé l'emportait sous son bras par un escalier dérobé, quand il rencontra le roi qui montait. Louis XV, toujours curieux des petites choses, voulut savoir d'où il

:

pour

de luxe que de richesse. Il prodigue trop les fleurs,

et ne les varie pas assez : c'est pour cela que Voltaire l'appelait Babet la Bouquetière. Au reste, un véritable poëme sur le même sujet, les Saisons,

venait et ce qu'il portait. L'abbé, quoiqu'un peu embarrassé, le lui dit naïvement. « Tenez, dit Louis XV en ti>> rant de sa poche un rouleau de cinquante louis, elle » vous a donné la tapisserie, voilà pour les clous. Madame >> de Pompadour m'a dit beaucoup de bien de vous. J'au>> rai soin de vous. » Quelque temps après, il eut l'ambas

sade de Venise : ce fut le commencement de sa fortune, qui n'aurait rien eu de fort singulier, s'il en fût resté là, car il était homme de qualité et de mérite.

Au reste, sa faveur ne fut pas longue. Il fut bientôt disgracié pour avoir voulu restreindre les clauses du traité de Versailles, extrêmement onéreuses pour la France ; ce qui est une nouvelle preuve qu'il n'y avait pas eu une influence principale. Il fit place au duc de Choiseul, qui, revenant alors de Vienne, acheva de soumettre entièrement le cabinet de Versailles au ministère autrichien, en gouvernant l'un et influant sur l'autre. La favorite, qui n'avait pu souffrir de se voir contredire par un homme qui était sa créature, reprocha durement au ministre dépossédé qu'elle l'avait tiré de là boue. « Madame, lui dit-il, je n'ai point oublié vos bienfaits; mais je dois encore » moins oublier ceux de mon maître, et les intérêts de l'é» tat. Au reste, vous me permettrez de vous observer

>>

qu'un comte de Lyon ne peut pas être tiré de la boue. » Cela était vrai, et la réponse était aussi noble que modérée. La disgrâce du cardinal de Bernis, aux yeux des justes appréciateurs, lui fit plus d'honneur que sa fortune : elle prouve qu'il était honnête homme; ce qui déjà commen

de M. de Saint-Lambert, a fait oublier cette esquisse fort médiocre, comme l'est en général tout ce qu'a fait cet écrivain.

SECTION III.

L'Art d'aimer; Narcisse dans l'île de Vénus; le Jugement de Pâris; Vert-Vert, et autres Poésies de Gresset.

L'Art d'aimer eut une grande réputation jusqu'au moment où il parut : il en a conservé fort peu, et n'en méritait pas davantage, car il ne se méla aucune espèce d'humeur au jugement qu'on en porta. Bernard n'avait jamais eu d'ennemis, et l'on peut dire même que, quand son poëme fut publié, l'auteur n'était plus, puisqu'il avait déja perdu l'usage de sa raison. Il n'eut pas du moins le chagrin de voir le froid accueil que l'ou fit à ce poëme, attendu depuis trente ans, et qu'il

çait à n'être pas commun. Envoyé alors ambassadeur à Rome, il y passa les trente dernières années de sa vie avec un grand état, une grande considération, et, ce qui vaut mieux que tout le reste, une conduite sage, édifiante et ecclésiastique. Il n'aimait pas qu'on lui parlât des productions de sa jeunesse; et cela paraissait étrange à des Français qui avaient l'indiscrétion de le complimenter sur ce qu'il désirait qu'on oubliât. Mais l'étourderie française voulait absolument qu'un vieux prélat fût flatté d'être au niveau de Dorat, et ne voulait pas permettre qu'après être sorti de l'esprit de son état à trente ans, on y rentrât à soixante.

était du bon air de louer, parce que c'était une faveur d'être admis à en entendre la lecture. L'auteur, d'ailleurs, connu et caractérisé par la dénomination de gentil Bernard, était un homme d'un esprit doux et discret, plus jaloux de la considération que de la gloire, mais amoureux pardessus tout du plaisir et de la table. On sait qu'il était secrétaire des Dragons, bibliothécaire de Choisy, et jouissait d'environ trente mille livres de rente. Ce ne fut point à son talent qu'il dut cette fortune; au contraire, ce fut au sacrifice qu'il en fit. Il était attaché au maréchal de Coigny, homme d'une humeur un peu dure, et qui commença par lui défendre absolument de faire des vers, s'il voulait rester dans sa maison. Bernard en faisait toujours, et s'en cachait, se consolant d'ailleurs par les agrémens que lui procuraient partout son âge et sa gentillesse, excepté chez le maréchal, qui le traita toujours sévèrement, et ne permettait pas même qu'il mangeât avec lui. Cependant, à sa mort, il se reprocha le peu d'égards qu'il avait eu pour un serviteur de ce mérite, et, touché de sa patience et de sa soumission, il le recommanda vivement à son fils, en le priant de réparer ses torts; devoir que celui-ci se fit un plaisir d'acquitter, et qu'il acquitta pleinement.

L'ouvrage de Bernard vaut mieux que celui d'Ovide, comme on l'a déjà dit à l'article du poëte latin, et n'est pourtant qu'un fort médiocre

poëme. Le sujet n'y est nullement rempli ce serait bien plutôt l'art de jouir; et le plus grand défaut d'un poëme où l'amour devait jouer un si grand rôle, c'est qu'il y a de tout, hors de l'amour. Il parait que l'auteur s'y est peint tout naturellement; et il était beaucoup plus voluptueux que sensible. Ses vers, pleins d'esprit, sont dénués de sentiment, et le caractère de son style y est même opposé. Il cherche partout l'élégance et la précision, mais avec un effort que l'on sent partout. Sa composition est tendue et pénible : rien n'y est fondu d'un jet; rien ne coule de source. On voit qu'il a fait un vers avec soin, et puis un autre vers avec le même soin; et, en travaillant le vers, il ne fait pas la phrase. Sans l'aisance et la facilité, il n'y a point de grâce: aussi Bernard est-il joli plutôt que gracieux: et quoiqu'il ne soit pas sans goût, il n'est pas exempt d'affectation. Ses tableaux de volupté, quoique les mieux faits, et ceux de tous qu'il entendait le mieux, pèchent par l'indécence, qui n'est jamais, il est vrai, dans l'expression, mais dans le fond des objets. S'il y a quelque feu, c'est celui qui pétille sans échauffer. En un mot, c'est un trèsfroid ouvrage, qui ne vaut pas, à beaucoup près, ce qu'il a coûté, où il y a beaucoup de vers ingénieux, et pas un morceau où l'on trouve la verve du poëte, ni la sensibilité de l'homme.

Son début est remarquable par cette recherche

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