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ET SES LEÇONS1

LES OPÉRATIONS MILITAIRES

Qu'on nous excuse de répéter une fois de plus la phrase que, depuis plusieurs mois, nous avons souvent reproduite ici même La situation en Mandchourie continue de rester stationnaire, et cela sans que la Russie ait commis la faute de parler d'armistice. Ceux qui, sous couleur de soucis humanitaires, lui donnaient ce conseil intéressé, qui eussent enregistré avec plaisir cette démarche, et qui l'eussent aussitôt représentée comme un définitif aveu d'impuissance, en furent donc pour leurs frais. De cette situation le fait le plus caractéristique est certainement l'immobilité des Nippons sur le théâtre principal de leurs opérations. Depuis qu'ils sont sur le point d'abandonner la vallée du Yalou et les plaines du Liao-ho pour pénétrer dans le bassin du Soungari, ils manifestent une évidente répugnance à pousser plus avant leurs succès.

C'est qu'en effet les difficultés s'accumulent à mesure qu'ils s'éloignent de la mer, et que, d'autre part, de nouvelles victoires ne leur procureraient pas des avantages capables de balancer toutes les peines et toutes les dépenses d'une nouvelle campagne. Tandis qu'ils disposaient autrefois de plusieurs lignes d'étapes qui, sans se gêner mutuellement, convergeaient vers un même but — Liao-yang, puis Moukden, la presque totalité de leurs transports doit maintenant passer par Thieling avant d'être répartie entre les quatre armées qu'Oyama tient toujours. rassemblées à quelque distance au Nord de ce point. La batellerie, qui leur rendit de si grands services lorsqu'ils remontaient. des cours d'eau dont ils tenaient les embouchures, devient inutilisable, maintenant qu'ils atteignent les sources de nouvelles rivières et de nouveaux fleuves. Par contre, des dépêches récentes nous ont appris que Liniévitch avait organisé des convois de jonques et de sampans pour ravitailler son armée. Les Russes, à leur tour, disposent donc de communications plus que leurs adversaires. Et si l'on tient compte que ceuxci n'ont plus au Japon une seule classe disponible pour rem

faciles

1 Voir Quest. Dipl. et Col., toutes les livraisons depuis le 1er mars 1904.

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placer les vides qui se produiraient dans leur armée, que leurs finances aussi sont véritablement épuisées, on comprend qu'ils aient hâte de conclure la paix et qu'ils se contentent des résultats acquis.

Ainsi les Japonais, s'il est vrai qu'ils eussent pu occuper la Corée, prendre Port-Arthur et chasser les Russes de la Mandchourie méridionale, ne chercheraient pas à pousser jusqu'à Kharbin. Quel aveu d'impuissance vis-à-vis de leurs amis ou alliés anglo-américains, qui les voyaient déjà obligeant leurs adversaires à évacuer la Mandchourie tout entière! Et dans ces conditions, quel sera le sort de la Mandchourie septentrionale, de toute la vallée du Soungari, au moins aussi riche que les plaines du Liao-ho? Le futur traité de paix pourrait bien réserver de singulières surprises.

Les Nippons d'ailleurs sont les premiers à se rendre compte de la limite qui s'impose maintenant à leurs efforts et à leurs succès. Se reconnaissant incapables de pousser plus avant à l'intérieur des terres, malgré leur grande supériorité numériqué, ils ont résolu d'employer le surplus de leurs forces à des opérations secondaires en des régions qui soient plus à proximité de la mer, puisque de celle-ci ils sont plus que jamais les maîtres incontestés.

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C'est ainsi que le général Hasegawa progresse lentement dans le Nord de la Corée et dans la vallée du Tumen différents navires japonais ont été récemment signalés dans ces parages et dans les baies avoisinant Vladivostok; mais nous continuons à penser que l'investissement de cette place semble des moins probables. Sans compter les difficultés que présenterait un siège d'hiver alors que, dans un rayon de 150 ou 200 kilomètres, la côte serait bloquée par les glaces de novembre à mars l'état-major de Tokyo sait tout ce qu'a coûté la prise de Port-Arthur, et les Nippons n'ont plus 80 ou 100.000 hommes à sacrifier comme dans la péninsule du Liaotoung. Enfin il ne faut pas oublier que la place commandée par Liniévitch jusqu'à l'automne dernier a eu le temps, en quinze mois, d'être mise en état de défense.

Encore plus excentrique que la précédente, une opération vient d'être entreprise contre l'ile Sakhaline.

Le 7 juillet, un débarquement d'environ 10 ou 15.000 Japonais s'effectua au Sud de cette île. Comme il fallait s'y attendre, ce détachement nippon n'a rencontré qu'une faible résis

tance de la part de l'ennemi qui ne compte guère, dans toute l'ile, qu'une brigade et deux batteries d'artillerie. Il ne semble pas que Liniévitch ait l'intention d'envoyer là des renforts bien sérieux, et on ne peut que l'approuver de ne pas disperser ses forces.

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Désespérant de pouvoir écraser son adversaire, le Japon parait vouloir s'assurer quelque gage territorial, et surtout une satisfaction d'amour-propre avant d'engager les négociations en vue de la paix.

Cette ile, dont les Russes avaient fait un pénitencier, leur appartient en fait depuis le traité d'Aizoun (1858); du moins c'est alors qu'ils prirent pied dans la région septentrionale, tandis que les Japonais en occupaient la partie Sud. En 1875, un traité conclu avec le Mikado leur donna la possession de

l'île tout entière, en échange des Kouriles qui passèrent au Japon. Depuis, celui-ci a toujours prétendu avoir fait là un marché de dupe, et l'on comprend qu'il ait trouvé l'occasion favorable pour le faire reviser; Sakhaline possède en effet de riches pêcheries sans grand intérêt pour la Russie, mais qui pourraient être précieuses pour les sujets du Mikado, dont on connaît le rapide accroissement.

L'occupation de cette île, bien loin de devenir un moyen de pression sur le gouvernement moscovite, afin d'obtenir de lui une indemnité, semble bien plutôt devoir se transformer en une acquisition définitive, qui servirait à réduire notablement le chiffre de la contribution de guerre. Et à notre sens, ce serait plutôt là un heureux résultat. Quant à la gêne qui pourrait en résulter pour les communications de Vladivostok avec l'extérieur, puisque les passages qui conduisent à ce port se trouveront tous désormais commandés par le Japon, cet inconvénient semble minime si l'on songe que dans le cas très improbable d'une guerre de revanche, la Russie ne chercherait sans doute pas à tenter de nouveau de reconquérir le commandement de la mer. Et l'on peut se demander si, lorsque la paix sera conclue, le gouvernement du tsar n'aurait pas un intérêt plus grand à réorganiser son armée et à développer ses communications par voie ferrée, plutôt qu'à entreprendre la réfection de sa flotte et à s'engager de nouveau dans une voie coûteuse et dangereuse.

On sait ce qu'il est advenu de la II et de la III escadre du Pacifique de celles-ci, 4 cuirassés (Orel, Nicolas Ier, Seniavine, Apraxine) tombèrent aux mains des Japonais. Et en ce qui concerne les bâtiments de la Ire escadre qui, au lendemain du 10 août, se réfugièrent si lamentablement à Port-Arthur, on apprend aujourd'hui que le Bayan, le Peresviet, le Pallada, le Poltava, le Pobieda seront facilement renfloués et enrichiront d'autant la flotte nipponne. De ces nouvelles et peu coùteuses acquisitions, qui ne seront pas loin de doubler l'escadre de l'amiral Togo, la valeur peut être évaluée à 250 millions de francs on voit quelles responsabilités pèsent sur les chefs qui ne surent pas opérer la destruction de ces navires et qui permirent qu'ils devinssent une riche proie pour l'ennemi.

JEAN DE LA PEYRE.

RUSSIE ET JAPON

LA QUESTION DE LA PAIX. DÉCLARATIONS DE M. WITTE

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La nomination de M. Witte comme plénipotentiaire avait été considérée, dans l'entourage immédiat de l'empereur comme une victoire remportée par le parti de la paix sur le parti de la guerre. Les commentaires parus à ce sujet dans la presse avaient été très catégoriques. D'autre part, les Japonais avaient fait au choix de M. Witte un accueil qui semblait corroborer ces appréciations.

Ces circonstances, que les ennemis de M. Witte à Saint-Pétersbourg ne manquèrent pas de souligner, déterminèrent celui-ci à donner au correspondant de l'Associated Press, le 18 juillet, une interview dans laquelle il protestait, dans les termes suivants, contre l'idée de conclure la paix à tout prix :

J'ai été désigné, dit M. Witte, par l'empereur, comme ambassadeur extraordinaire pour entrer en pourparlers avec les pléniporentiaires japonais et constater la possibilité de conclure un traité de paix. Mes vues personnelles sont d'importance secondaire, mais mes idées sont tout à fait les mêmes que celles de mon ami le comte Lamsdorf, ministre des Affaires étrangères. Je sers l'empereur. J'ai reçu des instructions précises de Sa Majesté. Je les suivrai. La décision définitive est entre les mains du tsar. Il lui appartient de décider des destinées de la Russie. L'empereur est ami de la paix et la désire. Mais je crains beaucoup que les conditions proposées par le Japon ne soient telles qu'elles empêcheront tout

accord.

D'autre part, le monde doit cesser de croire que la Russie veut la paix à tout prix. Il y a deux partis : l'un en faveur de la continuation de la guerre à outrance, parti qui est très puissant; le second, auquel j'appartiens, est favorable à la paix.

:

Je l'avoue franchement, car dire la vérité a toujours été le principe de ma politique j'étais pour la paix avant l'ouverture des hostilités; quand la guerre a éclaté, la situation s'est trouvée modifiée; toutefois, malgré l'existence de deux partis, l'un favorable, l'autre opposé à la continuation de la guerre, dans les circonstances actuelles, je ne doute pas que ces deux partis ne s'uniraient si les exigences japonaises devaient blesser l'amour-propre de la Russie ou compromettre l'avenir de la nation. Je suis sûr que si je déclare les conditions du Japon inacceptables, la Russie acceptera ce verdict et que le peuple russe sera prêt à continuer la guerre plusieurs années encore si cela est nécessaire.

La Russie n'est pas épuisée, comme la presse étrangère incite le monde à le croire. La situation intérieure est mauvaise, très sérieuse, je ne le nie pas; mais la signification vraie des événements n'est pas connue, ni en Amérique ni en Europe.

Les correspondants de journaux viennent ici, parlent à quelques centaines de personnes de Saint-Pétersbourg et de Moscou, interprètent mal

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