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la vallée du Haut-Soungari ne peuvent avoir lieu que progressivement, quand de sérieuses lignes de communication auront été établies au travers des crêtes que ces armées doivent surmonter pour franchir les quelques 300 kilomètres qui les séparent de leurs objectifs (Omoso et Ghirin). Et quant aux quatre armées massées autour d'Oyama à Thie-ling, leurs énormes effectifs (500.000 hommes au moins) ne simplifient pas non plus les obstacles que présente leur marche en avant les Japonais à leur tour connaissent toutes les difficultés que provoque l'engorgement d'une voie ferrée chargée d'approvisionner une armée d'un demi-million d'hommes. Et par le soin qu'il a toujours pris d'organiser de nombreuses voies de communication jusqu'aux points de rencontre avec l'ennemi, par le souci qu'il eût toujours de se préparer plusieurs lignes de retraite en cas d'échec, on peut juger si le maréchal Oyama s'estime prêt à engager une action importantle avec un ennemi dont le gros est distant de 100 ou 150 kilomètres, tandis que lui-même n'a d'autre ligne de retraite que le défilé de Thie-ling.

Ainsi, tandis que les Japonais ont encore beaucoup à faire avant d'effectuer un nouveau mouvement en avant, l'armée russe, maintenant sous la direction de Liniévitch, a pu consolider sa situation durant ces trois derniers mois. Les renforts n'ont cessé d'arriver, plus facilement même que par le passé, car le chemin de fer n'a eu à transporter que des troupes, et non plus le matériel des trains régimentaires accompagnant l'expédition de nouvelles unités. Quelles que soient les péripéties de la nouvelle campagne car c'est bien une nouvelle campagne qui commence depuis que les armées sont passées au Nord de Thie-ling - le généralissime russe ne recevra plus que des effectifs destinés à combler les vides produits dans les treize corps d'armée qu'il a maintenant sous ses ordres : six corps sibériens et sept corps d'armée d'Europe (dont un formé de brigades de chasseurs), car il faut ajouter à ceux que nous avions indiqués dans un précédent article' le IV corps d'Europe arrivé à Kharbin dans le courant du mois de mars. S'il est vrai que le prince Khilkoff est maintenant arrivé à un rendement, par le Transsibérien, de 3.000 hommes de troupes par jour, il a été possible de porter au chiffre du pied de guerre ces treize corps d'armée. Le général Liniévitch disposerait donc de 450.000 hommes. D'autre part, il a eu le temps d'organiser plu

1. Voir notre article du 1er mars 1905.

sieurs lignes de résistance et de les armer de pièces de gros calibre, puisque l'on annonce déjà comme arrivés la plus grande partie des 100 canons de 27 et 30 centimètres commandés l'année dernière à l'usine Krupp. On parle de deux lignes successives qui auraient été aménagées, la première de Ko-kia-tien à Itoun et à Ghirin, la seconde de Kouang-tcheng-tse à Ghirin. Mais en arrière de celles-ci, le cours du Soungari, de Ghirin à Bedoune, en constitue à peu de frais une troisième, des plus sérieuses.

Si donc, pour écarter l'éventualité d'une nouvelle défaite, en tout cas pour éviter de nouvelles pertes et de nouveaux frais, le général Liniévitch, au lieu d'engager à fond son armée contre des forces certainement supérieures, se contentait de battre lentement en retraite vers le Nord, s'il occupait successivement les positions jalonnées par Fang-houa-sien, Ko-kiatien, Kouang-tcheng-tse et Dalajao, en détruisant chaque fois tous les ponts et tous les ouvrages d'art de la voie ferrée, on peut se demander combien de mois il faudrait aux Japonais pour dépasser la Soungari et arriver à Kharbin. Il est même probable qu'ils auraient grand'peine à atteindre ce point, car dans ces conditions ce n'est pas avant la fin de l'année qu'ils pourraient avoir franchi ces 400 kilomètres, et d'ici là l'argent leur ferait certainement défaut : ils ont trop montré, dans les premières négociations qui viennent d'avoir lieu à Washington, qu'ils en avaient un pressant besoin.

II

LES NÉGOCIATIONS EN VUE DE LA PAIX

Devant la pressante insistance du gouvernement américain, le Tsar s'est en effet décidé à accepter l'idée de nommer des plénipotentiaires « chargés d'examiner jusqu'à quel point il serait possible aux deux peuples d'élaborer des conditions de paix ». Entre temps, non seulement le Mikado avait manifesté un empressement beaucoup plus vif d'entrer dans les vues du président Roosevelt, mais des notes japonaises, d'allure singulièrement officieuse, avaient laissé entendre que le gouvernement de Tokyo était tout disposé à abandonner un certain nombre de ses prétentions (cession de Sakhaline, démantèlement de Vladivostok, interdiction d'une escadre russe en Extrême-Orient), pourvu que la Russie acceptât de discuter le principe d'une indemnité destinée à rembourser les dépenses de la guerre.

On ne pouvait montrer plus clairement à quel point cette question financière tient au cœur des Nippons. Et comme il ne s'agit rien moins que d'une somme de 2 milliards et demi de francs, qui, suivant qu'elle sera refusée ou accordée, peut écraser le budget du Japon ou lui faciliter la préparation d'une campagne contre l'Indo-Chine, on voit quel intérêt nous avons encore à soutenir nos alliés. Nous avons donc été profondément surpris lorsque nous avons vu un grand journal français appuyer cette idée d'une indemnité en déclarant qu'il ne s'agissait là « que des dépens à payer à la suite d'un mauvais procès »>! Mais surtout l'on aura pu voir, par ce que nous venons de dire de la situation respective de Liniévitch et d'Oyama, que la position de l'armée russe est très loin d'être désespérée comme on se le figure trop facilement en France. La Russie est très loin d'en être réduite à implorer la paix, surtout s'il lui faut la payer d'une aussi lourde indemnité. En réalité, avec l'arrivée d'Oyama à Thie-ling, c'est une nouvelle campagne qui vient de commencer, campagne d'autant plus difficile pour les Japonais qu'ils s'éloignent de leurs multiples bases et qu'ils connaissent maintenant, comme leurs adversaires, toutes les difficultés que présente l'approvisionnement, par une seule voie ferrée, de 500.000 hommes. Si la campagne doit durer ce qui ne nous paraît pas impossible — il suffira que Liniévitch puisse éviter un désastre complet pour montrer que si les Japonais ont pu faire cesser la domination russe dans la Mandchourie méridionale, ils sont dans l'impossibilité matérielle d'obliger leurs adversaires à évacuer la Manchourie septentrionale. Et qui ne voit quel pourrait être, pour les Anglais et les Américains qui ont fait naître cette guerre, aussi bien que pour les Japonais, le danger d'une telle démonstration!

On comprend donc le vif mouvement qui s'est produit à Washington et à Londres, aussi bien qu'à Tokyo, en faveur d'une paix prochaine. La Russie, par contre, n'y a aucun intérêt, et si, comme on peut le penser, elle n'a accepté l'idée «< d'examiner jusqu'à quel point il serait possible d'élaborer des conditions de paix », que pour donner satisfaction à l'opinion publique, tâter le terrain et connaître en même temps les prétentions que le Japon se refusait à formuler, il faut reconnaître qu'elle y a réussi. De même la conclusion d'un armistice, qu'on annonce comme imminente, ne peut que lui être favorable.

JEAN DE LA PEYRE.

LES RELATIONS FRANCO-ALLEMANDES

ET LA QUESTION MAROCAINE

Le jour même de la démission de M. Delcassé, M. Rouvier, présisident du Conseil et ministre des Finances, avait pris provisoirement en main la direction des négociations à engager avec l'Allemagne. Puis, se rendant comple ainsi des difficultés de la situation, M. Rouvier résolut de prendre définitivement le portefeuille des Affaires étrangères, abandonnant le ministère des Finances au soussecrétaire d'Etat, M. Merlou.

Cette décision de M. Rouvier semble avoir eu une favorable influence sur la marche des choses. Dès le 7 juin, lendemain de la démission de M. Delcassé, le président du Conseil eut une entrevue avec M. de Flotow, chargé d'affaires allemand, qui lui remit une première note, exposant les griefs de l'Allemagne. Le 8 juin, le prince Radolin, ambassadeur d'Allemagne, rentré à Paris, se rencontra à son tour avec M. Rouvier, et depuis lors, de nombreuses et importantes conversations ont eu lieu entre le président du Conseil et l'ambassadeur, au cours desquelles on s'efforça, de part et d'autre, de préciser la situation et de trouver un terrain d'entente. Entre temps, M. Rouvier avait de fréquents entretiens avec MM. Revoil, ancien gouverneur général de l'Algérie et ancien ministre de France. au Maroc, Cambon, ambassadeur de France à Londres, sir Francis Bertie, ambassadeur d'Angleterre à Paris, et diverses autres personnalités diplomatiques et politiques, avec lesquelles il se livrait à un examen approfondi de la situation. Enfin, le 21 juin, M. Rouvier remettait au prince Radolin une note diplomatique officielle exposant le sentiment du gouvernement français en présence des réclamations allemandes. Le texte de cette note n'ayant pas été publié, il n'est guère possible d'en préciser la teneur d'une façon certaine. Les journaux français, anglais et allemands, allemands surtout, en ont donné de nombreux résumés dont les divergences profondes suffiraient à prouver l'inexactitude. Toutefois nous croyons que l'indication la plus voisine de la vérité a été donnée par le Temps, dans ses Propos diplomatiques du 24 juin. Voici ce qu'écrivait le Temps:

Quant à son fond, la note française est un exposé essentiellement calme, courtois et conciliant, expliquant ce qu'est notre politique au Maroc. Cet exposé seul suffit à dissiper des erreurs qu'on a eu le tort de laisser s'accréditer et qui ont servi de base aux premières alarmes allemandes. C'est un

commentaire de bonne foi et de bonne grâce, où rien n'autorise à voir soit une formule impérative, soit un moyen dilatoire.

Nous avons, par cette note, fait connaître à Berlin une politique qui, les Allemands s'en sont assez plaints! n'y était pas connue jusqu'ici. C'était le préliminaire indispensable. Quant au point spécial de la conférence, des dépêches ont prétendu que l'objet de la note était de nous y dérober, alors que tout au contraire elle établit que nous n'en repoussons pas le principe, et se borne à indiquer, dans un dessein d'apaisement commun aux deux parties, l'utilité d'un échange de vues préalable. Enfin, par la définition écrite que cette note donne de nos idées, elle constitue une déclaration par laquelle on peut dire que nous nous lions spontanément.

En résumé, il est permis d'affirmer catégoriquement que la note française n'est, ni dans la forme ni dans le fond, telle qu'ont prétendu la présenter des comptes rendus dont la plupart ont devancé son arrivée à Berlin. On peut affirmer aussi qu'il est faux que cette note n'ait pas avancé d'un pas la question, puisque :

1° Elle comporte cet exposé de la politique française dont l'Allemagne s'est plaint d'avoir été privée jusqu'ici;

2o Eile ne repousse pas le principe de la conférence considérée à Berlin comme la solution nécessaire;

3o Elle établit enfin la loyauté de notre politique marocaine, son respect des droits des puissances, sa conciliation possible avec les intérêts dont l'Allemagne déclare avoir le souci exclusif.

Par cette note, les négociations franco-allemandes, suivant leur cours normal, passaient de la phase des conversations à celle des communications écrites. Il n'y avait plus de notre part qu'à attendre la réponse de l'Allemagne. Cette réponse officielle arriva à Paris, le 26 juin, et fut remise le lendemain, dans l'après-midi, à M. Rouvier, par le prince Radolin, ambassadeur d'Allemagne.

Le même soir, l'Agence Havas rendait compte de cette entrevue du président du Conseil avec le prince Radolin par la note officieuse suivante, datée de Berlin, on ne sait vraiment trop pourquoi:

Berlin, 27 juin. D'après des avis reçus de Paris, la note du gouvernement allemand a été remise, cet après-midi, à M. Rouvier par le prince de Radolin.

Ce document, qui a une certaine étendue, est un exposé général, d'un ton amical, courtois, modéré et aussi conciliant que la note française.

Tout en maintenant le principe de la conférence internationale, il met en relief les points sur lesquels les gouvernements sont d'accord, et il reconnaît que la France, ayant par l'Algérie une frontière limitrophe avec le Maroc, a une situation particulière dont il convient de tenir compte.

On assure que la remise de la note a été suivie de commentaires et d'un échange de vues très cordial qui permet de présager un acheminement vers une entente dont on ne peut encore préciser la forme.

Les négociations dureront vraisemblablement un certain temps, car elles paraissent devoir donner lieu à de nouvelles conversations et à de nouveaux échanges de notes entre les chancelleries des grandes puissances.

Comme on le voit, le conflit semble bien entrer dans une période d'apaisement, et d'ailleurs, la presse allemande, après avoir été tous

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