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Vois, par ce qu'il t'en a coûté,

Qu'une liberté vagabonde

Vaut beaucoup moins, tout bien compté,
Qu'une douce captivité.

FAVART.

Les odes, les chansons, et généralement toutes les pièces légères, se composent volontiers, avons-nous dit, de rimes mêlées, ajoutons et de vers libres, c'est-à-dire de vers de différentes mesures. Ce rhythme rompt le sérieux, pour ne pas dire quelquefois l'ennui que présente l'uniformité des vers réguliers et des rimes alternées; il se prête facilement à l'élan poétique, à l'enthousiasme du génie, à la gaîté, à la légèreté, à l'aimable délire qui doit régner dans une chanson bachique, à la douce langueur qui doit respirer dans une chanson érotique.

Quelques-uns de nos écrivains, et entre autres Piron et M. Lefranc, dans son Voyage de Languedoc et de Provence, se sont exercés à faire des pièces de vers sur une seule rime; mais, comme l'a fort bien observé M. Ph. de la Madelaine, le goût ne voit, dans ces sortes d'ouvrages, que la difficulté vaincue, et si la pièce n'a que ce mérite, il ne la sauve point de l'oubli. V. MONORIME. Nos pères avaient encore un très-grand nombre de rimes; mais comme cette diversité ne prouvait que les efforts qu'il en coutait pour vaincre la difficulté, sans procurer plus de charmes à la poésie, on a depuis longtemps abandonné ces rimes bizarres dont on retrouve encore quelques exemples dans Clément Marot. Il suffira d'en donner ici la nomenclature, en renvoyant à chacune pour en connaître la nature et voir des exemples.

d'elles

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Une stance est composée d'un certain nombre de vers qui forment un sens complet, quoique ce sens puisse dépendre de ce qui précède ou de ce qui suit, en sorte qu'après chaque stance dont une pièce se compose, on peut faire un repos.

Chaque stance est composée au moins de quatre vers, et ne passe point ordinairement le nombre de dix. On en trouve de douze, de treize et même de quatorze vers dans nos anciens

auteurs. Comme ces vers peuvent être en nombre pair ou en nombre impair, nous avons des stances de quatre, six, huit et dix, vers, comme nous en avons de cinq, sept et neuf.

Du temps de Marot, et avant lui, une stance pouvait commencer par une rime masculine, quoique la précédente finit par une rime de même genre, et vice versa; mais on a depuis condamné cet usage qui contrevient à la règle établie, page 52, par laquelle il est défendu de mettre l'un à côté de l'autre deux vers masculins ou féminins de rimes différentes.

Pour que les stances soient exactes, il faut encore, 1o, que le sens finisse avec le dernier vers de chacune; 2°, que le dernier vers d'une stance, non seulement ne rime pas, mais même n'ait pas de convenance de son avec le premier vers de la stance suivante; 3°, que les mêmes rimes ne paraissent pas dans deux stances consécutives.

Les vers de toutes mesures, c'est-à-dire, de douze, de dix, de huit, de neuf, de sept, de cinq, ou d'un plus petit nombre de syllabes peuvent entrer dans une stance; et les vers de la même stance peuvent être ou tous de la même mesure, exemple :

J'ai vu mes tristes journées
Décliner vers leur penchant,
Au midi de mes années,
Je touchais à mon couchant.
La Mort, déployant ses aîles,
Couvrait d'ombres éternelles
La clarté dont je jouis;
Et dans cette nuit funeste
Je cherchais en vain le reste
De mes jours évanouis.

J. B. ROUSSEAU.

ou bien de mesures différentes, comme :

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles;
On a beau la prier,

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles
Et nous laisse crier.

MALHERBE.

Seigneur, dans ta gloire adorable
Quel mortel est digne d'entrer?
Qui pourra, grand Dieu, pénétrer
Ce sanctuaire impénétrable,

Ou tes saints inclinés, d'un oil respectueux,
Contemplent de ton front l'éclat majestueux?

J. B. ROUSSEAU.

Peuples, élevez vos concerts;

Poussez des cris de joie et des chants de victoire;

Voici le roi de l'univers

Qui vient faire éclater son triomphe et sa gloire.

Le même.

Les stances sont régulières ou irrégulières. Elles sont régulières, quand chaque stance d'un poème a un même nombre de vers, lorsque l'ordre des rimes suivi dans la première stance est observé dans toutes les autres, et que tous les vers correspondants ont la même mesure dans chaque stance:

Tant qu'a duré l'influence

D'un astre propice et doux,
Malgré moi, de ton absence
J'ai suporté les dégoûts.

Je disais je lui pardonne
De préférer les beautés
De Palès et de Pomone

Au tumultes des cités, etc.

J. B. ROUSSEAU.

Ces stances sont régulières par ce que tous les vers qui composent cette ode sont sur cette mesure, et que les rimes y sont croisées jusqu'à la fin, comme elles le sont dans ces deux premières strophes ; il en est de même des stances ou strophes qui composent l'ode ere, du livre 3 :

Tel que le vieux pasteur du troupeau de Neptune,
Protée à qui le Ciel, père de la Fortune,

Ne cache aucuns secrets,

Sous diverse figure, arbre, fleuve, fontaine,
S'efforce d'échapper à la vue incertaine
Des mortels indiscrets;

Oa tel que d'Apollon le ministre terrible,
Impatient du dieu dont le souffle invisible
Agite tous ses sens,

Le regard furieux, la tête échevelée,
Du temple fait nugir la demeure ébranlée

Par ses cris impuissants, etc.

J.-B. ROUSSEAU.

Dans la chanson, toutes les stances, qui prennent alors le nom de couplets, étant faites pour être chantées sur le même air, ont nécessairement le même rhythme, et sont par conséquent régulières.

Les stances sont irrégulières quand elles n'ont pas toutes le même nombre de vers, ou bien quand elles ne suivent pas le même orde dans leurs rimes, ou enfin quand tous les vers de chaque stance ne sont pas de la même mesure. Cette dernière espèce de vers s'appelle vers libres.

Exemple de stances irrégulières :

Par un baiser ravi sur les lèvres d'Iris,
De ma fidèle ardeur j'ai dérobé le prix ;
Mais ce plaisir charmant a passé comme un songe,
Aiusi je doute encor de ma félicité :

Mon bonheur fut trop grand pour n'être qu'un mensonge;
Mais il dura trop peu pour une vérité.

Amour, ceux que tu captives
Souffrent des maux trop cruels;
Leurs douceurs sont fugitives,
Et leurs tourments éternels.

Après de mortelles peines,
Tu feins de combler nos vœux;
Mais tes rigueurs sont certaines,
Et tes plaisirs sont douteux.

Qui peut donc m'affranchir de cette inquiétude
Qui rend mon bonheur incertain?

Iris, guérissez-moi d'une peine si rude;
Le remède est entre vos mains.

Si sur cette bouche adorable
Que Vénus prit soin d'embellir,
Je pouvais encore cueillir
Quelqu'autre faveur plus durable,
Cette douce félicité

Fixerait mon âme incertaine;

Et je ne serais plus en peine

Si c'est mensonge ou vérité.

J.-B. ROUSSEAU.

Les vers libres, comme l'a judicieusement remarqué Voltaire, en parlant de l'Amphitryon de Molière, composé en cette sorte de rhythme, sont d'autant plus mal aisés à faire, qu'ils semblent plus faciles. Il y a, ajoute-t-il, un rhythme très-peu connu qu'il y faut observer, sans quoi cette poésie rebute.

>> Une stance, dit M. Pankoucke (1), peut former seule un petit » poème. Alors elle prend, selon le nombre de vers dont elle est » composée, le nom de quatrain, de sixain, d'octave ou de » dixain.

» Un morceau composé de plusieurs stances conserve le nom » de stances, lorsqu'il roule sur un sujet simple, que l'expression en est douce, naturelle, et que les mouvements n'ont ni dé» sordre, ni impétuosité ». La pièce suivante servira d'exemple:

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(1) Grammaire raisonnée, pag. 235.

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LA FLEUR.

STANCES.

Fleur mouvante et solitaire,
Qui fus l'honneur du vallon,
Tes débris jonchent la terre,
Dispersés par l'aquilon.

La même faux nous moissonne,
Nous cédons au même dieu :
Une feuille t'abandonne,
Un plaisir nous dit adieu.

Chaque jour le Temps nous vole
Un goût, une passion ;
Et chaque instant qui s'envole
Emporte une illusion.

L'homme, perdant sa chimère,
Se demande avec douleur :
Quelle est la plus éphémère
De la vie ou de la fleur.

MILLEVOTE.

Quand le sujet, ajoute M. Pankoucke, a plus de grandeur, le style plus d'élévation et de force, les images plus de vivacité, et qu'un certain désordre, qui naît de l'enthousiasme, règne dans toute la pièce, elle prend le nom d'ode, et les stances, celui de strophes. Il est inutile de détailler ici toutes > les formes que les stances et les strophes peuvent avoir, la différente mesure des vers, les divers entrelacements des rimes, > on s'en instruira suffisamment en lisant les poésies de Malherbe, de Rousseau, etc; Ils ont donné des modèles de strophes, que l'on a fidèlemement suivis jusqu'aujourd'hui; mais il serait encore possible de trouver de nouvelles combinaisons de mesures et de rimes, et l'on ne peut, à cet égard, suivre de * meilleurs guides que la délicatesse de l'oreille, et le sentiment juste de l'harmonie du vers ».

Si tout l'art de la versification se bornait à régler les vers sur certaines mesures, à ordonner leurs désinences de telle ou telle manière, je croirais ma tâche suffisamment remplic; mais comme le style poétique impose encore d'autres soins aux versificateurs, je vais, dans l'article suivant, m'étendre sur ces nouvelles obliga

tions.

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