Images de page
PDF
ePub

DU STYLE POÉTIQUE.

DU CHOIX DES EXPRESSIONS.

NON-SEULEMENT la poésie a un style qui la sépare de la prose; mais même chaque genre de poème a quelque chose, dans la poésie de son style, qui le sépare des autres ouvrages en vers (1). De cette différence il résulte que tous les mots qui sont reçus dans la prose ne sont pas admis dans la poésie, et que tels mots admis dans un genre de poème doivent être rejetés dans un autre genre. Ainsi, quoique les mots âne, cheval, mulet, vache, haricot, chou, etc. soient exclus de la poésie épique, de la tragédie, de l'ode, ils peuvent trouver place dans la fable, dans le conte, et même dans la poésie didactique, quand elle traite de l'économie rurale.

Jadis d'un vain dégoût nos poètes esclaves

N'entraient dans les jardins qu'embarrassés d'entraves.
Phébus ne nommait pas sans un tour recherché
Le haricot grimpant à la rame attaché.
La carotte dorée et les bettes vermeilles,
En flattant le palais, offensaient les oreilles.

Ce temps n'est plus. Le chou, dont Milan s'applaudit,
Quand sa feuille frisée en pomme s'arrondit,
Sans dégrader le vers ose aujourd'hui paraître
Dans les chants élégants de la muse champêtre.

CASTEL, les Plantes, chant III.

Nos aimables poètes descriptifs, et notamment Delille, en rendant à l'agriculture sa première noblesse, ont enrichi la langue

(1) La plupart des images dont il convient que le style de la tragédie soit nourri, pour ainsi dire, sont trop graves pour le style de la comédie. Du moins le poète comique ne doit en faire qu'un usage très-sobre; il ne doit les employer que pour faite parler Chrémès, lorsque ce personnage entre pour un moment dans une passion tragique. Nous avons déjà dit que les Églogues empruntent leurs peintures et leurs images des objets qui parent la campagne, et des événements de la vie rustique. La poésie du style de la satire doit être nourrie des images les plus propres à exciter notre bile. L'ode monte dans les cieux pour y emprunter ses images et ses comparaisons du tonnerre, des astres et des dieux mêmes.

DUBOS, Réflexions sur la poésie et la peinture, Ire. part., sect. 33me,

poétique d'une infinité de mots dont un dédain orgueilleux nous faisait à tout moment sentir le besoin.

Les expressions basses, qui semblent devoir être rejetées de tout ouvrage en vers, peuvent y entrer, si elles sont bien encadrées, c'est-à-dire, si les mots qui les accompagnent diminuent ce qu'elles ont d'odieux ou relèvent ce qu'elles ont d'abject et de rebutant. C'est ainsi que Racine a su employer les termes de chien, de fange, de pavé, de chatouiller :

Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange
D'os et de chair meurtris et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.

[blocks in formation]

Si l'on en excepte la poésie familière, les expressions suivantes : car, c'est pourquoi, afin que, pourvu que, parce que, de manièr que, de méme que, afin que, à moins que, non-seulement, en effet, d'ailleurs, pour ainsi dire, outre que, or, donc, lequel, laquelle, sont trop languissantes, trop prosaïques pour trouver place dans les vers. Cependant Boileau a heureusement employé afin que, dans le chant deuxième de son Art poétique :

Elle (l'ode) peint les festins, les danses et les ris;
Vante un baiser cueilli sur les lèvres d'Iris,
Qui mollement résiste, et, par un doux caprice,
Quelquefois le refuse, afin qu'on lui ravisse.

Quelques termes au contraire semblent particulièrement appartenir à la poésie; ou du moins la prose, même élevée, qui se rapproche assez souvent de la poésie, n'ose-t-elle en faire usage qu'avec la plus grande circonspection; tels sont les suivants : fer, poignard, épée, couteau, etc. canon, cloche, cuve, etc. ancien.

Acier....

Airain

Antique..

Aquilon...

pour

L'autel, l'encensoir..

Borée

Char..

Coursier

vent violent.

l'église ou le sacerdoce.
vent froid, vent de bise.

carrosse.
cheval.

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

Pour le ciel les poètes disent, l'olympe, le séjour des Dieux, la voûte azurée, la voùte éthérée, l'empyrée.

Pour dieu ils disent le créateur, l'éternel, le très-haut, le toutpuissant, l'être suprême;

Pour enfer, l'Achéron, le Cocyte, les sombres bords, le Tartare, le Ténare ;

Pour hommes, les humains, les mortels, la race de Japet.
Pour mariage, hymen, Hyménée;

Pour pays, climat, séjour;

Pour la royauté, l'empire, le trône, le sceptre, le diadême.

La poésie a conservé quelques anciennes expressions entièrement bannies de la prose. Labeur s'y dit pour travail; loyer pour récompense, salaire; nef pour vaisseau; naguère pour depuis peu. Fouillez des vieux auteurs la poudreuse richesse; Plus d'un mot suranné, retrouvant sa jeunesse, Daus le moderne style avec grâcé introduit,

Peut de la périphrase épargner le circuit.

Mais, de mots nouveaux-nés moins prodigue qu'avare,

Pour paraître hardi, ne soyez point bizarre.

MILLEVOYE, l'Invention poétique.

Racine à qui notre langue poétique a tant d'obligations, a voulu rappeler le mot meurtri à sa première signification d'assassiné, tué :

Allez, sacrés vengeurs de vos princes meurtris,
De leur sang par sa mort faites cesser les cris.

Athalie, act. V, sc. 6.

Je crois, dit Louis Racine, dans ses réflexions sur la poésie, » que, quand il rend au verbe meurtrir son ancienne et naturelle signification, il rappèle à dessein ce vieux mot, parce que les » vieux mots sont quelquefois nobles en vers ».

Les vieux mots en général ont beaucoup de grâce et de naïveté dans le style marotique ou dans le genre burlesque. La Fontaine en présente un assez grand nombre qu'on est charmé de rencontrer.

оп

DE L'HARMONIE.

Les mots doivent flatter agréablement l'oreille,

Il est un heureux choix de mots harmonieux.

Fuyez des mauvais sons le concours odieux.

Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée

Ne peut plaire à l'esprit quand l'oreille est blessée.

BOILEAU, art Poétique, ch. I.

ou l'affecter conformément à l'effet qu'on a dessein de produire. Il faut mettre les paroles en rapport avec les objets, chercher dans les sons ce qu'ils ont de pittoresque, en un mot peindre en même temps à l'oreille et aux yeux (1)..

Peins-moi légèrement l'amant léger de Flore;

Qu'un doux ruisseau murmure en vers plus doux encore ;
Entend-on de la mer les ondes bouillonner?

Le vers comme un torrent en roulant doit tonner.
Qu'Ajax soulève un roc, et le lance avec peine,
Chaque syllabe est lourde et chaque mot se traîne.
Mais vois d'un pied léger Camille effleurer l'eau,
Le vers vole et la suit aussi prompt que l'oiseau.

DELILLE.

Le dernier période de l'harmonie des mots est de produire l'harmonie imitative qui peint les objets par les sons mêmes des mots qui les représentent. Quelle douceur dans ces deux premiers vers:

(1) Nous n'avons point d'accent prosodique, comme dans les vers grecs et latins, mais nous avons un accent expressif qui consiste dans le rapport des sons avec les images qu'ils rappèlent. DESAINTANGE.

J'aime mieux un ruisseau qui sur la molle arène

Dans un pré plein de fleurs lentement se promène

Vous voyez le ruisseau promener son onde paisible; mais vous n'entendez ni son murmure, ui sa marche. Dans les deux suivants, au contraire, votre oreille est frappée par le bruit du torrent qui roule avec fracas et entraîne tout ce qui s'oppose à son passage: Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux, Roule plein de gravier sur un terrain fangeux.

L'autre esquive le coup, et l'assiette volant
S'en va frapper le mur et revient en roulant.

BOILEAU.

Le même.

Dans ce dernier hémistiche, vous croyez entendre rouler cette assiette.

C'est avec le même art, que cet auteur dépeint un soldat qui monte à la brèche, et qui veut,

Et

que

Sur des monceaux de piques,

De corps morts, de rocs, de briques,
S'ouvrir un large chemin.

Ode sur la prise de Namur.

Saint-Lambert rend l'effet du tonnerre dont le bruit se prolonge dans l'éloignement :

Et la foudre en grondant roule dans l'étendue.

Poème des Saisons, chant II.

Notre langue a, comme les autres, des mots essentiellement imitatifs, et sans rapporter le grand nombre d'onomatopées plus ou moins sensibles, dont nous sommes possesseurs, je me bornerai à citer les termes suivants : le cliquetis des armes, le glouglou de la bouteille, trictrac, murmure, tonnerre, rouler, siffler, ronfler, roucouler, gazouiller, hennir, mugir, coasser, croasser.

DES LICENCES POÉTIQUES.

Si on considère les entraves qui retiennent notre versification les chaînes qu'on lui a imposées, on trouvera les priviléges dont elle jouit extraordinairement restreints, puisque toutes nos licences poétiques se réduisent à trois espèces le retranchement de quelques lettres, l'emploi de quelques expressions réservées à la poésie, et la transposition de quelques mots.

[ocr errors]

Il est permis aux versificateurs de retrancher la lettres à la fin des noms propres suivants : Athènes, Flandres, Londres, Mycènes, Thebes, Versailles, Naples, Génes et d'écrire, selon

« PrécédentContinuer »