valeur indomtable qui se fait des adorateurs chez ceux mêmes qu'elle surmonte; qu'il s'étend, ce mérite, jusqu'aux connoissances les plus fines et les plus relevées; et que les décisions de votre jugement sur tous les ouvrages d'esprit ne manquent point d'être suivies par le sentiment des plus délicats. Mais on sait aussi, MONSEIGNEUR, que toutes ces glorieuses approbations dont nous nous vantons au public ne nous coûtent rien à faire imprimer, et que ce sont des choses dont nous disposons comme nous voulons. On sait, dis-je, qu'une épître dédicatoire dit tout ce qu'il lui plaît, et qu'un auteur est en pouvoir d'aller saisir les personnes les plus augustes, et de parer de leurs grands noms les premiers feuillets de son livre; qu'il a la liberté de s'y donner, autant qu'il le veut, l'honneur de leur estime, et se faire des protecteurs qui n'ont jamais songé à l'être. Je n'abuserai jamais, MONSEIGNEUR, ni de votre nom, ni de vos bontés, pour combattre les censeurs de l'Amphitryon, et m'attribuer une gloire que je n'ai peut-être pas méritée; et je ne prends la liberté de vous offrir ma comédie, que pour avoir lieu de vous dire que je regarde incessamment avec une profonde vénération les grandes qualités que vous joignez au sang auguste dont vous tenez le jour, et que je suis, MONSEIGNEUR, avec tout le respect possible et tout le zele imaginable, DE VOTRE ALTESSE SÉRÉNISSIME le très humble, très obéissant et très obligé serviteur MOLIERE. MERCURE. LA NUIT. ACTEURS DE LA COMÉDIE. . JUPITER, Sous la figure d'Amphitryon. CLEANTHIS, suivante d'Alcmene, et femme de Sosie. ARGATIPHONTIDAS, NAUCRATÈS, POLIDAS, capitaines théhains. PAUSICLES, SOSIE, valet d'Amphitryon. La scene est à Thebes, dans le palais d'Amphitryon. MERCURE, sur un nuage; LA NUIT, dans un char traîné dans l'air par deux chevaux. MERCURE. 2 Tour beau, charmante Nuit, daignez vous arrêter. LA NUIT. Ah! ah! c'est vous, seigneur Mercure! Qui vous eût deviné là dans cette posture? MERCURE. Ma foi, me trouvant las pour ne pouvoir fournir LA NUIT. Vous vous moquez, Mercure, et vous n'y songez pas : Sied-il bien à des dieux de dire qu'ils sont las? MERCURE. Les dieux sont-ils de fer? LA NUIT. Non, mais il faut sans cesse Garder le décorum de la divinité. Il est de certains mots dont l'usage rabaisse Et que, pour leur indignité, Il est bon qu'aux hommes on laisse, MERCURE, A votre aise vous en parlez; Et vous avez, la belle, une chaise roulante Où, par deux bons chevaux, en dame nonchalante, Vous vous faites trainer par-tout où vous voulez. Mais de moi ce n'est pas de même : Et je ne puis vouloir, dans mon destin fatal, De leur impertinence extrême, Moi qui suis, comme on sait, en terre et dans les cieux, Par tous les emplois qu'il me donne, LA NUIT. Que voulez-vous faire à cela ? Qu'on voit faire à ces messieurs-là. Mais contre eux toutefois votre ame à tort s'irrite, Et vos ailes aux pieds sont un don de leurs soins. MERCURE. Oui; mais, pour aller plus vite, LA NUIT. Laissons cela, seigneur Mercure, MERCURE. C'est Jupiter, comme je vous l'ai dit, Qui de votre manteau veut la faveur obscure Pour certaine douce aventure Qu'un nouvel amour lui fournit. Ses pratiques, je crois, ne vous sont pas nouvelles : Bien souvent pour la terre il néglige les cieux; Et vous n'ignorez pas que ce maître des dieux Pour mettre à bout les plus cruelles. Il en a pris la forme, et reçoit là-dessous Dans la possession des plaisirs les plus doux. S'est avisé d'avoir recours. Son stratagême ici se trouve salutaire : Pareil déguisement seroit pour ne rien faire; LA NUIT. J'admire Jupiter, et je ne comprends pas MERCURE. Il veut goûter par-là toutes sortes d'états; Et c'est agir en dieu qui n'est pas bête. Dans quelque rang qu'il soit des mortels regardé, S'il ne quittoit jamais sa mine redoutable, |