DORINE. Allez, ne croyez point à monsieur votre pere; Il raille. Je vous dis... ORGON. DORINE. Non, vous avez bean faire, On ne vous croira point. ORGON. A la fin mon courroux... DORINE. Hé bien! on vous croit donc; et c'est tant pis pour vons. Quoi! se peut-il, monsieur, qu'avec l'air d'homme sage, Et cette large barbe au milieu du visage, Vous soyez assez fou pour vouloir...? ORGON. Ecoutez: Vous avez pris céans certaines privautés Qui ne me plaisent point; je vous le dis, ma mie. DORINE. Parlons sans nous fâcher, monsieur, je vous supplie. Il a d'autres emplois auxquels il faut qu'il pense. ORGON. Taisez-vous. S'il n'a rien, Sachez que c'est par-là qu'il faut qu'on le révere. Sa misere est sans doute une honnête misere; Au-dessus des grandeurs elle doit l'élever, Puisqu'enfin de son bien il s'est laissé priver Par son trop peu de soin des choses temporelles, Et sa puissante attache aux choses éternelles. DORIN E. Oui, c'est lui qui le dit; et cette vanité, Souffre mal les éclats de cette ambition. A quoi bon cet orgueil ?... Mais ce discours vous blesse: Et A de certains maris faits d'un certain modele ; ORGON. Je vous dis qu'il me faut apprendre d'elle à vivre! DORIN E. Vous n'en feriez que mieux de suivre mes leçons. ORGON. Ne nous amusons point, ma fille, à ces chansons; J'avois donné pour vous ma parole à Valere : DORINE. Voulez-vous qu'il y coure à vos heures précises, Comme ceux qui n'y vont que pour être apperçus? ORGON. Je ne demande pas votre avis là-dessus. DORINE. Elle! elle n'en fera qu'un sot, je vous assure. Ouais! quels discours! ORGON. DORIN E. Je dis qu'il en a l'encolure, Et que son ascendant, monsieur, l'emportera ORGON. Cessez de m'interrompre, et songez à vous taire, DORIN E. Je n'en parle, monsieur, que pour votre intérêt. ORGON. C'est prendre trop de soin; taisez-vous, s'il vous plaît. DORINE. Si l'on ne vous aimoit... ORGON. Je ne veux pas qu'on m'aime. DORINE. Et je veux vous aimer, monsieur, malgré vous-même. Ah! ORGON. DORIN E. Votre honneur n'est cher, et je ne puis souffrir Qu'aux brocards d'un chacun vous alliez vous offrir. ORGON. Vous ne vous tairez point! DORIN E. C'est une conscience Que de vous laisser faire une telle alliance. ORGON. Te tairas-tu, serpent, dont les traits effrontés...? DORINE. Ah! vous êtes dévot, et vous vous emportez ! ORGON. Oui, ma bile s'échauffe à toutes ces fadaises, DORIN E. Soit. Mais, ne disant mot, je n'en pense pas moins. ORGON. Pense, si tu le veux; mais applique tes soins (à sa fille.) A ne m'en point parler, ou... Suffit... Comme sage, J'ai pesé mûrement toutes choses. DORINE, à part. De ne pouvoir parler. J'enrage ORGON. Sans être damoiseau, Tartuffe est fait de sorte... DORINE, à part. ORGON. Que quand tu n'aurois même aucune sympathie Pour tous les autres dons... Oui, c'est un beau museau. DORINE, à part. La voilà bien lotie! (Orgon se tourne du côté de Dorine, et, les bras croisés, l'écoute, et la regarde en face.) Si j'étois en sa place, un homme assurément Ne m'épouseroit pas de force impunément ; Et je lui ferois voir, bientôt après la fête, Qu'une femme a toujours une vengeance prête. ORGON, à Dorine. Donc de ce que je dis on ne fera nul cas? DORIN E. De quoi vous plaignez-vous? Je ne vous parle pas. ORGON. Qu'est-ce que tu fais done? DORINE. Je me parle à moi-même. ORGON, à part. Fort bien. Pour châtier son insolence extrême, Ma fille, vous devez approuver mon dessein... |