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gligé de me donner avis de l'acquit d'une dette dont j'étais depuis si longtemps en peine. D'un autre côté je pense que, si ces articles ne vous étaient pas parvenus, vous m'auriez témoigné votre inquiétude quelque temps après avoir reçu la lettre que je vous ai écrite à cette occasion en juillet ou août. Il faut donc croire que, m'ayant renvoyé si loyalement mon obligation, vous n'avez pas mis moins de philosophie à recevoir les fonds auxquels elle se montait, ou que vous avez voulu prendre connaissance de mon ouvrage pour m'en parler à fond. C'est à cette dernière pensée que je m'arrête, vous priant instamment de ne pas différer davantage à me donner de vos nouvelles et à me faire part de votre jugement dont je ferai toujours un grand cas, malgré votre modestie (1).

« Je puis vous dire que la bénédiction de Dieu est sur cet ouvrage qui m'aurait déjà valu plus de 60,000 francs sans les contrefaçons nombreuses qui s'en sont faites de tous côtés. Quoi qu'il en soit, j'en ai déjà tiré de quoi acheter une petite maison avec son jardin, que j'arrange peu à peu. Elle me reviendra toute meublée à 10,000 livres; elle est située rue de la Reine-Blanche, près de la barrière du Jardin du Roi, et m'a altiré, depuis quatre mois que j'y loge, des visites des plus considérables. Tel est le fruit que Dieu a accordé à mes travaux. J'ai reçu aussi quelques bienfaits du Roi, sans les solliciter (2), tant pour moi que pour ma famille; entre autres, une gratification nouvelle de 4,000 livres, qui doit être mise en pension au mois de mars prochain. J'aurai alors à cette époque ma subsistance viagère à peu près assurée. La tranquillité de mon esprit a influé aussi sur ma santé ; je me porte mieux. C'est aussi un effet de mon régime si exact, que, depuis que mon ouvrage a paru, je n'ai accepté aucun repas en ville, ni aucune partie à la campagne, quoique les invitations de ce genre aient élé si nombreuses que je crois, sans exagérer, qu'il y aurait eu de quoi me substanter tout le reste de ma vie. Je vis dans un pays où l'on offre volontiers à dîner à ceux qui n'ont pas de faim (3). Tout ce que j'ai accepté de ces bienveillances de toutes conditions et de tout sexe, c'en sont les simples témoignages, et ils ont été nombreux, car j'ai reçu au moins cent quatre-vingts lettres au sujet de mon livre, auxquelles j'ai toujours répondu, non sans grande fatigue.

« Une de celles qui me fera (4) le plus de plaisir, c'est la vôtre, si vous y joignez surtout des nouvelles de votre aimable épouse et de vos chers enfants. Dites-moi aussi ce que vous pensez de ma théorie des marées (5). Nos Académies gardent à ce sujet un profond silence, d'autant que j'ai mis au jour leur erreur si étrange au sujet de l'aplatisse

(4) La réponse de M. Duval à cette lettre a été publiée par M. Aimé Martin (page 440 du Mémoire sur la Vie et les Ouvrages de Bernardin de Saint-Pierre.) (1826.)

(2) Sans les solliciter paraît un peu fort, quand on a lu les lettres de Bernardin de Saint-Pierre à M. Hennin.

(3) Bon trait, à la Rousseau.

(4) Je laisse l'incorrection.
(5) Voilà le dada qui revient.

ment de la terre aux pôles qu'ils ont conclu de ce qui prouve son allongement, je veux dire de la grandeur même des degrés polaires.

Newton, qui le croirait? a mis le premier cette erreur en avant. Je n'aurai donc pas nos savants pour moi; ils n'encensent que les systèmes accrédités et qui font obtenir des pensions. Mais la preuve que j'ai raison, c'est qu'ils n'ont osé me contredire dans la démonstration géométrique et évidente que j'ai donnée de l'erreur qu'ils professent depuis si longtemps sur la foi d'autrui. Au reste, ma théorie des marées se fait beaucoup de partisans dans la patrie même de Newton, à ce qu'a témoigné ici dernièrement un membre de la Société royale, appelé M. Smith.

« Je vous dis tout ceci sans vanité. Je n'ignore pas que nul n'est prophète dans son pays. Il me suffira de n'être pas persécuté dans le mien, et de cultiver, loin des vaines rumeurs des hommes, le souvenir du petit nombre de ceux dont la Providence m'a ménagé l'amitié lorsque j'étais errant loin de ma patrie. Je mets le vôtre au premier rang et vous prie de me donner des marques de retour, en me donnant de vos nouvelles.

«< Agréez les témoignages de la sincère amitié avec laquelle je suis, pour la vie,

« Votre très-humble et très-obéissant serviteur et ami,

« A Paris, ce 23 décembre 1786.

« DE SAINT-PIEBRE.

<< Rue de la Reine-Blanche, près la barrière du Jardin du Roi. »

<< P. S. Mettez votre réponse sous l'enveloppe de M. Mesnard de Conichard, adjoint intendant-général des Postes à Paris.

« Je vous souhaite une bonne année ainsi qu'à votre chère famille, dont je ne connais que le respectable chef.

"

Si vous trouvez occasion de me rappeler au souvenir du prince Dolgorouki, ci-devant Ambassadeur à Berlin, vous m'obligeriez sensiblement. Ce prince m'a appris dernièrement la mort de mon ancien chef, M. de Villebois, et il n'a pu rien me dire du général Dubosquet, auquel je l'avais prié de remettre un exemplaire de mes Études.

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Telles sont ces lettres que j'ai voulu laisser dans toute leur naïveté et avec tout leur caractère, pour montrer dans leur juste proportion les différentes parties, tant poétiques et morales que prosaïques et vulgaires, de l'âme et de l'habitude ordinaire de Bernardin. On le voit en définitive bon homme, honnête homme, ressemblant au fond à ses écrits, mais atteint de quelque manie et marqué de mesquinerie et de petitesse.

FIN DU TOME SIXIÈME.

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IMPRIMERIE DE J. CLAYE ET C RUE SAINT-BENOIT, 7.

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