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DES CONDAMNÉS;

CONFÉRENCES

SUR

LA MORALITÉ DES LOIS PÉNALES.

Nemo adeo ferus est, ut non mitescere possit,
Si modo cultura patientem commodat aurem.
HOR., Épis., liv. 1.

Il n'est point de vices que vous ne puissiez surmonter et vaincre, si vous voulez prêter une oreille attentive aux Instructions de la sagesse.

PREMIÈRE CONFÉRENCE.

INTRODUCTION.

ARGUMENT.

But et espérance de l'auteur. Appel à la confiance des prisonniers.

Qu'aucun d'eux n'est contraint d'assister aux conférences.

conférences.

Sujet des

De l'état de prisonnier. — Que l'étude de la moralité des lois pénales est indispensable à tous les citoyens. — De leur justice et de leur nécessité. - Cartouche et Mandrin.

- De la loyauté qui règne dans les associations de brigands. Que toute société est basée sur le sentiment du juste et de l'injuste. — De la manière dont les anciens Grecs faisaient publier leurs lois. — Que toutes les lois humaines émanent des lois divines. -Que c'est bien plus la honte et l'infamie des mauvaises actions que la nature du châtiment, qui doivent contenir les méchants.

Mes amis,

Appelé par la confiance du gouvernement à la direction d'une maison centrale de détention, j'ai dû tout sacrifier

à l'honneur de remplir mes devoirs. Ce n'a pas été sans peine que je suis parvenu à vaincre les dégoûts de toute espèce attachés à mon honorable profession. Mais enfin, aidé par le Ciel, après vingt-huit ans de travaux, de fatigues, de dévouement, j'éprouve quelque bonheur à me trouver au milieu de vous; et je vous en fais d'autant plus volontiers la confidence, que j'aime à me persuader que je ne suis pas tout-à-fait inutile au vôtre, et que vous me saurez un jour quelque gré des veilles que j'ai passées dans votre intérêt. Puissent les instructions amicales que je vais vous donner, apaiser l'effervescence de vos passions, porter le calme et la résignation dans vos âmes, et, tout en vous effrayant sur la profondeur des abîmes où vous êtes tombés, vous arrêter désormais sur les bords de ceux qui, tant de fois encore, s'ouvriront sous vos pas!

Surtout, que le découragement ou le désespoir ne viennent jamais s'opposer à votre réconciliation avec vousmêmes. Je dis avec vous-mêmes, car, parmi vous, combien n'en est-il pas qui n'ont dù qu'à une occasion funeste l'épouvantable malheur de leur position présente? Ceux-là ne sont pas corrompus; ils retrouvent dans l'intimité de leur conscience le germe encore vivant de la bonté de leurs premières mœurs; et, pour un instant d'erreur et de faiblesse, ils ne contracteront point la douloureuse habitude du crime qu'ils expient aujourd'hui par les angoisses toujours si déchirantes de la honte et du remords.

Ils feront plus ils m'aideront à mener à fin l'entreprise hardie que j'ai conçue de vous reconquérir tous à la vertu; et le touchant exemple de leur repentir sera, sans contredit, le plus haut enseignement que je puisse vous offrir.

Je ne réclame plus ni votre confiance, ni votre amitié; j'ai la preuve que la majeure partie de vous me les

avez accordées sans réserve, et je vous paie bien franchement de retour. Quant à ceux que la haine nourrirait encore de ses dangereux poisons, à Dieu ne plaise que je désespère de les vaincre! mais s'il advenait enfin qu'il fallût les contenir, ou qu'il me fût impossible de toucher leurs cœurs, ils ont appris aussi qu'il est impossible de m'intimider par la menace ou par la rébellion. J'ai le droit de les punir, j'ai la volonté de les aimer; c'est à eux qu'il appartient de choisir.

Au surplus, en vous appelant autour de moi pour vous instruire et pour vous consoler, je ne contrains personne à venir m'entendre; je veux mériter votre confiance et non la commander. Je veux que mes instructions soient pour vous tous un baume consolateur, et non pas une opération douloureuse; qu'elles soient enfin comme un aimant où se viennent attacher, sans effort, tous les cœurs de fer qui me résistent ou s'éloignent de moi.

Et comment douterais-je du succès de mes conseils, quand l'expérience m'a déjà tant de fois convaincu de leur efficacité? Je ne veux humilier personne; mais daignez jeter les yeux autour de vous et dites-moi si les plus turbulents et les plus indociles ne sont pas à moitié vaincus? Aussi, mes amis, avec quelle satisfaction bien réelle n'entrevois-je pas l'instant où je pourrai les signaler à la clémence de notre auguste souverain!

Mais déjà, sans doute, vous êtes impatients de connaître quel sera le sujet de nos conférences; il est bien juste que je réponde à cette louable curiosité, car c'est du plus ou du moins d'utilité qu'elles offriront à votre esprit que dépend le plus ou le moins de succès que j'en attends. Ecoutez donc, et prononcez.

C'est, comme vous le savez trop, une bien déplorable existence que celle de prisonnier! et d'autant plus cruelle que l'opinion publique, si heureusement sévère, mais si facilement injuste, l'a, pour ainsi dire, frappée de réprobation.

Elle ne veut pas voir, chez les infortunés que la loi condamne dans l'intérêt de la société qu'ils ont outragée, l'empire, trop souvent invincible, des antécédents qui les ont entraînés dans le précipice. Que de coupables n'ont pas faits l'irréligion et le mauvais exemple! Que de pères ont à se reprocher les crimes de leurs malheureux enfants!..... et combien ils ont à gémir de les avoir laissés végéter dans l'ignorance des dangers qu'ils avaient à courir au milieu des êtres pestiférés qui se mêlaient aux premiers jeux de leur adolescence!

Plus à même d'apprécier ce que vous êtes et ce que vous valez, par l'étude opiniâtre que j'ai faite de vos mœurs et de vos inclinations, je ne partage point le préjugé qui vous accable; et convaincu que, pour la plupart, vous avez succombé plutôt par entraînement que par corruption, je viens vous éclairer sur les conséquences de vos fautes, lever le rideau qui dérobe à vos regards le glaive effrayant des lois, et vous convaincre en même temps et de leur puissance et de leur moralité. Je veux, en vous analysant la majeure partie de nos lois pénales, les comparer à celles des peuples anciens et modernes, et par cette comparaison même vous faire aimer votre pays, et porter dans vos âmes le désir bien prononcé de ne plus le déshonorer par votre immoralité et votre inconduite.

Alors qui pourrait vous excuser? Vous n'aurez plus à présenter à vos juges l'ignorance absolue où vous étiez des peines que vous deviez encourir, car je vous aurai tout dit, tout révélé, et vous n'aurez pu l'oublier.

Le souvenir de nos propres fautes est un sceau que le temps ne saurait effacer; et par des exemples frappants, mis à votre portée, j'aurai taché de réveiller et de nourrir en vous, par la honte du crime, l'horreur des utiles châtiments qu'il entraîne et le besoin de la vertu.

Ne croyez pas, mes amis, que cette étude vous soit jamais infructueuse. Bien plus, elle vous est indispensable

dans votre position; de même que seule elle peut servir de barrière aux hommes libres que le flambeau de l'éducation n'a pas défendus des attaques du vice et des captieux attraits de la débauche. Hélas! que n'êtes-vous les seuls qui ayez à rougir de votre ignorance à cet égard? Combien d'hommes nés dans une classe plus élevée que la vôtre, combien d'hommes publics, de magistrats peut-être, ont négligé cette salutaire instruction, et végètent au milieu de la société qui les protége, sans l'en recompenser par leurs travaux? Combien, hélas! n'en voyons-nous pas venir expier au milieu de vous leur coupable et si funeste indifférence? Ah! que du moins cet exil ne leur soit pas infructueux!.... et qu'ils apprennent dans ce séjour de douleur et de larmes que le premier, comme le plus saint des devoirs, est de coopérer par ses vertus, son industrie, ses talents, son courage, à la richesse, au bonheur, à la gloire de son pays, et que briser audacieusement les barrières que les lois opposent à la violence de nos passions, c'est leur donner le droit incontestable de nous punir par la perte de la vie même, ou par celle non moins douloureuse, sans doute, de nos droits et de notre liberté.

Et, en cela, ne dites pas que la société est injuste envers vous; ne dites pas que les peines qu'elle vous inflige ne sont pas en rapport avec les délits que vous avez commis. Vous apprendrez bientôt, au contraire, combien de grâces vous avez à rendre à la sévérité de nos lois pénales, remparts sacrés que la sagesse du législateur n'a revêtus d'épines et entourés d'abîmes que pour nous enseigner qu'on ne saurait jamais, quoi qu'on fasse, impunément les franchir!

Je n'essaierai point de vous prouver que les lois sont aussi indispensables au maintien de l'ordre social, que l'air vital l'est à notre propre existence. Vous ne l'ignorez pas, et chaque jour, à chaque instant, vous en multipliez les preuves autour de vous. Enfin, il est si vrai que le senti

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