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La même remarque vaut pour une autre charte d'Erispoé, datée seulement de l'empire de Lothaire et du règne de Charles (1), où figure le témoin Festgen ou Festien (2), entre le diacre Félix et le prêtre Meior. Enfin, le même souscrit Festien presbyter testis le récit d'une réclamation qui, portée d'abord devant Erispoé, reçut ensuite une solution devant la cour de Salomon (3); c'est dire que l'acte est, soit des deux derniers mois de 857 (Erispoé étant mort entre le 2 et le 12 novembre), soit du début de 858 (4).

A partir de ce moment le prêtre Festien disparaît. A sa place se montre l'évêque Festien, qui souscrit comme testis. un acte du 2 mars 859 ou 860 (5), qui est l'objet d'une réprimande du concile de Savonnières en juin 859 (6), qui, enfin, dans une charte passée à Baulon en Poutrocoet, le 29 novembre 869, est dit episcopus super episcopatum sancti Samsonis (7), c'est-à-dire évêque de l'abbaye de Dol, fondée par saint Samson (8).

(1) Cartulaire de Redon, no LXX, p. 56, et no CXX, p. 91 (doublet du précédent).

(2) Le nom du même personnage figure sous les formes Festgen et Festien dans une charte dont nous possédons une double copie (voy. note précédente). Cette dernière forme représente la prononciation réelle du IXe siècle, tandis que Festgen est une graphie archaïque. Au surplus, la cacographie Festinianus dans les lettres de Nicolas Ier est probante: la chancellerie romaine n'a pu latiniser en Festianus qu'un mot dont la prononciation vulgaire était Festien. Les clercs romains étaient sans doute habitués à entendre les gens de la Gaule prononcer déjà -ien les finales -ianus.

(3) Cartulaire de Redon, no CV, p. 80.

(4) Cf. La Borderie dans les Annales de Bretagne, V, 570, et XII, 512. (5) Cartulaire de Redon, no XXX, p. 24; cf. La Borderie dans Annales de Bretagne, XII, 485 et Histoire de Bretagne, II, 271, note 2.

(6) Les éditions fort défectueuses de cette lettre (Hardouin, Concil., V, 493; Mansi, Concil., XV, 532) portent Fastcario episcopo, sans doute pour Fastcanio (= Fastganio) episcopo.

(7) Cartulaire de Redon, no CIX, p. 83. L'acte est passé à Bicloen in pago transsilvam, c'est-à-dire à Baulon Ille-et-Vilaine, arr. de Redon, cant. Guichen) qui, étant en Pou-tro-coed (pagus-trans-silvam) faisait partie du diocèse du même nom appelé aussi, mais moins souvent, (( évêché de Saint-Malo », comme le montre dans cette même charte le nom de Ratvili, episcopo super episcopatum sancti Macutis, à côté de celui de Festien.

(8) Les prélats francs, eux aussi, rappellent le nom du saint illustre de leur diocèse. Ainsi en 850-851, Landran, archevêque de Tours, appelle son évêché « le diocèse de saint Martin ». Voy. Loup de Ferrières, Epistolæ, no 84, éd. Dümmler (Monumenta Germaniæ, Epistolæ, t. VI), p. 76. Mais

Cette circonstance me paraît rendre au plus haut point vraisemblable que l'évêque Festien, de 859-869, et le prêtre Festien, de 851-858, ne sont qu'une seule et même personne. Ce presbyter, qui paraît en bon rang dans la liste des commensaux des rois bretons, aura été très naturellement pourvu d'un évêché, tout comme les Rethwalatr, les Ratvili, les Bili, qui, eux aussi, commencent dans les chartes de Redon par souscrire comme simples clercs jusqu'à ce que la faveur royale leur ait concédé un siège épiscopal. Seulement, pour notre Festien, on voit que son bienfaiteur fut Salomon, nullement Erispoé, encore moins Nominoé.

Un acte cependant paraît faire obstacle à notre identification. Festien souscrivait comme évêque, en compagnie de trois autres prélats, une charte d'Erispoé, le 19 mai d'une année indéterminée entre 851 et 857. Selon M. de La Borderie (1), cette année serait 853 parce que c'est sous cette date qu'en parle le Chronicon Britannicum (2). Singulière preuve ! Cette compilation de basse époque n'a pour cette annale d'autre source que le Cartulaire de Redon. L'auteur du XVe siècle n'a rien lu de plus que ce qu'on peut lire de nos jours. Il a mis la charte au juger vers le début du règne d'Erispoé et s'il en a parlé c'est à cause de son importance c'est une confirmation de l'immunité accordée antérieurement au monastère de Redon par Nominoé; par suite elle doit être du début du règne d'Erispoé, peut-être de 853, mais plus vraisemblablement de 851 ou 852.

Là, d'ailleurs, n'est pas la question. Que l'acte soit de 851,

cela est fort rare et ici c'est évidemment une réponse aux vantardises des Bretons qui avaient à la bouche saint Samson, saint Malo et autres thaumaturges. L'auteur des Gesta Sanctorum Rotonensium est éclectique : il fait apparaitre au moine Britoc, à son lit de mort, trois « archevêques » : saint Martin de Tours, saint Hilaire de Poitiers, saint Samson enfin. Voy. dans Mabillon, Acta Sanct., sæc. IV, part. II, p. 217.

(1) Histoire de Bretagne, II, 271.

(2) Dom Morice, Preuves, I, 3 : « 853. Hiis diebus primus abbas Sancti Sal»vatoris Rothonensis, nomine Conwoion, adiit ad principem Britanniæ Er'spoium, consistentem in Wadel monasterio, et ibi confirmavit quoddam privilegium sui coenobii coram multis episcopis ». L'annale de 869 a pour Source également une charte de Redon, celle qui porte le n° LXXXIX, p. 67.

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de 852 ou de 853, s'il porte la souscription de Festien évêque, notre hypothèse est ruineuse. Mais ce n'est pas sans étonnement que, en recourant non seulement à la reédition d'Aurélien de Courson (1), mais à l'édition de dom Lobineau (2), on constate que celui-ci n'a pas lu la qualification de Festien et l'a remplacée par des points de suspension : «< consilio atque con» sensu consobrini mei Salomonis filiique mei Conan epis» coporumque qui praesentes aderant, id est Courantgen >> venetensis episcopi atque Anaweten cornogallensis necnon » et Rethwalatr aletensis episcopi, Clutwoion (3) ......... (sic) episcopi, Festgen ......... (sic), Felicis (4) diaconi multorum>> que nobilium Britanniae quorum ista sunt nomina, etc. » Nous ne sommes donc nullement forcés de lire episcopi à la suite de « Festgen ». Après ce qu'on a dit plus haut de l'existence d'un prêtre Festien ou Festgen, en mars 851 ou 852, à la cour d'Erispoé, il est clair qu'il faut rétablir en presbyteri le mot que dom Lobineau n'a pas su lire (5). Il suffit pour s'en convaincre de comparer les souscriptions de la charte Appendice n° XLIV : « S. Kobrantgeni episcopi, S. Festgeni presbyteri, S. Felix diaconi (6) ».

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Une conséquence importante se dégage Festien n'a pas été le premier des évêques intrus installés à Dol par les princes bretons; il a eu un prédécesseur inconnu, dont le gouvernement n'a pas duré moins de onze ans. Il faut donc donner raison à MM. René Merlet et La Borderie : ils ont

(1) Cartulaire de Redon, Append. XXXI, p. 366.

(2) Hist. Brit., II, 58.

(3) Cette forme du nom de l'évêque de Saint-Pol de Léon est la bonne. Voy. J. Loth, Chrestomathie bretonne, p. 117 et 177, note 5. MM. La Borderie, Duchesne, Merlet ont eu le tort d'adopter la cacographie Dotwoion que présentent les mss. de la Vie de saint Malo par Bili (éd. Dom Plaine dans Mémoires de la société archéologique d'Ille-et-Vilaine, t. XVI, 1884, p. 254, 256).

(4) Feleus dans Lobineau et A. de Courson. Il faut naturellement Felicis : c'est le diacre Félix qui paraît souvent dans les chartes de Redon, et qui était un des serviteurs les plus dévoués du duc Salomon : « per fidelem suum familiarissimum Felicem diaconum » dit la charte CCXLIII, p. 194. (5) La preuve même qu'il n'y avait pas epi dans l'acte, c'est que Lobineau, qui venait de déchiffrer ce mot trois fois de suite, ne l'a pas transcrit après le nom de Festgen.

(6) Cartulaire de Redon, p. 371.

bien interprété le concile de Soissons d'août 866 se plaignant au pape Nicolas 1er de l'expulsion des évêques Salocon de Dol et Susan de Vannes par les Bretons : « de Salocone Do» lensi, adhuc quidem licet expulso superstite, cui loco se » jactitant sedem metropolim contra fas habere, praedicto >> quidem fratre expulso atque duobus in ipsa sede nuncu» pative subrogatis absque metropolitae scientia vel con»> sensu, Susanno etiam Venetensi adhuc superstite alioque » suae sedi indebite substituto (1). » Le premier écrit (2) : « Cette phrase me paraît signifier que le diocèse de Dol, depuis » l'expulsion de Salocon, avait été successivement administré >> par deux prélats, tandis qu'à Vannes l'évêque Susan n'avait » encore eu qu'un successeur ». Le second (3): « Nous ne con>> naissons pas le premier successeur donné à Salocon après » le synode de Coetlouh; le second fut Festgen, Festien ou » Festinien (4) ». L'interprétation de M. Léon Levillain (5) dóit être absolument rejetée « Le diocèse de Dol et le diocèse » d'Aleth ne sont aux yeux des évêques francs qu'une seule et » même circonscription dont l'évêque est Salocon. L'incise » duobus in ipsa sede nuncupative subrogatis a été comprise » par La Borderie et par M. Merlet comme si elle signifiait » que, depuis l'expulsion de Salocon, le diocèse de Dol avait été >> successivement administré par deux évêques. Pour arriver » à cette interprétation on force le sens des mots (sic) et cela » ne semble pas exact pour le siège de Dol, pour lequel on »> ne trouve qu'un évêque Festinien jusqu'en 869, et encore » moins pour le diocèse Dol-Aleth (sic), que visent les prélats » du concile puisque, à Aleth, nous avons au moins deux » évêques dans le même intervalle de temps, ce qui fait trois » avec celui de Dol. Mais la phrase signifie tout simplement » qu'à l'évêque expulsé on a donné en 848 deux successeurs » in ipsa sede, l'un à Aleth et l'autre à Dol. L'existence d'Aleth

(1) Chronique de Nantes, p. 54.

(2) Ibid., p. 54, note 3.

(3) Histoire de Bretagne, II, 270-271.

(4) L'explication de ces formes a été donnée plus haut, p. 12, note 2. (5) Art. cité, dans le Moyen-Age, 1902, p. 232.

» avant 848 étant certaine, c'est nécessairement Dol qui a été » créé en 848. Et voilà que de nouveau les données de l'Indi»culus et de la Chronique de Nantes sont confirmées par un » texte du IXe siècle ».

La méprise de M. Levillain, on le voit, est complète. Sans doute a-t-il été induit en tentation par une suggestion de Mgr Duchesne (1), présentée sous la forme suivante : « Cette » nuncupativa subrogatio doit s'entendre d'une substitution » illégale et nulle qui ne donna aux successeurs de Salocon >> aucun droit réel, mais seulement un titre. On peut se de» mander s'il s'agit de deux intrus qui se seraient succédé sur » le siège de Dol ou de deux intrus entre lesquels on aurait >> partagé le diocèse primitif ». Suit une prudente réserve que M. Levillain a eu le tort de négliger: « cette question serait >> résolue s'il était sûr que Festgen, en fonctions au temps » du concile, avait été installé dès l'origine du changement. >> On sait qu'il siégeait sous Erispoé (851-857) et nul autre » nom d'archevêque de Dol n'est prononcé avant le sien. Mais » ceci ne donne qu'une probabilité ».

Maintenant que nous savons que Festien n'a pas été nommé avant 859 et a dû avoir nécessairement un prédécesseur, il est évident qu'il faut traduire le passage reproduit plus haut :

Quant au cas de Salocon de Dol, expulsé mais toujours » vivant, dont le siège a été — contre tout droit - transformé » en métropole après l'expulsion dudit frère auquel on a » subrogé sur son propre siège (2) deux pseudo-évêques (3),

(1) Fastes, II, 271, note 2.

(2) « Cui loco et jactitant sedem metropolim, contra fas, habere ». M. Levillain (p. 222, note 1) fait à ce propos la remarque suivante : « donner au » mot locus le sens de siège épiscopal est, je crois, abusif; et, par contre, on » trouve souvent locus dans le sens de monasterium au IXe siècle ». Même si cette remarque était juste, on pourrait répondre que Dol est un monastère-évêché tout comme Saint-Malo pour lequel un diplôme de 816 emploie cette même expression (voy. plus loin p. 24, note 2).

(3) Littéralement : « deux (personnages) évêques de nom (seulement) ». La phrase qui suit, concernant Susan remplacé par un autre, fait le pendant de celle qui concerne Salocon remplacé par deux autres: il suffit de lire sans parti pris la lettre du synode de Soissons pour comprendre que Salocon a eu deux remplaçants successifs, nullement qu'on a coupé son diocèse en deux.

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