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» à l'insu et sans le consentement du métropolitain, et aussi » de Susan de Vannes, également remplacé de son vivant, » la sainte Eglise romaine en a été souvent saisie ».

Ainsi, le diocèse d'Alet n'a point été coupé en deux tronçons, Alet et Dol, ce dernier créé en 848. Le fait que les évêques francs, si hostiles aux ducs bretons, ne leur reprochent jamais d'avoir créé proprio motu un nouveau diocèse, chose qu'ils n'eussent point manqué de faire si Dol diocèse était vraiment une innovation, est un argument très fort, me semble-t-il, en faveur de l'existence de cette abbaye comme évêché antérieurement à 848.

Les lettres de Nicolas Ier amènent à la même conclusion. A la demande de Festien et de Salomon réclamant pour Dol le pallium en s'appuyant sur de soi-disant précédents, le pape répond, nous allons le voir, que, vérification faite, ces précédents n'existent pas. Aucun des prédécesseurs de Festien n'a obtenu le pallium.

Parlerait-il à ce dernier de ses decessores (1), l'appellerait-il « Votre dilection (2) », « notre frère et coévêque qui dirige l'église de saint Samson (3) », si Dol était un évêché nouveau dont la naissance serait due seulement à une fantaisie du duc des Bretons?

MM. Duchesne et Levillain, qui soutiennent que Dol n'existait pas en tant qu'évêché avant 848 et n'avait été par la suite qu'un démembrement d'Alet, ont tenté d'expliquer le titre d'évêque de Dol donné à Salocon par le concile de Soissons de 866. Le premier, remarquant que les évêques d'Alet varient leurs titres, émet l'hypothèse que « se trouvant en possession » du monastère de Dol ils aient pris aussi le titre d'episcopus » Dolensis. Au temps du concile de Soissons on parlait beau» coup (4) en France de la nouvelle métropole de Dol. Salocon » a pu choisir parmi ses titres celui qui était le plus propre à

(1) Migne, t. CXIX, col. 970.

(2) Ibid., col. 969.

(3) Ibid., col. 926.

(4) A mots couverts car avant 866, répétons-le, le nom de Dol n'est pas prononcé.

>> accentuer son opposition aux changements survenus (1) ». Le second observe justement que nous ne voyons jamais les évêques d'Alet prendre ce titre d'évêque de Dol ou celui d'episcopus ecclesiae sancti Samsonis, mais «‹ Salocon, évêque » d'Alet déposé, a protesté contre l'installation d'un évêché » à Dol en prenant pour lui le titre que nul autre ne pouvait » porter, Dol étant dans son obédience; et il a protesté parce » que si la création de la métropole avait été confirmée, il se >> trouvait par le fait et en droit archevêque et métropolitain » de la Bretagne (2) ».

Ingénieux, trop ingénieux. Pour ruiner l'hypothèse, il suffit de faire observer que ce n'est pas Salocon, lequel vivait oublié dans un monastère de Bourgogne (3) et dont on n'exhuma le nom en 866 que dans un intérêt politique (4), qui s'intitule évêque de Dol; ce sont les évêques francs qui lui donnent ce titre et les conséquences qu'il entraînerait prouvent justement qu'il n'a été donné à Salocon, dans l'intention que suppose M. Levillain, car le roi et les évêques francs n'auraient pas plus voulu de ce personnage que de Festien comme métropolitain de Bretagne.

M. Levillain dit encore : « Si Salocon avait été évêque de » Dol quand il fut déposé, Festinien (sic), son successeur, » aurait été lui-même un intrus. Dès lors le pape aurait-il pu » appeler ce dernier « son vénérable frère et coévêque? Et >> surtout aurait-il pu examiner la possibilité de lui conférer » le pallium. A la demande du pallium faite par Salomon » n'eût-il pas répondu « Mais votre candidat n'est qu'un » évêque d'occasion; le véritable évêque de Dol est à mes » yeux Salocon, qui a été expulsé par la violence, qui n'a pas

(1) Fastes, II, 384, note 1.

(2) Loc. cit., p. 223.

(3) Dans l'abbaye de Flavigny, au diocèse d'Autun, où il mourut quelque temps après (Hugues de Flavigny dans Mon. Germ., Script., VIII, 286). Il gardait son titre d'évêque et secondait Jonas dont il était le coepiscopus. Voy. la Translation des reliques de sainte Reine d'Alise à Flavigny, le 21 mars 864, dans Historiens de France, VII, 363.

(4) On voulait peser sur Salomon et l'amener à abandonner son attitude, inquiétante depuis 865, vis-à-vis de Charles le Chauve.

» été jugé selon les lois de l'Eglise et qui est encore vivant ? » » Assurément, si le pape ne considère pas Festinien comme >> un pseudo-évêque, alors que Salocon vit encore, c'est que >> Salocon n'avait pas été expulsé du siège de Dol [mais de » celui d'Alet] (1) ».

Ce raisonnement d'apparence rigoureuse ne tient plus et se retourne même contre son auteur maintenant que nous savons que Festien n'a pas été le successeur direct de Salocon (2). Du moment que le pape appelle Festien son « frère », c'est que celui-ci est légitime évêque à Dol; et il ne peut l'être que si Dol est un évêché ancien, car croire que le pape et les évêques francs considéreraient comme valables des diocèses improvisés par un laïque serait une étrange illusion.

Au fond, ces contestations subtiles ne sont que pour maintenir l'autorité de l'Indiculus de episcoporum Brittonum depositione, qui qualifie Salocon d'évêque d'Aleth (3). Nous verrons dans un autre article que cette tâche est désespérée. Sans cela on n'eût point contesté un fait aussi évident que l'existence de Dol comme évéché avant 848 (4).

(1) Loc. cit., p. 222-223.

(2) On pourrait objecter que Salocon vivant toujours, Festien successeur d'un intrus est lui-même un intrus; mais les affaires ecclésiastiques, toujours fort embrouillées, ne se traitent pas avec cette raideur de logique. Salocon qui exerçait le ministère pastoral dans le diocèse d'Autun avait sans doute renoncé à la pauvre et périlleuse petite abbaye-évêché de Dol et si l'on exhume son nom en 866, c'est, répétons-le, dans un but politique (voy. notes précédentes). Ce qui prouve bien que Festien était considéré comme légitime aussi bien par les évêques francs que par le pape, c'est que le concile de Savonnières, en juin 859, le nomme en tête des quatre évêques bretons auxquels ils adressent une réprimande. Les autres sont laissés de côté dans l'adresse de l'épitre synodale parce que excommuniés dit Mgr Duchesne (Fastes, II, 265-266), dont l'argumentation est admise par M. Levillain (p. 235, note 1).

(3) Je reviendrai sur l'Indiculus dans un autre mémoire. Voy. l'Etude

no iv.

(4) C'est ce qui a été soutenu par M. de la Borderie (Hist. de Bret., I, 420, 432-433, 560-566; II, 99, note 6) malheureusement au moyen d'arguments parfois médiocres et justement combattus par Levillain (loc. cit., p. 224-231). Mais ne serait-ce pas faire preuve d'un aveuglement non moindre que de se refuser à comprendre qu'un monastère fondé par un grand saint abbé et évêque était, pour ainsi dire nécessairement, un centre épiscopal aux yeux des populations celtiques. L'homme qui occupait le siège de saint Samson ne pouvait pas ne pas être un évêque pour des cervelles brittoniques.

Certes, ce n'est pas un évêché au sens italien et franc. Son ressort est incertain (1), tout au mois fort restreint c'est une abbaye dont le chef a droit au titre d'évêque. Le pape peut voir cette organisation de mauvais œil (2), mais en GrandeBretagne, en Irlande, ailleurs encore, les exemples en sont trop fréquents pour que le pontife ose la condamner (3). Dol est un évêché au sens celtique, mais c'est un évêché, le siège de saint Samson, comme Alet est le siège de saint Machutus (4).

Le reproche adressé par le pape et les Francs aux Bretons, ce n'est pas d'avoir créé l'évêché de Dol, mais de vouloir l'élever à la dignité d'une métropole. On peut et on doit se demander si cette transformation a été opérée d'un seul coup, brusquement, dès 848.

Les lettres de Léon IV à Nominoé et aux évêques bretons, telles qu'on peut les reconstituer (5), n'en soufflent mot. Les conciles de Tours de 850 (6) et de Savonnières de 859 (7) reprochent, il est vrai, aux Bretons de porter atteinte aux prérogatives de l'église de saint Martin, Tours, leur métropole légitime. Des plaintes et des objurgations de ces synodes

(1) Le diocèse de Dol comprenait seulement 47 paroisses autour de l'abbaye; 23 autres étaient enclavées dans le diocèse d'Alet, 11 dans celui de Saint-Brieuc, 8 dans celui de Tréguier, 3 dans celui de Rennes, enfin dans celui de Rouen 4 paroisses sur le cours inférieur de la Risle représentaient le ressort de l'antique abbaye mérovingienne de Pental fondée comme Dol par Saint-Samson. Cf. La Borderie dans Annuaire historique de Bretagne, 1862, 222; Aur. de Courson, Cartul. de Redon, p. CCVI et 760; Longnon, Atlas, p. 106-107, et Pouillés de la province de Tours (Paris, 1903, in-4o), p. LXXXIX.

(2) Cf. La Borderie, op. cit., II, 58, note 1.

(3) Voy. d'ailleurs Levillain, loc. cit., p. 227, note 4.

(4) Voy. plus haut, p. 12, note 7.

(5) La lettre aux évêques bretons est dans Migne, t. CXV, col. 667; sur la lettre à Nominoé, cf. R. Merlet dans le Moyen-Age, 1898, p. 8-10.

(6) M. René Merlet (loc. cit., p. 27 sq.) a cru pouvoir fixer à Tours, en février 851, le premier synode qui condamna Nominoé (la sentence rédigée par Loup de Ferrières forme le n° 84 de la correspondance de celui-ci). M. Levillain a combattu les arguments de M. Merlet et date ce concile de juillet-août 850 sans déterminer en quel lieu il s'est tenu. Voy. Etude sur les lettres de Loup de Ferrières, p. 134 sq. (Extr. de la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, t. LXII-LXIII.)

(7) Hardouin, V, 493; Mansi, XV, 532.

il ressort que les évêques bretons ne se rendaient point aux conciles tenus dans le royaume franc, consacraient de nouveaux prélats sans l'assentiment du métropolitain, gardaient des relations avec des excommuniés; bref, ils vivaient à l'écart, dans une indépendance de fait. Mais avaient-ils osé constituer déjà chez eux réellement une métropole schismatique, la chose n'est pas assurée. Je remarque avec étonnement que, avant le synode de Soissons d'août 866, le nom de Dol n'est pas prononcé.

Il semble que cette idée ait pris corps chez le prince breton et ses évêques à la suite précisément des reproches véhéments des synodes. Sous la menace, ils se seront cabrés et, de passive, leur résistance sera devenue active.

Le personnage qui, de concert avec le duc Salomon, voulut véritablement faire de Dol une métropole, c'est précisément notre Festien. Quatre ou cinq ans après son avènement, il demanda, lui et son souverain, I'« usage du pallium pour l'église de Dol ». Cette prérogative, depuis la réorganisation de l'Eglise sous Charlemagne, était attachée uniquement, sauf un très petit nombre d'exceptions, aux métropoles (1). Demander le pallium, c'était donc se faire reconnaître archevêque, faire consacrer par le pape la séparation de la Bretagne et de la France au point de vue ecclésiastique.

Festien invoqua des précédents : le pape Séverin, écrivit-il à Nicolas Ier, a créé un de mes prédécesseurs, Restwald, archevêque de Bretagne; Hadrien a concédé le pallium à un autre de mes prédécesseurs, Iuthmael.

Nicolas Ier répondit (en 865) que, vérification faite dans les archives du Saint-Siège, il n'avait point trouvé trace de ces concessions. Et pour cause. En ce qui touche Restwald, la source de l'erreur de Festien a été découverte par Mgr Duchesne (2) le pape Serge (et non Séverin) avait nommé Ber

(1) Voy. abbé E. Lesne, La hiérarchie épiscopale... en Gaule et en Germanie: 742-882 (Lille-Paris, 1905, in-8°) p. 94 sq.

(2) Ni M. de la Borderie (Hist. de Bret., II, 99, note 6), ni même M. J. Loth (Revue Celtique, 1901, 114), n'ont compris le raisonnement, pourtant lumineux, de Mgr Duchesne (Fastes, II, 268-271). Celui-ci a répondu dans la Revue Celtique, 1901, 244-246, Voy. aussi L. Levillain, loc. cit., 228-232.

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