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cloître. Politiquement indépendante, dans sa majeure partie, de la domination des Mérovingiens, la péninsule armoricaine n'en formait pas moins, physiquement, une portion du sol gaulois. L'étude de la langue de Jonas ne permet pas de supposer qu'il ait eu l'intention de faire exclusion, dans l'espèce, de cette portion du territoire de la Gaule (1).

Rien non plus, dans la phrase déjà citée de la lettre de S. Colomban aux moines de Luxeuil, n'autorise à croire que les Bretons du cortège se trouvassent, lors de leur passage à Nantes, dans le voisinage de leur pays d'origine. Il semble pourtant qu'une telle conjoncture eût dû être notée par Colomban. D'ailleurs, ils s'embarquent tous avec l'exilé. Une fois rejetés sur le rivage par la tempête providentielle qui empêche la navigation, vont-ils entraîner leur maître en terre bretonne, lui procurer là un refuge momentané ? Nullement. On conjecture que c'est vers ce temps que l'un des moines, Potentien, se détacha du groupe pour aller fonder le premier monastère colombanien de l'Ouest (2); mais c'est hors de Bretagne, à Coutances, qu'il s'établit (3).

Ainsi tout invite à admettre que ces disciples qui s'attachèrent à S. Colomban au cours de sa première pérégrination et le suivirent dans l'exil étaient des Bretons insulaires.

Donc, si nous ne nous faisons illusion sur la force démonstrative de nos arguments, les conclusions auxquelles ils nous ont conduit peuvent se formuler de la manière suivante :

1° L'opinion constante des anciens, depuis Walahfrid Strabon (IXe siècle), jusqu'à Hariulf (XIe siècle), et celle des modernes jusqu'aux plus récents, est que S. Colomban, venant en Gaule, a passé par la Grande-Bretagne et non par la Bretagne continentale.

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(1) Cf. Vita Columbani, I, 6; éd. Krusch, p. 72. Les rois francs prétendaient exercer une certaine suzeraineté sur la péninsule (A. Longnon, Géographie de la Gaule au VIe siècle, p. 170 sq.). (2) L'abbé Eug. Martin, Saint Colomban, p. 128. (3) Jonas, Vita Columbani, I, 21; Krusch, p. 94. sage Armoricana in loca in suburbano Constantiae urbis, voir J. Loth, De vocis Aremoricæ usque ad Vum p. C. natum sæc. forma atque significatione, 1883.

Relativement au pas

2o Les besoins religieux de l'île vers la fin du VIe siècle, les relations entretenues avec elle par les Irlandais et spécialement par les moines de Bangor, les résolutions dont était animé S. Colomban à sa sortie d'Irlande, tout cela nous porte à conjecturer qu'il se dirigea tout d'abord vers ce pays.

3° Enfin, encore que les chapitre IV et V du livre Ier de la Vita Columbani, contenant le récit du voyage, soient d'une exégèse difficile, leur examen attentif et leur confrontation avec d'autres passages de la Vita d'une part, avec certains détails d'une lettre de S. Colomban de l'autre, nous obligent à reconnaître que dans le texte de Jonas de Bobbio, un quasicontemporain, c'est bien de la Grande-Bretagne qu'il s'agit, et non point, comme l'a cru M. Br. Krusch, de la Bretagne armoricaine, terre demeurée complètement étrangère à l'itinéraire qui nous occupe.

C'est le désir d'étudier le culte du grand Irlandais dans cette dernière contrée qui nous a amené à élucider tout d'abord ce point secondaire d'une vie dont d'autres et M. Br. Krusch avec une rare maîtrise — ont si bien su fixer les grandes lignes et apprécier l'influence.

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COMPTES RENDUS

K. BRUGMANN. Abrégé de grammaire comparée des langues indoeuropéennes, traduit par J. Bloch, A. Cuny et A. Ernout, sous la direction de A. Meillet et R. Gauthiot. Paris, Klincksieck, 1905, XXI-856 p. et 4 tableaux. Prix: 20 francs.

Le public français n'avait point jusqu'ici de manuel de grammaire comparée. On ne pouvait songer à traduire le Grundriss der vergleichenden Grammatik der indo-germanischen Sprachen qui compte plus de 3,000 pages. Mais, de 1902 à 1904, M. Brugmann avait publié une Kurze vergleichende Grammatik qui, en un seul volume, comprend un aperçu de toute la grammaire comparée. C'est ce volume dont nous avons aujourd'hui une traduction française. Seules, les cinq principales langues du groupe indo-européen le latin, le grec, le germanique, le slave et le sanskrit y sont étudiées dans leur complet développement. Les langues celtiques n'y occupent qu'une place restreinte et elles ne sont invoquées que toutes les fois que leur témoignage est nécessaire pour établir l'état de choses indoeuropéen. Aussi n'ai-je guère qu'à présenter ce livre aux lecteurs des Annales de Bretagne. Ils y trouveront l'exposé complet et exact de nos connaissances sur la grammaire comparée des langues indoeuropéennes.

Un index complet relève les mots cités. Les mots irlandais sont au nombre de 227; les mots brittoniques, au nombre de 49, et les mots gaulois. au nombre de 29. Dans la transcription des mots irlandais, il y a un détail qui m'étonne. Avec raison, on a distingué les voyelles étymologiques des voyelles qui ne sont que de simples répercussions du timbre des consonnes voisines. Les premières figurent sur la ligne et les secondes un peu au-dessus de la ligne, en petits caractères. C'est ainsi qu'on note: adbiur, as biur, de biur berō; adgaur, de gaur garo. Mais pourquoi adcondairc est-il noté adcondaire? Quelle que soit l'origine de l'a il n'est point douteux que cel a ne soit la voyelle étymologique, cf. 1re p. sg. adcondarc, et que l'i représente la résonnance de rc palatal anciennement suivi de e. attendrait donc une notation adcondaire. Quant aux présents en

=

On

-aim liagaim, tinaid, trisgalaim, scaraim, l'a n'est point la voyelle étymologique, car il manque souvent en vieil irlandais et ne se rencontre que dans les verbes qui ont un a pour voyelle radicale; quant à l'i, il est la répercussion de l'i de la désinence -mi. Dans le mot noté uraid, i. e. *peruti, l'i n'est pas étymologique; l'a est à fois le reste de la voyelle étymologique et la résonnance de l'r. La terminaison iu est notée iu: guidiu, õiliu, siniu; de même on a jur: domoiniur, midiur; or, dans tous ces mots, l'i est aussi étymologique que -u puisqu'il s'agit d'un ancien suffixe iō. Dans l'index des mots gaulois les noms propres figurent pour plus de moitié. Etant donné les difficultés de toute sorte que présente dans toutes les langues l'étymologie des noms propres, il serait à souhaiter que l'on éliminât au moins des manuels de grammaire les noms propres; il est bien certain qu'un nom propre dont le sens est hypothétique ne peut servir à aucune démonstration de phonétique, puisque l'on s'appuie précisément sur ce qu'il faudrait démontrer. De même, il serait préférable que l'on ne fit pas entrer en ligne de compte les désinences que l'on a cru reconnaître dans les inscriptions gauloises, puisqu'il n'est pas sûr que toutes ces inscriptions soient celtiques et puisque la plupart sont intraduisibles. Il va sans dire que ces remarques de détail n'enlèvent rien à la valeur de ce précis, et que nous sommes vivement reconnaissants aux traducteurs de l'avoir mis à la disposition des étudiants français.

G. DOTTIN.

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H. D'ARBOIS DE JUBAINVILLE. Les druides et les dieux celtiques à forme d'animaux. Paris, Champion, 1906, in-16, vш-203 p.

Depuis la publication du tome I du Cours de littérature celtique qui date de 1883, M. d'Arbois de Jubainville a souvent traité à nouveau les questions relatives aux druides, soit dans des articles de revue, soit dans des chapitres de livres. L'ouvrage dont nous rendons compte résume la doctrine de l'auteur sur ce sujet. Tous les textes importants sont donnés en note, ce qui permet de contrôler l'interprétation que leur donne M. d'Arbois de Jubainville, et d'apprécier la méthode de travail du savant et infatigable auteur. Après le druidisme, M. d'Arbois de Jubainville étudie la divinisation des animaux chez les Celtes, telle qu'on peut la restituer d'après les documents de l'époque gallo-romaine et les récits épiques du moyen

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âge irlandais. De ces récits, deux spécimens intéressants figurent en traduction française à la fin du volume; c'est L'Enlèvement des vaches de Regamain, et La Génération des deur porchers, contes à transformations, où l'on peut trouver des traces du culte des animaux. De nombreuses comparaisons avec la mythologie grecque et romaine, et même les croyances des Hébreux, déterminent le degré d'originalité de la mythologie celtique. Enfin, dans un appendice, le sens de Gallia omnis dans le premier chapitre du De bello gallico est précisé. M. d'Arbois de Jubainville démontre qu'il s'agit d'une déno mination géographique s'appliquant seulement à la Gallia comatů. G. DOTTIN.

A. TRAVERS. De la persistance de la langue celtique en Basse-Bretagne depuis l'établissement des Celles dans la péninsule armoricaine jusqu'à nos jours. Rennes, Oberthür, 1906, in-16, 106 p.

M. A. Travers tâche de démontrer que le celtique n'a jamais cessé d'être parlé en Basse-Bretagne. Parmi les arguments qu'il emploie, certains ont quelque intérêt. Il fait remarquer, par exemple, que les noms d'hommes romains portés par des Bretons appartiennent aux classes dirigeantes et qu'on ne peut en conclure que le peuple ne portait pas de noms celtiques et ne parlait pas celtique; de plus, que l'existence de nombreux noms de lieux romans en Basse-Bretagne prouve simplement que les Celtes ont été obligés de se servir, pour désigner les localités qu'ils habitaient, des noms qui leur ont été imposés par leurs vainqueurs ou leurs maîtres. Le grand nombre. des noms de lieux d'origine française en Algérie ne démontre pas la disparition des langues berbère et arabe. Mais on peut opposer à M. Travers une objection irréductible, c'est que le bas-breton est identique au gallois de Grande-Bretagne, et, autant qu'on en peut juger par les inscriptions gauloises qui nous sont parvenues, qu'il est très différent du gaulois continental. Il faut donc s'en tenir à l'opinion commune d'après laquelle le breton est un dialecte celtique apporté de Grande-Bretagne et, quelques traces qui aient pu persister des dialectes celtiques en Armorique sous la domination romaine, elles n'étaient pas assez marquées pour ne pas disparaître complètement lors de l'invasion bretonne.

G. DOTTIN.

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