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il doit quitter la ville, se démettre du commandement de l'expédition. M. Herpin s'efforce de justifier la conduite de La Bourdonnais; cependant, on a toujours de la peine à comprendre pourquoi, maître de la situation, il s'est contenté d'une simple rançon. Est-ce uniquement la jalousie qui a poussé Dupleix à instruire son procès et à l'accuser de malversations?

Ici se pose la question de savoir si réellement La Bourdonnais a reçu 100,000 pagodes des Anglais pour ne pas détruire Madras. Malleson, dans son Histoire des Français dans l'Inde, déclarait que la culpabilité de La Bourdonnais est prouvée par des documents de l'India Office (Law-Case, no 31). M. Herpin a eu l'heureuse idée de consulter ces documents, dont voici l'origine. Le Conseil anglais de Madras, pour se procurer les fonds nécessaires à la rançon, avait dû contracter un emprunt auprès d'un assez grand nombre d'habitants. En 1751, il s'agissait de rembourser l'emprunt et d'examiner les billets souscrits. On fit déposer sous serment les réclamants et les membres du Conseil. Il est regrettable que M. Herpin n'ait pas publié in-extenso ces dépositions, au lieu de se contenter d'en donner en note quelques courts extraits. Toutefois, les témoins, dont il cite les dépositions (p. 199), et parmi lesquels figurent le gouverneur et des conseillers de Madras, s'accordent à déclarer qu'outre la rançon, l'on devait verser 100,000 pagodes à La Bourdonnais ; l'un des conseillers de Madras, Straton, affirme même que la capitulation n'avait été obtenue que grâce à la promesse formelle de cette somme (1). Il ne semble donc pas que ces documents fournissent, comme le prétend M. Herpin, « une nouvelle preuve de l'innocence de La Bourdonnais »; bien au contraire, ils aggravent singulièrement les présomptions de culpabilité qui pèsent sur lui. Peut-être une publication intégrale du dossier, conservé à l'India Office, permettrait-elle de résoudre définitivement la question. Il faut ajouter, d'ailleurs, que la malversation de La Bourdonnais ne constituerait pas, à proprement parler, un acte de trahison. Il n'attachait pas une importance extrême à la possession de Madras, et Dupleix lui-même n'a compris qu'au dernier moment qu'il impor

(1) Un autre conseiller de Madras, Monson, dans une lettre aux directeurs de la Compagnie, du 21 décembre 1748, affirme aussi que La Bourdonnais requl, à titre privé et en secret, une somme considérable; nous ne connaissons cette lettre que par une brochure parue en Angleterre, et dont un extrait fut fait pour le ministre français des affaires étrangères; cet extrait est conservé aujourd'hui aux Arch. des Aff. étr., Asie, 12, 183 (d'après Cultru, op. cit., p. 219).

tait de ne pas s'en dessaisir. Puis, il convient de ne pas oublier que La Bourdonnais était avant tout un corsaire, qui ne voyait dans la guerre qu'une occasion d'enrichir la Compagnie des Indes par le pillage et surtout de faire ses propres affaires. Il n'était pas et ne pouvait pas être un serviteur désintéressé de sa patrie.

Henri SÉE.

JEAN CHOLEAU. Condition actuelle des serviteurs ruraux bretons, domestiques à gages et journaliers agricoles, Paris, H. Champion, et Vannes, Lafolye, 1907, 1 vol. in-8°, de 199 pages (Extrait de la Revue de Bretagne).

On trouvera dans cette consciencieuse étude des renseignements très intéressants sur la situation sociale des domestiques et des ouvriers agricoles, qui, en Bretagne, forment près de la moitié de la population agricole (1). M. Choleau nous montre que les engagements de domestiques se contractent le plus souvent pour un an, quelquefois aussi pour le temps de la moisson. Dans la plupart des régions, il y a encore des gageries, à certaines époques de l'année, et notamment à la Saint-Jean, mais ces gageries tendent à disparaître, et on peut prévoir le moment où elles seront définitivement remplacées par les bureaux de placement.

L'auteur étudie d'une façon très précise les salaires des domestiques agricoles, en distinguant soigneusement chaque région ou même chaque localité. Nous voyons que les salaires sont le plus élevés dans l'Ille-et-Vilaine et dans les parties riches des Côtes-duNord et de la Loire-Inférieure; dans le Morbihan et le Finistère, ils sont généralement plus faibles. M. Choleau établit aussi que la hausse des salaires a été très considérable depuis une vingtaine d'années, et il pense qu'elle a pour cause principale l'émigration qui se produit vers les villes, vers la Normandie et la Beauce. Malgré cet accroissement, le salaire des domestiques bretons n'a pas encore atteint la moyenne des gages annuels du reste de la France.

On a étudié avec le même soin les salaires des journaliers. Ils varient suivant les saisons. Le journalier, nourri, reçoit le plus souvent 0 fr. 75 ou 1 franc en hiver, 1 franc ou 1 fr. 25 en été, de

(1) 447,661 sur une population agricole de 957,000 personnes.

1 fr. 25 à 2 francs pendant la moisson. Les salaires sont généralement plus faibles dans le Finistère et le Morbihan que dans le reste de la Bretagne. Depuis 20 ans, ils se sont partout accrus assez sensiblement, mais leur hausse a été moins forte que pour les domestiques, et ils sont moins élevés en moyenne que dans le reste de la France. L'habitude du salaire à la tâche tend à se répandre : il est assez difficile à évaluer, mais il semble qu'il soit plus avantageux que le salaire à la journée.

M. Choleau essaie de déterminer les heures de travail et de repos, la durée de la journée de travail, qui varie beaucoup suivant les saisons; en hiver elle est de 8 heures ou 8 heures 1/2; d'avril à fin mai, de 11 heures 1/2 ou 12 heures; de juin à fin septembre, de 13 à 14 heures. Le placenner de Léon, le placeron d'Antrain, qui se louent chaque jour à un autre cultivateur, fournissent un travail vraiment écrasant leur journée commence à 3 heures du matin pour ne finir qu'à 8 heures 1/2 du soir.

Les conditions de vie des journaliers semblent assez misérables, surtout dans les pays pauvres. Trop souvent encore, ils habitent des masures sans air et sans lumière, comprenant une seule pièce, où la famille s'entasse pêle-mêle sur de mauvaises paillasses. Les prix de location varient de 30 à 60 francs. Quand ils ont un peu d'argent, les journaliers louent avec leur maison quelques pièces de terre; parfois ils font un peu d'élevage, au moyen de baux à cheptel. La nourriture se compose essentiellement de pommes de terre, de laitage, de galettes, de porc salé.

L'auteur étudie aussi la condition de l'ouvrier agricole émigré, de celui qui, souvent pour la moisson seulement, va travailler en Normandie, en Beauce, aux environs de Paris, dans les îles anglo-normandes. Dans ces pays, les salaires sont plus élevés, atteignent 4 ou 5 francs à l'époque de la moisson, mais les dépenses sont beaucoup plus fortes et le travail plus dur. M. Choleau estime que l'émigration, qui a pour cause la surpopulation des campagnes bretonnes, a plutôt des effets salutaires elle accroît les salaires des travailleurs qui restent au pays et contribue ainsi au progrès de l'outillage agricole.

Il montre aussi qu'il devient de plus en plus difficile au journalier de parvenir à la propriété ou de louer de petites fermes, et il prétend que la grande propriété et la grande exploitation font de très rapides progrès; mais il n'a pu qu'effleurer cette intéressante question, qui mériterait une étude approfondie. Henri SÉE.

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UZUREAU (Abbé F.). - Histoire du Champ-des-Martyrs. Angers, 1906, in-16, 223 pages; prix, 1 fr. 25.

Dès l'époque de la réaction thermidorienne, un grand concours de population se fit vers un champ situé au milieu des bois, dans l'enclos de l'ancien prieuré de la Haye aux Bons-Hommes, à 2 kilomètres d'Angers, sur le territoire actuel de la commune d'Avrillé. C'est là que, du 12 janvier au 16 avril 1794 (v. st.), furent fusillés, après qu'ils eurent été condamnés à mort par la Commission militaire Félix, les Chouans arrêtés après la déroute de l'armée catholique et royale à Cholet et le passage de la Loire à Saint-Florent-leVieil (18 octobre 1793), les habitants suspects d'avoir favorisé les brigands» et les individus arrêtés sur l'ordre des représentants en mission Hentz et Francastel ou des comités révolutionnaires, en particulier de ceux d'Angers et de Cholet. M. l'abbé Uzureau publie deux longues listes des hommes et des femmes exécutés au «‹ Champdes-Martyrs », en ajoutant en note un extrait de l'interrogatoire lorsqu'il appert de cet interrogatoire que la sentence a été le châtiment de l'attitude religieuse du condamné. Pour donner plus d'intérêt et de clarté à son exposé, l'auteur l'a fait précéder d'un court historique de la Constitution civile du clergé et de la guerre de Vendée, et y a joint des notices biographiques sur quelques-uns des personnages fusillés. Sans doute, il poursuit avant tout un but apologétique, mais il a soin de publier de longs extraits des interrogatoires et des autres documents authentiques conservés au greffe de la Cour d'appel d'Angers ou aux Archives de Maine-et-Loire; il emprunte aussi nombre de détails à un rapport adressé en 1816 à son évêque par l'abbé Gruget, curé de la Trinité de 1784 à 1840, lequel demeura caché dans la ville d'Angers durant toute la Terreur : ce document n'est pas dépourvu d'intérêt, mais, comme il a été écrit longtemps après les événements et que son auteur n'a pas toujours été lui-même le témoin direct des faits qu'il rapporte, son autorité ne peut être acceptée sans réserve.

André LESORT.

KERSTIN HARD AF SEGERSTAD. Quelques commentaires sur la plus ancienne chanson d'états française, le livre des manières d'Etienne de Fougères. Uppsala, C.-J. Lundström, 1906, in-8°, 100 p. [Uppsala Universitets Arsskrift 1907. Filosofi, Sprakvetenskap och historika Vetenskaper].

Le poème si curieux dans lequel Etienne de Fougères, évêque de Rennes (1168-1178), passe en revue les diverses classes de la société et leur adresse des critiques sur leurs défauts, ne nous est parvenu que par un seul manuscrit, appartenant à la Bibliothèque d'Angers, et il a été publié en 1887 à Marbourg par Jos. Kremer, au t. XXXIX des Ausgaben und Abhandlungen de E. Stengel. M. de la Borderie, qui en a donné une longue analyse au t. III (p. 255-268) de son Histoire de Bretagne, n'a cherché, ce n'était d'ailleurs pas le lieu de le faire ni à en reconnaître les sources, ni à en dégager les données historiques : c'est à l'étude de ce double problème que s'est adonné M. Kerstin Hard of Segerstad. Passant en revue les principales œuvres didactiques antérieures à Etienne, cet érudit reconnaît entre le Livre des Manières et le Polycraticon de Jean de Salisbury des relations assez étroites, et le roman d'Alexandre, au moins la version de Pierre de Saint-Cloud et le noyau de Lambert li Tort, a été connu et utilisé par le poète ; mais il est dans son œuvre maint passage d'une parfaite banalité dont il semble que M. Kerstin Hard af Segerstad ait perdu son temps à rechercher l'origine. Pourquoi, par exemple, rapprocher des strophes LXXX-LXXXI (conditions requises pour l'ordination des clercs), les « canons de Buchardus de Worms » ? Rien ne nous autorise à penser qu'Etienne a consulté la collection canonique composée par ce personnage plutôt que les compilations de Réginon ou d'Ives de Chartres, et les règles ecclésiastiques énumérées par l'évêque de Rennes sont celles qui avaient alors cours dans toute la chrétienté.

Le Livre des Manières est-il, comme le dit M. Kerstin Hard af Segerstad, «< une chanson à clef », et peut-on y retrouver des allusions évidentes à l'histoire du roi d'Angleterre Henri II, à la révolte de ses fils et aux guerres de Bretagne (1170-1175) ? Nous n'oserions être aussi affirmatif.

«Dans les strophes :

XXVI Ça et la veit, sovent se torne
Ne repose ne ne sejorne.

XXVII Ça et la veit, pas ne repose

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