Images de page
PDF
ePub

rantes, a ramené presque à l'horizontalité d'une plaine. En accord avec cette conception, ils disent que la Bretagne est une pénéplaine; ils ajoutent que des circonstances favorables ont récemment ranimé en Bretagne l'énergie des eaux courantes épuisée par son œuvre d'usure et que les rivières rajeunies ont disséqué la pénéplaine bretonne, l'ont morcelée en une série de compartiments de faible relief; ils considèrent que les deux plateaux qui, au Nord et au Sud de la Bretagne, s'étendent parallèlement aux rivages, sont les parties de la pénéplaine où s'est le mieux conservé l'aspect qu'elle avait avant sa dissection récente. Pour M. Vallaux, chacun de ces deux plateaux est à lui tout seul une pénéplaine; il dit, en en parlant, « les pénéplaines » (1). Il va ainsi à l'encontre de définitions généralement admises, et il n'explique pas sa révolte.

Aussi bien l'interprétation habituelle de l'évolution sculpturale du sol breton permet de grouper plus rationnellement certaines des régions que M. Vallaux signale comme défavorables aux établissements humains je songe aux Toul, régions marécageuses, souvent noyées sous les eaux sauvages, aux vallées étroites ou Traon où bondissent les eaux courantes. Toul et Traon sont des modalités d'un même phénomène la jeunesse relative du réseau hydrographique qui draîne le territoire breton. Les Toul sont les régions où le drainage n'est point encore organisé parce que dans sa marche régressive d'aval en amont l'érosion des eaux courantes n'est point encore parvenue jusqu'à elles; les Traon sont les parties hautes des vallées déjà dessinées dans des roches dures; le travail des eaux courantes n'y a point encore épanoui pleinement son effort l'érosion a travaillé dans le plan vertical, mais n'a point encore travaillé dans le plan

(1) Sans doute on lit dans BARROIS (CH.), Des divisions géographiques de la Bretagne, Ann. de Géogr., VI (1897), p. 24 : « Deux pénéplaines adossées l'une à l'autre et à pentes respectivement tournées l'une vers le N. et l'autre vers le S. constituent pour le géographe le sol de la Bretagne ». Cette conception, qui nous paraît incomplète si elle n'est pas précisée et expliquée, aurait pu être discutée par M. Vallaux et justifiée par lui, s'il avait des arguments en sa faveur,

horizontal; la vallée a été gravée sur le sol comme au burin, elle n'a point encore été élargie par le sapement méthodique des versants. Ces idées ont été indiquées déjà par M. de Martonne et heureusement illustrées par lui au moyen d'une représentation perspective du massif granitique du Huelgoat, l'une des régions de Toul les plus curieuses de la Basse-Bretagne; indications et diagramme en bloc sont contenus dans un fascicule des Travaux du laboratoire de géographie de l'Université de Rennes, paru depuis 1904, et dont M. Vallaux ne fait pas mention dans son livre (1).

Quand on étudie le phénomène de la pluviosité, dont l'importance est grande pour les cultures, on admet, convaincu par les travaux de M. Angot, que c'est un phénomène complexe, fantasque si on se borne à l'observer pendant de courtes périodes. Il faut, pour en dégager les caractères essentiels, disposer de séries d'observations régulières faites dans des stations assez rapprochées les unes des autres pendant une période d'au moins vingt années. M. Vallaux se soustrait à cette convention, fondée d'ailleurs sur des expériences : sous prétexte (p. 19, n. 1) qu'au point de vue de la pluie l'année 1899 a été en Basse-Bretagne une année moyenne, l'année 1900 une année très pluvieuse et l'année 1901 une année très sèche, il fait reposer ses déductions sur ces trois années seulement. S'il avait eu recours à des moyennes de plus longue durée, il aurait constaté que le nombre des stations pluviométriques a été jusqu'à une époque récente tout à fait insuffisant en Basse-Bretagne. Dans ces conditions, sa carte des pluies (fig. 1, p. 16) ne suffit pas à étayer solidement les conclusions qu'il en peut tirer.

Quand l'auteur traite (p. 107 et sq.) de la répartition de la propriété, il considère comme petite propriété tout domaine comprenant 20 hectares au maximum, comme moyenne pro

(1) DE MARTONNE (E.) et ROBERT (E.), Excursion géographique en BasseBretagne (Monts d'Arrée et Trégorrois). Extrait du Bull. Soc. scient. et médic. de l'Ouest, t. XIII (1904), n° 2. L'explication morphogénique du relief breton et des côtes bretonnes a été esquissée par DE MARTONNE (E.), La pénéplaine et les côtes bretonnes, Ann. de Géogr., XV (1906), p. 213-236 et 299-328.

priété tout domaine de 20 à 50 hectares, comme grande propriété tout domaine d'une étendue supérieure à 50 hectares. La statistique agricole de la France choisit comme limites des trois groupes de propriété les chiffres de 10 et 40 hectares. M. Vallaux a relevé les chiffres adoptés par les statistiques officielles « à cause de la grande quantité d'incultes que la Basse-Bretagne renferme encore ». Mais puisqu'il se préoccupait de mettre en accord avec la nature même du pays le principe de sa classification, de rendre ainsi cette classification plus rationnelle, pourquoi n'avoir pas poussé ce souci jusqu'au bout? Somme toute, on peut considérer comme petite propriété tout domaine susceptible, lorsqu'il atteint son étendue maxima, d'être cultivé par le propriétaire aidé de sa famille et capable de subvenir aux besoins de cette famille. On conçoit qu'avec cette définition la limite supérieure de la petite propriété puisse varier non seulement avec la plus ou moins grande fertilité du sol, mais aussi suivant la plus ou moins grande perfection des méthodes d'exploitation du sol, et aussi suivant le prix de la vie. Ce principe de classification, complexe sans doute, me paraît cependant le seul susceptible de conduire à des conclusions intéressantes; il importe moins de savoir combien il y a, dans une région, de propriétés d'une étendue de 20 hectares et moins, que de dénombrer et de localiser dans cette région les hommes chez qui se trouvent étroitement associés le capital et le travail.

L'auteur a senti l'intérêt qu'il y avait à déterminer les chiffres des salaires. Mais d'abord il a cité ces chiffres, sans indiquer avec précision comment avaient été établis les salaires moyens qu'il adoptait. Puis il a disséminé les chiffres des salaires moyens à travers plusieurs chapitres; au lieu de les grouper en un faisceau compact, il les a en quelque sorte noyés un à un dans la masse d'autres détails relatifs à chacune des professions étudiées. Réunis en un chapitre unique, les chiffres de salaires moyens auraient pu être rapprochés d'autres chiffres moyens exprimant le prix de la vie. M. Vallaux nous aurait ainsi mieux montré à quel rang social il faut placer les travailleurs de la ville et des champs en Basse-Bre

tagne. Nous aurions eu, pour une région, une de ces monographies encore rares qui en se multipliant permettront d'édifier quelque jour l'histoire de la vie sociale de notre époque.

Le propre des démonstrations géographiques est qu'elles peuvent toujours être illustrées par des croquis cartographiques. Le chapitre XI, qui est consacré aux villes, aux routes et aux échanges, aurait été plus géographique encore si l'auteur y avait introduit des cartes d'isochores et d'isochrones. Il aurait pu choisir un ou plusieurs points importants, soit des noeuds de routes, soit des régions de forte densité de population, tracer par rapport à ces points des courbes d'égale distance, et joindre par de nouvelles courbes les lieux inégalement distants dans l'espace des points d'origine, mais également distants de ces mêmes points, si on mesure la distance non plus au moyen de l'espace, mais au moyen du temps. Ce genre de représentation cartographique aurait permis de voir dans quelle mesure les relations sont faciles entre les différentes régions de la Basse-Bretagne, comment elles se sont améliorées au cours du XIXe siècle, jusqu'à quel point les moyens de communication favorisent le mélange des hommes.

La carte des limites naturelles de la Basse-Bretagne (fig. 5, p. 57) paraît indiquer que, du côté du continent, ces limites ne sauraient être représentées par une ligne, mais qu'elles doivent être imaginées comme une zone. Cette zone est celle qui renferme l'isohyète annuelle de 750 m/m, la limite occidentale des dialectes bretons, la limite orientale des dépôts abandonnés au miocène par la mer des faluns dans la région de Dinan, Rennes et Redon (1). On ne saurait nier a priori que ces critères soient ceux qu'il faille employer pour tracer à la

(1) Sur la limite orientale du breton en Bretagne on pourra consulter SÉBILLOT (PAUL), La langue bretonne, limites et statistiques, Revue d'ethno graphie, V (1885), p. 1-29, 1 pl. carte à 1/1.200.000, en attendant le travail que prépare sur un sujet analogue M. Loth, doyen de la Faculté des Lettres de l'Université de Rennes; sur la limite occidentale des dépôts faluniens en Bretagne : DOLLFUS (GUSTAVE-F.), Des derniers mouvements du sol dans les bassins de la Seine et de la Loire, C. R. du VIIIme Congrès géologique international (Paris, 1900), p. 544-560, 1 pl. carte à 1/2.000.000. Carte des gisements néogènes du Nord-Ouest de la France.

Basse-Bretagne des limites naturelles du côté du continent. Mais l'auteur a omis d'établir que ces critères étaient, pour cet objet, nécessaires et suffisants. Il a oublié aussi de nous indiquer d'où il avait tiré chacun de ces trois critères; si le tracé de l'isohyète annuelle de 750 m/m repose uniquement sur les moyennes des trois années 1899, 1900, 1901, ce tracé devient contestable. Pour chacun des deux autres critères adoptés les références seraient utiles au lecteur, et elles prouveraient en outre de la part de l'auteur la pratique constante d'une rigoureuse méthode critique.

Ces réserves, qui sont en majorité des réserves de détail, n'enlèvent rien aux qualités de finesse et d'ingéniosité répandues dans tout ce livre. A tous ceux qui le liront, il donnera, je l'espère, une idée de ce que sont les études de géographie humaine par les connaissances précises de géologie, de climatologie, de botanique sur lesquelles elles se fondent, par les recherches d'archives, les enquêtes sur place, les lectures de statistique qu'elles supposent, par la nécessité où elles se trouvent de bien localiser les faits qu'elles expliquent, elles constituent une discipline infiniment complexe, encore neuve, et vraiment scientifique. La science n'en bannit pas la poésie : dans l'histoire de cette lutte anonyme et collective des humanités avec la nature, dans cette histoire que vient renouveler et diversifier sans cesse l'effort jamais lassé des générations successives, on peut bien dire qu'on sent passer parfois comme un souffle d'épopée.

« PrécédentContinuer »