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Que, tout d'abord, l'auteur ne soit pas un des premiers moines de Redon, la chose est évidente. Au temps où vivaient Conwoion et ses compagnons l'auteur était un enfant. Il éprouve pour les saints personnages qui l'ont élevé dans la crainte de Dieu une admiration et un respect profonds (1). Beaucoup sont morts, Conwoion, Fidweten, Tetwio, Doethen, etc. (2). Le dessein de l'auteur en prenant la plume c'est que ses « frères très chers » gardent le souvenir des belles actions de ces grands hommes (3).

Il ne manque pas de reproduire la date de leur obit. Malheureusement il juge inutile de donner la date d'année. Sa négligence peut être en partie réparée par l'examen des chartes de l'abbaye de Redon.

On n'a pas remarqué, en effet, que presque tous les <«< saints » y figurent comme témoins ou donateurs, ce qui nous permettra d'établir le terminus a quo, la date à partir

(1) Préface du livre II: « cum præsertim illos viros sanctos noverim » qui me a pueritia nutrierunt atque in scientia Dei educaverunt; nec debeo >> reticere quæ ab eis vidi vel audivi. » (Mabillon, op. cit., p. 205). L'auteur fut guéri d'une rage de dents par Fitweten alors qu'il était juvenculus (1. II, c. 5, p. 208). Il a été témoin du miracle de l'aveugle venu d'Ampen en Poitou, guéri par Conwoion dont il se dit le serviteur: « testor vobis, >> fratres carissimi, quia ego eram illo tempore illius sancti minister, » dixitque mihi ille sanctus : « vade ad domum pauperum, etc. » (1. II, c. 1, p. 204) Il a porté le corps du saint homme Tetwio (c. 8, p. 210).

(2) La liste des premiers saints donnée par notre auteur (Mabillon, loc. cit., p. 193-194) doit être complétée avec une notice du Cartulaire de Redon, éd. Aur. de Courson, p. 353-354.

(3) L'auteur aurait-il eu des prédécesseurs? M. Levillain (Moyen-Age, 1902, p. 242) semble le croire; il invoque le prologue du Livre III (« multa » mirabilia et multas virtutes per eos Dominus dignatus est longe lateque ubique demonstrare, quæ omnia prætermissa sunt et pæne oblivioni tra» dita propter negligentiam et incuriam scriptorum. Nobis autem visum est, >> auxiliante Domino nostro Jesu Christo, pauca ex eisdem virtutibus vobis, >> fratres carissimi, ut vires prævaluerint intimare) » et ajoute : << Il y avait » donc des recueils de miracles incomplets, ce qui laisse à penser que cet >> auteur écrivait assez postérieurement aux événements dont il parle. C'est » sans doute pour cela qu'on recule la rédaction des Gesta jusque vers 890. » L'auteur a en vue ici non Conwoion et ses compagnons, mias les SS. Hypothème et Marcellin, dont les reliques furent apportées à Redon vers 840 et 847. Il devine qu'on s'étonne que ces corps saints n'aient provoqué aucun miracle notable. Il en rejette la responsabilité sur l'incurie de scriptores (imaginaires) qui ont privé la postérité du récit des « nombreux miracles »> accomplis par ces reliques : il va réparer cette omission grace à la tradition orale. Je ne vois vraiment dans cette phrase qu'un artifice de style.

de laquelle notre auteur a commencé à rédiger, et aussi, nous le verrons, le terminus ad quem au delà duquel il est invraisemblable qu'il ait écrit.

Tout d'abord il a survécu à Conwoion dans la préface du livre III il annonce le dessein de raconter la fin du saint abbé (1). Or celui-ci est mort le 5 janvier 868 (2). Son œuvre est donc postérieure à cette date. Et celle-ci trouve sa confirmation dans le récit de la mort de Fidweten « moine et prêtre », décédé un 11 décembre (3). Ce personnage est, en effet, le Finitweten, inoine de Redon, qui souscrit un grand nombre de chartes de cette abbaye en faisant suivre son nom du mot « presbyter ». On le voit pour la première fois le 19 janvier 839 (4). Il figure encore comme témoin le 18 mai 864 (5), enfin le 23 janvier 867 (6). Passé cette époque il disparaît. Sa mort étant du 11 décembre, est au plus tôt du 11 décembre 867. Les Gestes des saints de Redon ne sauraient donc être antérieures à 868 (7).

(1) « Sed et de transitu sancti Conwoionis abbatis et confessoris Christi »> ex hoc munde sermo nobis dandus est, quia ipse sanctus pater fundator » et constructor sancti Rotonensis loci ab initio exstitit et usque ad summum » perfecte dixit, etc. » (Mabillon, Acta Sanct., sæc. IV, II, p. 214.) La mort de Conwoion devait former la conclusion de l'ouvrage. Ce récit ne nous est point parvenu, le manuscrit original dont dérive l'unique copie conservée (Bibl. Nat., ms. nouv. acquis. lat. 662, XIe siècle) ayant été mutilé juste à cet endroit (cf. plus bas).

(2) Cette date a été établie par M. de la Borderie dans les Annales de Bretagne, V, 611.

(3) Livre II, c. 5, dans Mabillon, op. cit., p. 208.

(4) Cartulaire de Redon, no CXLVIII, p. 113; cf. La Borderie dans Annales de Bretagne, XIII, 18-19. Fidweten venait d'entrer à Redon sur l'ordre de Nominoé qui l'avait adressé à Conwoion, fondateur récemment (nuper) d'un monastere au lieu dit Roton. Voy. Gesta sanct. Roton., 1. II, c. 5, p. 207. Voy. encore les nos LX, LXXXIV, CLX, CCXX, CCLI, CCLXV, qui s'échelonnent de 840 à 862.

(5) Ibid., nos LIV, LV, CXLIX, p. 44, 115; cf. La Borderie dans Annales de Bretagne, XIII, 19.

(6) Ibid., no CLXXIII, p. 134.

(7) Les renseignements fournis par les souscriptions de Tetwio, Condeloc, Conhoiarn, Iarnhitin, etc., étant peu explicites, nous jugeons inutile d'en parler. La mention (1. III, c. 8) de l'évêque de Rennes Electramnus, atteste, en outre, que l'œuvre est postérieure au 29 septembre 866, date de la consécration à Tours de ce personnage (voy. dom Quentin dans le Moyen-Age, 1904, 102-114.

Leur composition ne saurait être, non plus, très postérieure à cette date et de l'extrême fin du IXe siècle.

Je remarque en effet que :

1o Le troisième successeur de Conwoion, l'abbé Liver (Liberius, Liber, Liver), qui apparaît pour la première fois le 3 mai 878 (1) et pour la dernière le 1er août 888 (2), successeur de Liosic, encore abbé le 24 avril 876 (3) est certainement le même que le moine et prêtre de ce nom qui figure dans une série de chartes de Redon, depuis 840-845 environ (4) jusqu'au 8 janvier 876, dernière charte de date certaine où il souscrive comme moine (5). Dans un autre acte, de 874-877, il représente en justice, avec le prévôt et le doyen, la communauté de Redon (6) dont il est visiblement un des personnages les plus importants (7); cette notice ne faisant mention d'aucun abbé, il semble vraisemblable que l'enquête qu'elle rapporte ait lieu pendant l'interrègne, vers 877, entre la mort de Liosic et l'avènement de notre Liver, lequel se trouva ainsi, parmi ces représentants de l'abbaye, le plus heureux des trois.

A nous en tenir au Cartulaire de Redon nous ne saurions rien de plus sur ce personnage. L'auteur des Gesta n'en parle qu'une fois, mais précisément pour nous donner un renseignement intéressant. L'abbaye de Redon dut principalement son existence à un seigneur breton, le machtiern Ratvili qui, entre autres domaines, fit don à Conwoion et à ses compagnons

(1) Cartulaire de Redon, no CCXXXVIII, p. 186.

(2) Ibid., no CCXXXIX, p. 187.

(3) Voy. La Borderie dans les Annales de Bretagne, V, 621.

(4) Nos XX, XXV, XXVII, XXXV, LXIX, LXXXIV, LXXXVII, XCV, XCVIII, CXXI, CXXXIV, CLXI, CLXXXVIII, CCXIII, CCXXI, CCXXIV.

(5) N° CCLX, p. 210 : « Liberius monacus testis qui hanc epistolam scripsit, testis. »; il a rédigé une donation du prince Pascweten.

(6) Cartulaire de Redon, no CCLXI, p. 211. Il s'agit d'une protestation auprès de Pascweten des colons de l'abbaye résidents à Bains. «< Isti sunt monachi qui venerunt: Wetenoc prepositus monachorum, Leomelus decanus, Liberius monachus. >>

(7) Dans des actes de 868 et 867-870 (nos CCXXI et CCXXIV, p. 171, 173), Liver souscrit des premiers après l'abbé Ritcant. En 861 ou 867, il apparaît avec Leuhemel comme missus des moines (nos LXXXVII, XCV, p. 65, 71); le 30 janvier 866, il est le premier nommé des « missi monachorum »> (no XCVIII, p. 75), etc.

du lieu même de Roton, où s'éleva l'abbaye (juin 832) (1). Deux ans après, étant tombé malade, il se fit porter sur une litière devant l'autel du Sauveur et se fit moine; à cette occasion il offrit au monastère un de ses fils qui l'avait accompagné : ce fils s'appelait Liberius (2). Il ne me paraît pas douteux que c'est le moine dont nous venons de parler.

Or il est remarquable que l'auteur des Gesta, alors qu'il donne la date de l'obit de Ratvili, n'en fasse pas autant pour Liberius. La raison bien simple c'est que celui-ci est encore vivant, ce qui place la composition des Gesta avant le 8 novembre 888 (3). Il est non moins remarquable qu'on ne dise point que ce fils du fondateur devint plus tard abbé et successeur de Conwoion, chose que l'auteur n'eût point manqué de faire, cela me paraît évident, si le fait se fût produit au moment où il tenait la plume. Je propose donc pour la composition des Gesta une date antérieure à 877-878, époque de l'élévation de Liver au siège abbatial de Redon.

2o Cette date trouve un point d'appui dans une autre observation. Il est deux des premiers « saints » de Redon dont l'obit n'est point mentionné, Guencalon et Leuhemel. Chose étrange évidemment, car l'auteur donne l'obit de personnages moins intéressants (4) pour Leuhemel surtout, le bras droit de Conwoion, l'infatigable prévôt dont la main se retrouve dans toutes les affaires du monastère, l'omission serait singulière. Il n'y a qu'une explication possible ces deux personnages sont encore vivants au moment où écrit l'auteur. L'existence de Guencalon est attestée jusqu'au 14 mai 878 (5) pour le moins, celle de Leuhemel jusqu'en 874-877, même

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(2) L'auteur des Gesta est seul à donner ce détail (1. I, c. 4, p. 195-196) qui manque dans les notices de Ratvili (Cartulaire, nos III et IV) dont il s'inspire cependant.

(3) C'est à cette date, en effet, qu'apparaissait Foucroy, successeur de Liver voy. La Borderie dans Annales de Bretagne, V, 621).

(4) Ainsi celui du jardinier Condeluc 4. II, c. 3), du « scriptor » Doethgen (1. II, c. 6), du moine Brithoc, étranger à l'abbaye (1. III, c. 3).

(5) Cartulaire de Redon, no CCXXXVI, p. 185; cf. La Borderie dans Annales de Bretagne, XIII, 273. Ce personnage figure dans une douzaine d'autres actes depuis 832.

877 si l'on accepte notre hypothèse, émise plus haut (1), sur la date de la notice n° CCLXI.

Je remarque enfin que l'auteur qualifie à deux reprises Charles le Chauve de « roi des Francs (2) » et non d'« empereur », et cependant il est formaliste et donne son titre à Louis le Pieux. Il a donc écrit avant que la nouvelle du couronnement impérial du 25 décembre 875 fût parvenue à Redon. Postérieure à janvier 868, son œuvre serait donc antérieure à janvier-février 876 (3), peut-être plus proche de la première date que de la seconde (4),

(1) Page 4.

(2) Ainsi (1. III, c. 5 et 9).

(3) Enfin, parlant de l'hospitalité que reçut à Redon l'abbé de Glanfeu'l, Josselin (1. III, c. 5), l'auteur n'eût point manqué, semble-t-il, de signaler que ce personnage devint évêque de Paris, s'il eût écrit postérieurement à sa consécration qui eut lieu au début de 884 (voy. Favre, Eudes roi de France, p. 27, note 2).

(4) On peut, en effet, invoquer un argument pour placer la composition des Gesta au lendemain même de la mort de Conwoion. L'auteur (1. I, c. 8) parlant de Leuhemel le qualifie de præpositus. Or Leuhemel, qui succéda dans cette charge à Cumdelu (no CXXIV, de 832-840) et Tribodu (nos CXCII, CLXXXIII, app. XI, CLXII, XXII, 833-868, 27 nov. 834-24 janvier 838, 2 juillet 844, 7 déc. 854, 15 déc. 854), comme le montrent les chartes XXIII, XXIX, LVI, LXII, LXXII, LXXV, CX, qui vont de 859 env. à 'a fin de 866, ne la garda point après la mort de Conwoion. En effet : 1o l'acte CLXXIV où il figure en qualité de prévôt est du 14 février 864 et non 869 (voy. La Borderie dans Annales de Bretagne, XIII, 28); 2o dans le n° CCVIII (867-871) et CCXXXIII (25 août 870) on voit écrit Leuhemel prepositus, mais dans des phrases relatant un fait passé, le personnage souscrivant simplement ici monachus; 3o d'autres moines apparaissent exerçant cette fonction: Iunwal le 7 août 868 (no CCXXXI), le 3 février 867-870 (n° CCXXIV); Guethenoc les 5 février et 25 août 870 (nos CCXXXIII, CCXXXIV) et en 874877 dans l'acte (CCLXI) cité plus haut (p. 4, note 6) où Leuhemel paraît, pour la dernière fois, après lui, avec le titre de decanus; Tanetwoion le 2 nov. 872 (no CCLIV). L'acte du 5 février 870 (n° CCXXXIV) contient au surplus cette phrase Leuhemel qui tunc hospitale pauperum providebat et dans les souscriptions, après celle de Guetenoc, vient Leuhemel supradicti hospitalis pauperum magistri. Il paraît donc probable que L. a résigné ses fonctions à la mort de Conwoion (5 janvier 868). Peut-être même le fit-il avant, car un acte (no CCVII) du 8 avril 866 (?) nous montre comme représentants de l'abbaye Vinwal prepositus et Guetenoc, alors simple moine : ce Vinwal est évidemment le même que le prévôt Iunwal dont on vient de parler. Mais ce qui surprend, c'est qu'à la fin de cette même année 866, le 22 déc., Leuhemel était redevenu prévôt (no LXVI). Les fonctions de prévôt auraientelles été confiées tantôt à l'un tantôt à l'autre, comme le montreraient cet exemple et aussi l'alternance Guethenoc et Tanetwoion? C'est peu admissible. Quoi qu'il en soit, le critère tiré de l'appellation prepositus donnée à

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