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n'était pas gauche à plaisir et ne cassait pas par piété les pieds de ses figures. Personne n'eut un dessin plus fin, plus pur, plus élégant, plus soigneux des extrémités. Il rappelait sous ce rapport Amaury-Duval et Flandrin. Il disait qu'il fallait baptiser l'art grec et le faire agenouiller sous l'arceau byzantin ou l'ogive gothique, et nul ne tint plus fidèlement ce programme difficile. Ses types de tête ont une onction, une candeur et une spiritualité qu'on ne rencontre guère aujourd'hui dans les œuvres, d'ailleurs pleines de mérite, consacrées à la décoration des églises. Gabriel Tyr s'est rarement montré aux expositions. Un Christ enfant au Salon de 1849, moment peu favorable à la peinture mystique, quelques portraits de l'Ange gardien conduisant l'âme au ciel à travers les épreuves de la vie, sont à peu près tout ce que le public a pu voir de lui. La peinture murale dans des églises ou des couvents éloignés de Paris, foyer de toute réputation, l'a absorbé tout entier. Sur ces longues parois silencieuses il a déroulé de pieuses et séraphiques compositions, tendres et claires de ton comme les peintures à l'eau d'œuf ou les gouaches des missels sobrement rehaussées d'or, où sous les dalmatiques et les robes d'azur du Fiesole on devine la beauté des formes antiques dépouillées de leur sensualisme. Ses dernières fresques sont aux Chartreux de Lyon et aux Jésuites de Villefranche, dans la chapelle de Montgré.

(LE MONITEUR, 24 février 1868.)

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M. Simart, l'une des gloires de la statuaire française, mourut par une fatalité vulgaire, à la suite d'un accident qui pouvait parfaitement bien ne pas arriver, — un accident d'omnibus. Supposez que la voiture eût porté ce jour-là l'écriteau « complet », l'artiste continuait son chemin à pied et vivrait encore pour faire de belles œuvres, car il était dans la force de l'âge, - quarante-neuf ou cinquante ans au plus, et rendu robuste par ce

dur métier de la statuaire.

Raconter maintenant la vie d'un artiste, ce n'est autre chose qu'analyser ses idées, marquer sa place intellectuelle parmi ses contemporains et donner le catalogue de son œuvre; l'individu disparaît, l'idée seule se dégage.

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Quand nous aurons dit que M. Simart est né à Troyes en Champagne, vers 1808 ou 1807, nous ignorons la date précise, qu'il a étudié successivement sous Dupaty, Cortot et Pradier, obtenu le prix de Rome en 1837 avec Ottin, qu'il a été fait chevalier, puis officier de la Légion d'honneur, et enfin membre de l'Institut, nous

aurons tracé le cadre de cette existence honorable et bien remplie, et nous pourrons étudier sans être plus distrait par ces détails, le caractère, le sens et la portée de l'artiste.

Ce qui distingue M. Simart dans cette époque de doute et de trouble, c'est l'unité singulière du talent. Chez lui on n'aperçoit aucune trace d'hésitation; dès le commencement il vit le but et il y tendit d'un effort invariable. -Ce but, disons-le tout de suite, était la perfection grecque, le classique le plus pur (bien différent du goût académique avec lequel on affecte de le confondre). — Le dieu de M. Simart, et nous concevons cette idolâtrie, était Phidias; et pour lui la statuaire n'avait eu que des variétés de décadence depuis le grand siècle de Périclès. Il s'enferma en pensée sur le plateau de l'Acropole et n'en voulut jamais descendre. - Un statuaire ne saurait mieux choisir sa patrie idéale, car les Grecs resteront toujours les maîtres divins du marbre comme ils le sont de la poésie et comme ils l'étaient sans doute de la pein

ture.

Dėjà, dans l'atelier de Dupaty, le jeune Simart s'était assimilé les formes, les attitudes, les jets de draperie de la statuaire antique, non par un plagiat servile, mais par une assimilation naturelle. Il enveloppait les fragments imités ou copiés de ce contour élégant, flexible, dégagé de détails se continuant de la tête aux pieds, dont Flaxmann dessinait ses compositions de l'Iliade et de l'Odyssée; déjà, comme plus tard, l'artiste se préoccupait plus de l'harmonie générale, du rhythme des lignes, de la pureté des profils que de l'étude des morceaux. Il était, qu'on nous permette cette distinction essentielle, plus statuaire que sculpteur. Il sacrifia toujours la vérité de détail, le grain de la peau, le frisson de l'épiderme, le tressaillement de la vie, tout le caprice et le ragoût du

ciseau, à une sorte de sérénité limpide et blanche dont l'art antique est le plus pur modèle. Il n'acceptait la forme humaine qu'idéalisée, régularisée, pour ainsi dire, dégagée de tout accident vulgaire et ramenée à un type préconçu; ainsi il fit des statues plutôt que des corps de marbre, comme beaucoup d'artistes que nous sommes loin d'ailleurs de blâmer. L'effet produit par ses œuvres résulte principalement de la composit on de la figure arrangée et balancée d'après ces mathématiques de l'attitude dont les Grecs avaient le secret tant cherché depuis. M. Simart n'avait pas cette fièvre d'originalité à tout prix qui a tant tourmenté certains talents de notre époque, noble inquiétude après tout et qui nous a valu bien des œuvres remarquables! Le beau lui suffisait, ne fût-il pas neuf; et, au risque de tomber quel quefois dans le poncif, comme on dit en argot d'atelier, il adoptait les grandes divisions du corps humain, les poses favorites, les façons de faire piéter ou trancher une figure, le style et le jet de draperie des anciens : selon lui, l'art ne pouvait trouver mieux, et s'éloigner de ces types divins c'était s'exposer à errer. de classiques eurent sans doute ces principes, mais ils ne possédaient pas comme Simart ce sentiment fin et pur de l'antiquité, cette grâce aisée et charmante dans l'imitation. Il y a entre eux et lui la différence qui existe entre les gracieux fragments grecs d'André Chénier et le fatras mythologique de Lebrun-Pindare. Cette adoration de l'antiquité est d'autant plus remarquable qu'à cette époque les hordes romantiques tatouées de couleurs vives. et poussant des cris sauvages assaillaient la blanche citadelle grecque, gardée par quelques pauvres vieux dieux invalides à perruque de marbre, qu'elles jetaient pardessus les remparts en riant aux éclats, aux grands applaudissements des rapins et de la foule; mais Simart,

Beaucoup

fort de sa foi païenne en Jupiter, Apollon, Vénus, Minerve et autres divinités de Phidias, ne s'emut nullement du tumulte des barbares et ne s'affilia pas aux nouvelles religions. Il regarda une heure de plus chaque jour la Vénus de Milo, les Panathénées du Parthenon, la Femme dénouant sa sandale, le torse du Thésée, les divines figures décapitées par les bombes vénitiennes, et les guerriers du fronton d'Égine, n'admettant pas que rien eût existé depuis l'an 450 avant Jésus-Christ.

Il exposa vers 1833 un buste de Gustave Planche, dont nous n'avons pas gardé souvenir, mais l'Oreste à l'autel de Minerve qu'il envoya de Rome fixa sur lui l'attention publique. C'était un morceau très-élégant, très-fin, trèspur de style; le torse d'Oreste s'évanouissant au pied de l'autel, si on l'eût trouvé dans des fouilles, eût pu passer pour une œuvre du bon temps de la statuaire grecque. L'auteur a fait depuis aussi bien, mais non pas mieux.

La perfection de cette statue inspira aux classiques en désarroi l'idée de se servir de Simart pour l'opposer aux romantiques comme ils firent d'Ingres, malgré la haine qu'ils nourrissaient contre lui; car ils n'étaient pas en état de comprendre et d'aimer réellement deux talents si sobres, si purs et si véritablement grecs. Puisque nous avons prononcé le nom d'Ingres, disons que Simart ressentait à l'endroit de ce grand maître un amour, une admiration et un respect qui ne se sont jamais démentis. Ingres, de son côté, professait une haute estime pour Simart, et le louait en toute rencontre, et l'on sait combien l'artiste austère est sobre de pareils témoignages.

Simart, quoique apprécié des romantiques, qui aiment beaucoup l'art grec s'il: haïssent l'art académique, fut donc très-vanté, très-poussé, très-prôné par le parti contraire, par les soi-disant fanatiques de l'antiquité, qui ne sont pas capables de discerner une statue grecque

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