Images de page
PDF
ePub

Elle arrache, en fuyant, les restes de sa vie
Aux coups du sacrificateur.

Il est une jeune déesse,

Plus agile qu'Hébé, plus fraîche que Vénus:

Elle écarte les maux, les langueurs, la faiblesse;
Sans elle la beauté n'est plus;

Les Amours, Bacchus et Morphée

La soutiennent sur un trophée

De myrte et de pampres

orné,

Tandis qu'à ses pieds abattue
Rampe l'inutile statue

Du dieu d'Épidaure enchaîné.

Ame de l'univers, charme de nos années,
Heureuse et tranquille SANTÉ,

Toi qui viens renouer le fil de mes journées,
Et rendre à mon esprit sa plus vive clarté,
Quand, prodigues des dons d'une courte jeunesse,
Ne portant que la honte et d'amères douleurs
A la trop précoce vieillesse,

Les aveugles mortels abrègent tes faveurs,
Je vais sacrifier dans ton temple champêtre,
Loin des cités et de l'ennui.

Tout nous appelle aux champs; le printemps va renaître, Et j'y vais renaître avec lui.

Dans cette retraite chérie

De la sagesse et du plaisir,
Avec quel goût je vais cueillir
La première épine fleurie,

Et de Philomèle attendrie

Recevoir le premier soupir!
Avec les fleurs dont la prairie
A chaque instant va s'embellir,

Mon ame, trop long-temps flétrie,
Va de nouveau s'épanouir,

Et, loin de toute rêverie,

Voltiger avec le zéphyr,

Occupé tout entier du soin, du plaisir d'être,
Au sortir du néant affreux,

Je ne songerai qu'à voir naître
Ces bois, ces berceaux amoureux,
Et cette mousse et ces fougères
Qui seront, dans les plus beaux jours,
Le trône des tendres bergères,
Et l'autel des heureux amours.

[blocks in formation]

Quel feu! tous les plaisirs ont volé dans mon ame.
J'adore avec transport le céleste flambeau ;
Tout m'intéresse, tout m'enflamme;

Pour moi l'univers est nouveau.

Sans doute que le dieu qui nous rend l'existence A l'heureuse convalescence

Pour de nouveaux plaisirs donne de nouveaux sens

A ses regards impatients

Le chaos fuit, tout naît, la lumière commence,

Tout brille des feux du printemps.

Les plus simples objets, le chant d'une fauvette,
Le matin d'un beau jour, la verdure des bois,
La fraîcheur d'une violette,
Mille spectacles qu'autrefois

On voyait avec nonchalance, Transportent aujourd'hui, présentent des appas Inconnus à l'indifférence,

Et

que la foule ne voit pas.

Tout s'émousse dans l'habitude;

L'amour s'endort sans volupté;

Las des mêmes plaisirs, las de leur multitude,
Le sentiment n'est plus flatté;

Dans le fracas des jeux, dans la plus vive orgie,
L'esprit, sans force et sans clarté,

Ne trouve que la léthargie

De l'insipide oisiveté.

Cléon, depuis dix ans de fêtes et d'ivresse,

Frais, brillant d'embonpoint, ramené chaque jour

Entre la jeunesse et l'amour,

Dans le néant de la mollesse

Dort et végéte tour-à-tour.

Lisis, depuis long-temps plongé dans les ténèbres

Entre Hippocrate et les ennuis,

Libre de leurs chaînes funèbres,

Vient de quitter enfin leurs lugubres réduits.

138

ÉPITRE A MA SOE U R.

Observez-les tous deux dans une même fête :
Cléon n'y paraîtra que distrait ou glacé;
Tout glisse sur ses sens, nul plaisir ne s'arrête
Au fond de son cœur émoussé :

Tout charmera Lisis; cette nymphe est plus belle,
Cette sirène a mieux chanté,

D'un plus aimable feu ce champagne étincelle,
Ces convives joyeux sont la troupe immortelle,
Cette brune charmante est la divinité.

Cléon est un sultan, qu'un bonheur trop facile
Prive du sentiment, des ardeurs, des transports:
En vain de cent beautés une troupe inutile
Lui cherche des désirs: infructueux efforts!
Mahomet est au rang des morts.
Lisis, dans ses ardeurs nouvelles,
Est un voyageur de retour;

Éloigné des jeux et des belles,

Le plus triste vaisseau fut long-temps son séjour :
Il touche le rivage; à l'instant tout l'invite;
Et pour Lisis, dans ce beau jour,

La première Philis des hameaux d'alentour
Est la sultane favorite,

Et le miracle de l'amour.

L'ABBAYE,

Épître à M. le Chevalier DE CHAUVELIN, alors à l'armée de Westphalie, sur l'élection d'un

moine abbé.

1741.

Facit indignatio versum. JuVÉNAL.

D'UNE taverne monacale

Où tout fermente en ce moment

Pour la patente abbatiale

Et le premier bât du couvent,

Très indifférent que l'on nomme

Dom Luc, dom Priape, ou dom Côme,
Rempli d'un plus cher souvenir,
Dans la longue mélancolie

De ta fangeuse Westphalie,
Ami, je viens t'entretenir;
Et, malgré les ennuis extrêmes
Où tes beaux jours sont arrêtés,

Mon amitié dans ces lieux mêmes

Voit le plaisir à tes côtés.

Tandis que de l'urne fatale

Va sortir le destin brillant

De l'automate révérend

« PrécédentContinuer »