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A M. DE LASSÉRÉ.

A ne juger du mérite de l'épître nouvelle * qu'en qualité d'ouvrier, peut-être lui donnerai-je moins de louanges: elle est plus négligée que les deux autres pièces que j'ai admirées du même auteur; mais à cela près on reconnaît la même main et le même génie, c'est-à-dire, l'un des plus heureux et des plus beaux qui aient jamais existé. Il serait fâcheux que la trempe en fût altérée par le mauvais exemple de quelques petits esprits d'aujourd'hui, qui comptent l'exactitude et la régularité pour rien, comme s'il pouvait y avoir de la différence entre faire de bons vers et les faire bien, et que pécher contre la rime en français ne fût pas la même chose que pécher contre la quantité en latin. Cette fausse maxime des génies paresseux ou impuissants doit être proscrite chez les génies aussi supérieurs que celui de notre jeune auteur. Ce n'est point une excuse de dire qu'on ne fait des vers que pour son plaisir : c'est pour le plaisir des lecteurs qu'on en doit faire; et ce plaisir n'est point complet, quand on peut s'apercevoir qu'il manque quelque chose à la façon. Il ne suffit pas qu'une boîte soit d'or, et que le dessin en soit neuf et agréable, il faut qu'elle soit finie et achevée dans toute sa perfection. Cet air facile qui fait le mérite d'un ouvrage ne consiste point dans l'inobservation des règles au contraire, cette inobservation ' fait voir l'impuissance où l'on est de surmonter les difficultés de l'art; et je ne veux point d'autre preuve de ma proposition, que les vers mêmes de notre aimable auteur, dont les plus corrects sont sans doute ceux où il règne un plus grand air de facilité. En un mot, le seul moyen ★ Les Adieux.

de faire des vers faciles, c'est de les faire difficilement; et si vous ne m'en croyez pas sur ma parole, vous en conviendrez avec notre maître Horace, dont voici les propres

termes :

Nec virtute foret clarisve potentius armis,

Quàm linguâ, Latium, si non offenderet unum-
quemque poetarum limæ labor, et mora. Vos, ô
Pompilius sanguis, carmen reprehendite quod non
Multa dies et multa litura coercuit, atque

Præsectum decies non castigavit ad unguem.

Tâchez, mon cher monsieur, de lui inspirer cette maxime, sans lui dire qu'elle vienne de moi; car les conseils d'un homme inconnu ne seraient peut-être pas aussi bien reçus que les vôtres, quoiqu'ils ne partent que du zèle sincère que j'ai pour sa gloire et pour sa réputation, qui m'est aussi chère que la mienne propre.

Remerciez bien, je vous prie, monsieur l'évêque de Luçon de la bonté qu'il a eue de me communiquer par vos mains ces deux dernières épîtres *, que j'ai déjà lues trois fois depuis vingt-quatre heures qu'il y a que je les ai reçues, et où je ne me lasse point d'admirer le génie surprenant et la riche fécondité qui les a produites. Si le Ver-Vert, qui est imprimé, vous tombe entre les mains, vous me ferez grand plaisir de me l'envoyer, car je ne le possède point en propre. Selon moi, cet ouvrage a sur ses cadets l'avantage de l'invention, et même celui de l'exactitude. C'est un véritable poëme, et le plus agréable badinage que nous ayons dans notre langue.

* Les Ombres et les Adieux.

ODE

ADRESSÉE A GRESSET

PAR FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.

DIVINITÉ des vers et des êtres qui pensent,
Du palais des esprits, d'où partent tes éclairs,
Du brillant sanctuaire où les humains t'encensent,
Écoute mes concerts.

Rien ne peut résister à ta force puissante :
Tu frappes les esprits, tu fais couler nos pleurs;
Ton éloquente voix, flatteuse ou foudroyante,
Est maîtresse des cœurs.

Tes

rayons lumineux colorent la nature;

Ta main peupla la mer, l'air, la terre et les cieux;
Pallas te doit l'égide, et Vénus sa ceinture;
Tu créas tous les dieux.

Sous un masque enchanteur, la fiction hardie
Cacha de la vertu les préceptes charmants;
La vérité sévère en parut embellie,

Et toucha mieux nos sens.

Σ

ODE ADRESSÉE A GRESSET

T'u chantas les héros : ton sublime génie,
En son immensité bienfaisant et fécond,
Relevant leurs exploits, embellissant leur vie,
Les fit tout ce qu'ils sont.

Auguste doit sa gloire à la lyre d'Horace;

Virgile lui voua ses nobles fictions:

Séduits par

leurs beaux vers,

De ses proscriptions.

les mortels lui font grace

Tandis qu'appesantis, vaincus par la matière,
Les vulgaires humains, abrutis, fainéants,
Végètent sans penser, et n'ouvrent la paupière
Que par l'instinct des sens;

Tandis que des auteurs l'éloquence déchue
Coasse dans la fange au pied de l'Hélicon,
Se déchire en serpent, ou se traîne en tortue
Loin des pas d'Apollon :

O toi, fils de ce dieu, toi nourrisson des Graces,
Tu prends ton vol aux lieux qu'habitent les neufs sœurs;
Et l'on voit tour-à-tour renaître sur tes traces

Et des fruits et des fleurs.

Tes vers harmonieux, élégants sans parure,
Loin de l'art pédantesque en leur simplicité,
Enfants du dieu du goût, enfants de la nature,

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Tes soins laborieux nous vantent la paresse ;
Et chacun de tes vers paraît la démentir :
Non, je ne connais point la pesante mollesse
Dans ce qu'ils font sentir.

Au centre du bon goût d'une nouvelle Athène, Tu moissonnes en paix la gloire des talents, Tandis que l'univers, envieux de la Seine, Applaudit à tes chants.

Berlin en est frappée : à sa voix qui t'appelle,
Viens des muses de l'Elbe animer les soupirs,
Et chanter, aux doux sons de ta lyre immortelle,
L'amour et les plaisirs.

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