pouvaient posséder des Français de toutes les conditions. Mais que faut-il penser de leur origine et de leur usage? Je veux que, dans l'espace de dix-huit siècles, des fraudes criminelles aient extorqué quelquefois des donations et des héritages: il y aurait autant d'ignorance que de mauvaise foi à ne pas convenir que ces exemples ont été extrêmement rares. L'histoire atteste que les concessions de territoires furent en général très-libres que, même dans l'origine, elles consistaient en forêts désertes, en pays incultes et marécageux que surent féconder des mains laborieuses. Dans les Mœurs et coutumes des Français, Legendre observe que les grandes abbayes ne leur coûtèrent pas beaucoup à fonder; on cédait des terrains ingrats à des cénobites qui s'employaient de toutes leurs forces à dessécher, défricher, bâtir, planter, bien moins pour goûter les douceurs de la vie, car ils vivaient dans la frugalité, que pour soulager les pauvres. Si un travail conduit avec intelligence, si une persévérante industrie ont su convertir ce qui était stérile en champs, en prairies, en coteaux fertiles; si ces heureuses améliorations ont contribué au progrès du premier des arts, de l'agriculture, il semble que ces belles possessions auraient dû plutôt éveil ler la reconnaissance que la jalousie. « Je veux encore que plusieurs des possesseurs n'en aient pas toujours fait un usage très-légitime; on est du moins forcé de convenir que le très-grand nombre les faisait servir au soulagement des malheureux, à la création et au maintien d'utiles établissements. Quel pasteur, au milieu de son troupeau, eût pu se dispenser de secourir l'indigence et l'infortune? La bienséance seule lui eût arraché des largesses, si elles ne lui eussent pas été commandées par le devoir et Ja charité. On sait que, dans des temps de disette et de calamité, nos prélats faisaient des dons immenses. Mais voici une réflexion générale sur l'emploi des richesses ecclésiastiques, et qui est bien faite pour réconcilier avec elles les esprits les plus difficiles. Ces basiliques qui, dans la France entière, font l'ornement de nos cités; cette multitude d'asiles publics préparés pour tous les genres de besoins et d'infortunes, ces établissements d'éducation publique pour l'enseignement des lettres et des sciences humaines, ces écoles et ces maisons destinées aux élèves du sanctuaire, ces fondations pieuses pour des sujets dont l'indigence eût pu rendre les talents inutiles, ces riches dépôts des connaissances humaines, ces encouragements dispendieux donnés aux sciences et aux arts; toutes ces choses qui sont si précieuses pour le bonheur de la société et pour la gloire nationale, à qui les doit-on? C'est en grande partie au clergé. Mais si ce clergé avait été pauvre et dénué de tout, aurait-il pu rendre tant de services? Toutes les déclamations contre les richesses de l'Eglise sont donc bien irréfléchies. » Ajoutons à cela que ces grandes richesses possédées par le clergé donnaient ou contri buaient à donner du moins à la société d'autrefois une stabilité que ne peut trouver la société présente, avec son morcellement indéfini de la fortune; morcellement qui pourtant a bien aussi son avantage, puisqu'il appelle chacun de nous au partage des choses qui ont été faites pour tous, et donne le plus grand essor à l'activité hu maine. D'où nous pouvons conclure avec assurance qu'à ne les considérer qu'au point de vue social seulement, ces richesses ont eu peut-être plus d'avantage que d'inconvénients, et que leur plus grand tort est d'avoir trop attaché à la terre des âmes particuliè rement faites pour le ciel et chargées d'y conduire les autres âmes: attachement qui, du reste, ne me semble avoir guère été qu'à la surface; car, à peine Dieu eut-il commandé à la tempête de souffler sur ce monde pour le purifier, qu'on vit ces âmes sacerdotales, que quelques-uns croyaient engourdies dans l'opulence, passer avec un courage héroïque et presque divin, à l'exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sans aucune transition, du ciel, en quelque sorte, dans une étable et sur le Calvaire, c'est-à-dire de l'opulence et du bonheur à la pauvreté et à la souffrance. Il n'en est plus de même aujourd'hui sans doute, nous dit-on encore, en parlant des richesses du clergé, mais si on le laissait faire, on reverrait bientôt la même chose. Elle est grande la concession que vous nous faites là. Quoi ! le clergé est aussi pauvre aujourd'hui qu'il était riche autrefois, et vous nous dites en parlant de sa position: Il n'en est plus de même aujourd'hui. » Mais dites donc que c'est tout le contraire. Et qui le sait mieux que vous ? Vous l'avez dépouillé de ses richesses; si ce n'est vous précisément, ce sont ceux qui pensaient comme vous, parlaient comme vous, et dont vous vous déclarez les légitimes descendants; vous avez consenti à leur donner comme par commisération une insignifiante indemnité qui suffit à peine à ses plus pressants besoins; pour son église il est obligé de quêter; pour ses pauvres, obligé de quêter; pour les bonnes œuvres sans nombre que lui commandent les intérêts de la religion et le besoin de l'humanité, obligé de quêter. Afin que la quête soit plus fructueuse, il est dans la nécessité souvent de s'adresser aux étrangers comme aux siens, à ses ennemis comme à ses amis, au gouvernement comme aux simples particuTiers... vous le savez, vous le voyez, vous êtes témoins quelquefois des refus qu'il éprouve, vous les occasionnez peut-être, du moins vous y applaudissez... et vous dites: « Il n'en est plus de même aujourd'hui sans doute.» Ah! ce que vous dites n'est pas inexact seulement, c'est dérisoire el cruel Si on le laissait faire, on reverrait bientôt la même chose, ajoutez-vous. Qu'entendez-vous par là? Quelles entraves est-on obligé de mettre à l'essor de la fortune du clergé ? Le voyezvons nulle part chercher à s'enrichir ? En parle-t-il? y songe-t-il même ? Les temps viennent d'être malheureux. On a été obligé d'améliorer la position de ceux qui n'avaient que peu de ressources. Les siennes sont restées constamment les mêmes, si toutefois elles n'ont pas diminué. A-t-il fait des réclamations? S'est-il servi de toutes les voix de la renommée qui sont partout à sa disposition pour faire entendre ses plaintes? Jamais. S'il s'est plaint quelquefois, c'est dans le secret; s'il a gémi devant Dieu et en face des autels à l'occasion des malheurs du temps, c'était pour ses pauvres, pour son église, pour tout et pour tous, excepté pour lui-même. S'il a eu recours aux moyens actuellement en usage pour avoir des richesses extraordinaires, comme les souscriptions et les loteries, c'était pour ses bonnes œuvres. Lui n'en profitait point; au contraire, c'était pour lui une nouvelle charge. Il donnait autant que les autres, et plus encore peut-être c'était bien alors, il faut en convenir, la générosité de la pauvreté. Si on le laissait faire, ce serait bientôt la même chose. Il y a donc selon vous commencement de richesses. Où voyez-vous cela? N'est-ce pas tout le contraire, je vous le répète? Depuis cinquante ans, la richesse publique a doublé; celle des particuliers s'est accrue aussi, généralement parlant, dans la même proportion. Quant à lui, il est à peu près dans la même position qu'au sortir de La persécution, et je ne sais même si par suite du refroidissement de la foi et à cause du renchérissement de toutes les denrées, il ne se trouve pas presque partout dans une position moins avantageuse encore. Ne répétez donc plus que, si on le laissait faire, ce serait bientôt la même chose; car je vous répèterai, moi aussi, que non-seulement votre assertion est inexacte, mais qu'elle ne peut être qu'une amère dérision. Que de donations plus ou moins directement en sa faveur, avez-vous ajouté, à l'article de la mort principalement ! Où trouvez-vous donc cela? Quant à moi, j'ai beau regarder, non-seulement je ne vois pas ce que vous dites, mais je n'aperçois même rien qui y ressemble. Il y a bien longtemps déjà que je suis parfaitement au fait de ce qui concerne le clergé, et je n'ai pas encore vu faire autour de moi une seule de ces donations dont vous parlez. Expliquons-nous je ne veux pas dire qu'il n'y en ait point. Je sais positivement le contraire par les journaux et autrement, mais j'affirme que je n'en ai pas vu faire une seule, quelque minime qu'elle fût : ce qui prouve qu'elles ne sont pas aussi communes que vous paraissez le dire. Et puis, d'ailleurs, que sont-elles la plupart du temps? Des bagatelles ici une rente de 25 fr., là de 50; ailleurs de 100 fr., 200 fr., et alors c'est énorme. Quand il s'agit d'une donation beaucoup plus considérable, quelque légale qu'elle ait été, presque touiours le prêtre refuse nettement; la délica tesse sacerdotale ne lui permet pas d'accepter. Plusieurs faits devenus publics en ces derniers temps attestent cela, et combien sont ignorés ou du moins peu connus ! Ces donations, d'ailleurs, sont-elles toujours en faveur du clergé, même indirectement? Mais non. C'est quelquefois pour 3 presbytère, et, par conséquent, à la décharge de la commune; d'autres fois c'est pour l'église, à la décharge de la fabrique, par conséquent, et indirectement de la commune, puisque celle-ci est obligée de subvenir aux besoins de l'église quand la fabrique ne peut suffire; ce sera aussi pour les pauvres, je suppose, mais alors ce sera plutôt à la charge qu'à la décharge du prêtre, puisqu'il est reconnu que celui-ci ne peut donner aux pauvres l'argent des autres sans être dans la nécessité de donner souvent le sien. Quand la donation est directement en faveur du prêtre, est-ce à titre purement gratuit? Jamais ou presque jamais. C'est à charge de services, de Messes et autres bonnes œuvres, d'où il suit qu'il n'y a ordinairement pour le prêtre qu'une part, laquelle est souvent petite et ne constitue, en tout cas, que ce casuel qui fait partie de ses ressources ordinaires et sans lequel il ne pourrait vivre en bien des endroits. Ainsi, ces donations dont vous nous parlez comme pouvant reconstituer la fortune du clergé sont rares, de peu d'importance, et ne laissent souvent rien ou presque rien entre les mains des prêtres. J'en ai connu un qui fut nommé le légataire universel d'un pauvre qui lui laissait par testament 70 fr. avec charge d'acquitter les frais de sa sépulture et les honoraires du notaire. Tout compte fait, il ne lui resta rien pour lui-même. Il y fut pour sa peine, quelques voyages qu'il avait été obligé de faire, et de plus, je crois, le prix du modeste luminaire que le mourant avait demandé. Par de telles donations on ne peut s'enrichir, si ce n'est pour le ciel. Mais, me direz-vous, il y a eu d'autres 'donations bien autrement importantes qui ont eu un grand retentissement jusque devani es tribunaux. A cela je réponds que je ne parle ici que de ce qui arrive ordinairement, et non de choses exceptionnelles. Je réponds, en second lieu, qu'il s'agissait alors, je crois, non de quelques membres du clergé, mais d'une vaste communauté pour qui, vu le grand nombre de ses membres, une fortune en soi assez considérable devient peu de chose. Je réponds, en troisième lieu, qu'il ne s'agissait, ce me serable, ni d'injustice, ni même d'indélicatesse, mais seulement de formalités légales sur l'appréciation desquelles les juges, quels qu'ils fussent, paraissaient fort incertains. Quoi qu'il en soit, je ne m'occupe et ne puis m'occuper ici que de ce qui a lieu communément; aussi je m'en tiens exactement à ce que j'ai dit à propos de ces donations faites plus ou moins directement en faveur du clergé et qui, prétendez-vous, pourraient l'enrichir de nouveau, si on le laissait faire. ne craignez pas qu'il s'en mêle en aucune manière. Il donnerait plutôt dans l'excès opposé. A l'appui de ce que j'avance, je vais vous citer un fait qui est à ma connaissance particulière. D'où cela provient-il ? avez-vous demandé. Je vais vous le dire cela vient de la foi, qui ne s'éteint jamais complétement dans l'âme, et qui se réveille quelquefois d'autant plus vivement à l'article de la mort, comme vous l'éprouverez peut-être vous-même, qu'elle a été plus affaiblie pendant la vie. Čela vient de la piété, qui comprend que nous ne pouvons nous présenter avec confiance devant le souverain Juge sans bonnes œuvres. D'où il suit que, n'en ayant guère fait peut-être pendant la vie, il importe d'en faire à la mort et même après. De là les aumônes et les prières demandées, soit de vive voix, soit par testament. C'est souvent aussi un remords. On aura fait une injustice, je suppose. Tout nous dit, tout nous presse de la réparer. Il n'est pas toujours possible de le faire dans la personne même de ceux qui ont été lésés. On le fait donc avec raison dans la personne de ceux qui les représentent le plus naturellement. C'est, en quelque sorte, exécuter leur volonté. De là le bien fait à l'église et aux pauvres. De là les donations en faveur, nominativement du moins, de ceux qui se trouvent les légitimes tuteurs de l'église et des pauvres. Mais, remarquez-vous, pourquoi cela se passe-t-il à la mort principalement? Je viens de vous le dire, parce que c'est à ce moment surtout que les sentiments de foi, de piété et de repentir se réveillent le plus vivement. Et puis, nous ne pouvons remettre, comme pendant la vie. La mort est là tout à côté de nous qui lève le bras et nous dit : « Dépêche-toi!» Et, à moins d'avoir perdu la tête, nous ne pouvons lui répondre: «Attends un instant. > A-t-il bien alors la plénitude de sa raison, demandez-vous? Pourquoi non? L'approche de la mort met quelquefois une lucidité plus grande dans nos idées. En tout cas, le notaire et les témoins sont là pour en répondre. Cela, pensez-vous, ne pourrait-il pas venir de ses parents, et de ses amis, ou bien du prêtre, plutôt que de lui-même ? De ses parents et de ses amis? Je ne vous dit pas le contraire, surtout si l'honneur du mourant et des siens y était intéressé. Et, en cela, que peut avoir de blåmable leur conduite? N'est-elle pas louable au contraire? Quant au prêtre, il s'y prêtera volontiers, il Commandera même, au nom de la religion dont il est le ministre, si la justice le veut ainsi; mais s'il s'agit d'un acte de piété ou de générosité seulement, s'il voit que cet acte peut être interprété de manière à porter la moindre atteinte à la réputation d'intégrité qu'il doit conserver soigneusement pour lui comme pour le bien public, » α C'était dans une campagne. Le curé de la paroisse avait été appelé auprès d'une femme très-avancée en âge, qui était sur le point de mourir. « Monsieur le curé, » lui dit la malade, « je suis bien âgée, et même si âgée que je ne sais plus de quelle époque je date. Le grand âge ne me permet plus, depuis quelque temps déjà,d'assister aux Offices; mais je veux mourir chrétiennement, et faire prier pour moi d'autant plus que je n'ai peut-être pas suffisamment prié moi-même. Je demande douze grand'Messes. »- Il s'agissait d'une soixantaine de francs. Ce n'était pas énorme; mais c'était quelque chose déjà pour ses héritiers. Après y avoir réfléchi, le prêtre voulut éluder la question. « C'est bien, répondit-il, « que de penser à Dieu, et de le faire prier pour soi; mais il y a quelque chose de plus pressé encore, c'est de recevoir les derniers sacrements. » — Ce devoir rempli, la malade revint à son idée. « Je demande douze grand'Messes,» répétait-elle; voulez-vous, M. le curé, que je vous en donne la rétribution? » - « Ce n'est pas la peine, » dit le prêtre qui crut, après de nouvelles réflexions, avoir trouvé le moyen de satisfaire les légitimes désirs de la malade, en éloignant de lui tout soupçon d'indélicatesse, ce n'est pas la peine; mais cela ne me regarde pas pour l'heure. Adressez-vous à vos enfants. »- Ceux-ci, s'étant approchés, écoutèrent respectueusement l'expression des dernières volontés de leur mère, et promirent de les mettre à exécution. Peu après la femme mourut. Le prêtre n'entendit ja mais parler de rien; et, de peur qu'on le soupçonnât de ne point oublier ses propres intérêts, il aima mieux prier, dans son particulier, pour cette pauvre femme, que de rappeler à ses enfants la promesse qu'ils lui avaient faite solennellement au lit de la mort et qu'ils pouvaient tous parfaitement remplir. Combien de faits semblables et plus honorables encore nous pourrions citer! Combien ne sont connus que de Dieu! Or, je vous le demande, est-ce là le moyen d'acquérir de grandes richesses? Non, vous dis-je, à moins qu'on n'entende ces richesses du ciel dont Jésus-Christ recommande instamment aux siens de s'assurer la possession, parce que personne ne peut nous les enlever, ni rien Jes détériorer: Thesaurizate autem vobis thesauros in cœlo: ubi neque ærugo neque Linea demolitur; et ubi fures non effodiunt, nec furantur. (Matth. vi, 20.) ROME. Objections. Rome est une ville comme Quel rapport peut-elle avoir avec Jésus-Christ?-On ne doit pas confondre son Eglise avec l'Eglise catholique. Ses nabitants ne se distinguent pas tant déjà, aujourd'hui principalement. Réponse. - Vous vous trompez grossière de Rome est devenue la plus considérable de toutes, parce que cette ville était la capitale de l'empire. ment, Rome n'est point une ville comme une autre. Elle ne l'a même jamais été; car. avant l'établissement du christianisme, la Providence la préparait, d'une manière visible, aux grandes destinées qui lui étaient réservées. De là ces vers si remarquables de Virgile: Urbem quam dicunt Romam, Meliboe, putavi, Stultus ego, huic nostræ similem, quo sæpe solemus, Sic canibus catulos similes, sic matribus hædos (Bucolic., eclog. 1, vers. 20-26.) Que si telle fut la Rome des Césars, la Rome de la force et de la violence, qui avait étendu ses chaînes jusqu'aux extrémités de la terre, et fait de tous les peuples ses tributaires et ses esclaves, que dirons-nous donc de la Rome des pontifes, de cette Rome de l'Evangile, qui n'a jamais cessé, et ne cesse encore à l'heure qu'il est, de faire entendre par tout le monde la bonne nouvelle du salut, et d'appeler tous les hommes, quels qu'ils soient, à la pratique des vertus chrétiennes, et, par cela même, à la liberté des enfants de Dieu ? (Rom. viii, 21.) Autant l'âme est audessus du corps, la doctrine au-dessus de la force, la persuasion au-dessus de la violence, autant la Rome nouvelle est au-dessus de la Rome antique, laquelle pourtant s'était élevée, ou plutôt avait été élevée providentiellement au-dessus de toutes les autres villes : Alias inter caput extulit urbes. J'ai donc eu raison de dire que Rome n'est point une ville comme une autre. Quel rapport peut-elle avoir avec JésusChrist? demandez-vous. Par elle-même, elle n'en a point sans doute, mais elle en a, parce qu'elle est devenue le siége de celui à qui Jesus-Christ a dit : Vous éles Pierre, et sur cette pierreje bâtirai mon Eglise, et les puissances de l'enfer ne prévaudront point contre elle: Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam, et porta inferi non prævalebunt adversus eam.»> (Matth. xvi, 18.) Les protestants soutiennent le contraire. Les Papes, disent-ils, n'ont pas plus de droit à cette succession que les évêques d'Antioche, dont saint Pierre avait fondé et occupé le siége avant de venir à Rome. Cependant, répond ici Bergier (Dictionnaire de théologie), « au siècle, nous voyons saint Irénée citer aux hérétiques la tradition de l'Eglise de Rome, la succession de ses évêques qui remonte à saint Pierre et à saint Paul; la prééminence de cette Eglise, à laquelle, dit-il, toute autre église doit déférer. (Adv. hæres., lib. ш, c. 3.) Ilui aurait été aussi aisé de citer l'Eglise d'Antioche ou celle de Jérusalem, que saint Pierre avait aussi fondées, si elles avaient joui du même privilége. Dans un temps si voisin des apôtres, on devait mieux savoir qu'au XVI siècle quelle avait été leur intention, et, par conséquent, celle de Jésus-Christ. » Les protestants disent encore que l'Eglise «Mais, reprend Bergier, « les Pères n'ont point allégué cette raison pour lui attribuer la prééminence; ils l'ont regardée comme le centre de l'Eglise catholique, parce qu'elle était la chaire ou le siége de saint Pierre, à qui Jésus-Christ avait promis la supériorité sur ses collègues, et qu'il avait établi pasteur de tout son troupeau. >> Cette croyance unanime des Pères se trouverait confirmée, s'il en était besoin, par la tradition la plus universelle et la plus constante. Est-ce que le temps, qui détruit tout, n'a pas toujours respecté et même affer i l'Eglise de Rome? est-ce qu'elle n'a pas été continuellement regardée, en tout temps et en tout lieu, comme l'Eglise mère et maîtresse de toutes les autres, suivant l'expression en usage dès les premiers temps? Pouvez-vous rien dire de semblable d'aucune autre Eglise? Voyez-vous ailleurs rien qui en approche? Qu'est-ce aujourd'hui que l'Eglise de Jérusalem, la ville sainte, sur laquelle coula, pour ainsi dire, le sang du Sauveur, où les apôtres reçurent le Saint-Esprit, et du sein de laquelle ils sortirent renouvelés, pour aller par toute la terre annoncer l'Evangile ? Qu'est-ce que l'Eglise d'Antioche, fondée aussi par saint Pierre, et que quelques-uns voudraient opposer, pour cela même, à l'Eglise de Rome? Qu'est-ce que l'Eglise d'Alexandrie, qui brilla d'un si vif éclat dans l'antiquité, que quelques-uns ont pensé que là s'élaborèrent par la puissance du génie humain, ces dogmes qui, apportés du ciel par Jésus-Christ, ont renouvelé la face de la terre? Qu'est-ce que l'Eglise de Constantinople, de cette ville où le grand Constantin, le premier empereur chrétien, transféra, pour ainsi dire, tout l'éclat et toute la force do l'empire romain? Cette ville aurait remplacé la première, si le germe d'une vie nouvelle et impérissable n'avait été déposé en elle par la parole et le sang du premier des apôtres. Que sont aujourd'hui ces Eglises d'Afrique qui ont eu tant de splendeur autrefois? Où est cette Eglise d'Hippone qu'éclaira et édifia le grand Augustin, qui fut et est encore, après les écrivains inspirés, la plus belle lumière de l'Eglise universelle? Et puis, d'ailleurs, au milieu de leur plus grande splendeur, qui avait recours à elles, qui se Soumettait à elles, comme on le faisait de toutes parts à l'égard de l'Eglise de Rome? Il en a toujours été ainsi dans la suite, et il en est encore ainsi aujourd'hui. C'est d'elle et d'elle seulement que toutes les autres ont reçu et recoivent encore la vie de la foi; c'est vers elle et vers elle seulement que toutes les autres se sont toujours tournées et se tournent encore avec respect et soumission. Elle est au sein de l'Eglise universelle comme le cœur impérissable d'où part tout le sang qui l'anime, et où revient continuellement ce sang épuisé, pour reprendre la pureté et la force qu'i! a perdues. Que d'Eglises remarquables il y a eu, cn effet, et il y a encore le cœur qui lui conserve la vie, comme nous le disions tout à l'heure. N'est-ce pas clair, incontestable ? N'est-ce pas démontré de la manière la plus évidente, par l'Ecriture, le témoignage des Pères, la tradition la plus universelle et la plus constante, par les événements les plus frappants de chaque jour? Si vous admettez cela, et il est bien difficile à tout esprit raisonnable de ne pas le faire, nous sommes tout à fait d'accord, car nul de nous ne dit ni ne veut dire autre chose. Nous nous servons quelquefois, il est vrai, de cette expression, l'Eglise romaine, pour signifier l'Eglise catholique; mais, par là, nous désignons précisément, d'une manière abrégée et pourtant suffisaniment explicite, l'Eglise de Jésus-Christ, répandue par tonte la terre, dont le chef visible est l'évêque de Rome, successeur de saint Pierre. C'est une manière de parler reçue de tous les Chrétiens et qui a partout des analogies; c'est la partie essentielle pour le tout, le trait carac téristique pour le tableau tout entier. aujourd'hui, en Espagne, dans les Gaules, en Angleterre, dans toutes les parties du monde! En trouverez-vous une seule qui ressemble à l'Eglise de Rome? Voyez, par exemple, l'Eglise de Tours, illustrée par saint Martin, le thaumaturge des Gaules; celle de Lyon, fondée par les premiers disciples des apôtres; celle de Paris, capitale de la France, j'ai presque dit du monde entier.... et combien d'autres qui ont été et sont encore aujourd'hui non moins remarquables! Or, quelle est celle que vous voyez ou que vous avez jamais vu consulter comme l'Eglise de Rome? Quelque distingué que soit un évêque par sa piété et par sa science, s'aviset-on de s'adresser à lui, de se soumettre à ses décisions, comme on fait pour l'évêque de Rome? Celui-ci n'aura rien, je suppose, qui le distingue personnellement: peut-être aurat-il été chassé momentanément de sa ville épiscopale; peut-être même se trouve-t-il dépouillé de tout, chargé de chaînes.... il n'en ressemble que mieux à son prédécesseur Pierre, il n'en paraît que mieux le vicaire de Jésus-Christ sur la terre. Aussi toutes les âmes continuent-elles, par tout le monde, à se tourner vers ce Père spirituel, et à lui demander, comme au représentant de Dieu, le pain de la foi dont nous avons tous besoin chaque jour. Pater noster... panem nostrum quotidianum da nobis hodie. (Matth. vi, 9 seq.) Il y a dix-huit siècles que cela dure. Et, en ce moment encore, quand toute puissance s'affaiblit, quand toute autorité s'affaisse, d'une manière désespérante, les sentiments de soumission, de respect et d'amour sont toujours les mêmes, s'ils ne grandissent de plus en plus, dans tout cœur chrétien, pour le Père commun des fidèles. Chose bien extraordinaire! mystère tout à fait incompréhensible pour quiconque n'en veut pas chercher l'explication dans l'Evangile il suffirait, peut-être, comme on l'a dit, de quatre soldats et un caporal de l'armée française pour révolutionner l'Italie, et cependant devant ce faible évêque que nos armes renverseraient, pour un temps du moins, encore plus facilement qu'elles ne le soutiennent, nos consciences plus fortes que les armes se prosternent avec amour! L'orgueilleuse Albion crie hautement, de son côtě: No Popery! No Popery! et pourtant du cœur de ses enfants les plus généreux peut-être et les plus éclairés ne cesse de sortir ce cri de retour: Italiam! Italiam! Ne demandez donc point quel rapport Rome. peut avoir avec Jésus-Christ, puisqu'il est évident que c'est la parole de ce divin fondateur du christianisme qui la soutient au milieu des ruines de toutes choses, et l'empêche d'être emportée avec tout le reste. On ne doit pas confondre son Eglise avec l'Eglise catholique, avez-vous dit. Le tout est de s'entendre ici. Sans doute l'Eglise de Rome n'est pas toute l'Eglise catholique. Elle en est, ou pour parler plus correctement encore, son évêque en est le fondement nécessaire, la base indestructible, Ses habitants, avez-vous ajouté, ne se distinguent pas tant déjà, aujourd'hui principa lement. Qui vous parle de ses habitants? Il ne s'agit ici que de son siége, ou plutôt de celui qui occupe ce siége, l'évêque de Rome, successeur de saint Pierre. Plus vous le supposerez faible personnellement, plus vous le supposerez mal gardé, repoussé, persécuté même par ceux qui devraient être pour lui tout amour et toute soumission, et plus vous ferez ressortir l'assistance surnaturelle qui l'élève toujours au-dessus de l'orage, et lui donne la force non-seulement de se maintenir lui-même, mais encore de conserver et d'accroître même, de plus en plus, l'Eglise de Jésus-Christ. C'est toujours le développement et la réalisation des promesses de ce divin fondateur du christianisme: Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam; et portæ inferi non prævalebunt adversus eam. (Matth. xvi, 18.) Approfondissez un peu ces paroles! Jésus-Christ ne dit point au chef de ses apôtres : Tu es un homme supérieur, et sur l'inébranlable fondement de ton génie et de les vertus, je bâtirai mon Eglise contre laquelle les puissances de l'enfer ne pourront prévaloir. Il dit, an contraire: Tu es Pierre, et sur cette faible pierre que renversera le premier souffle de la tempête, la voix d'une simple servante, je bâtirai l'édifice de mon Eglise que rien ne pourra renverser. Cette pierre, dites-vous, se trouve, en ce moment, sur un terrain winé par le temps, soulevé par des volcans, qui menacent à chaque instant de faire explosion. Je n'ai point à examiner ici ce qu'il peut y avoir de faux et de vrai dans ce que vous dites. Je le regarde donc comme complétement vrai, je le regarderai même, si vous le désirez, comme au-dessous de la vérité. Mais, au lieu d'en tirer la conclusion que vous pa raissez vouloir m'en faire tirer, j'en tirerai une tout opposée, le miracle de la conservation du Saint-Siége ne m'en paraissant alors |