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Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, et de tout votre esprit. C'est là le plus grand, et le premier commandement. Et voici le second qui est semblable à celui-là: Vous aimerez le prochain comme vous-même. Toute la loi et les prophètes se réduisent à ces deux commandements. (Matth. xx11, 23-40.)

Quelle doctrine! Mais aussi avec quelle simplicité touchante elle est expliquée pour applanir les difficultés qu'elle présente, non-seulement dans sa partie spéculative, mais encore dans sa partie pratique! « Et qui est donc mon prochain? lui a demandé le docteur. Ce sont tous les homines, répond Jésus, même vos ennemis, même les Samaritains avec qui vous ne voulez avoir aucun rapport. » Ecoutez plutôt sa réponse, telle qu'elle a été faite, sous la forme saisissante de la parabole :

Un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho tomba, dit-il, entre les mains des voleurs, qui le dépouillèrent, le couvrirent de plaies, et s'en ailèrent, le laissant à demi mort. Il arrira ensuite qu'un prêtre descendait par le même chemin, lequel l'ayant anerçu, passa outre. Un lévité, étant aussi venu au même lieu, et l'ayant considéré, passa outre. Mais un Sa maritain, passant son chemin, vint à l'endroit où était cet homme; et, l'ayant vu, il en fut touché de compassion. Il s'approcha donc de lui, il versa de l'huile, et du vin dans ses plaies, et les banda; el, l'ayant mis sur son cheval, il l'emmena dans une hôtellerie et prit soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers qu'il donna à l'hôte, et lui dit : Ayez bien soin de cet homme, et tout ce que vous avancerez de plus, je vous le rendrai à mon retour. Lequel de ces trois vous semble-t-il avoir été le prochain de celui qui tomba entre les mains des voleurs? Le docteur lui répondit : C'est celui qui a exercé la miséricorde envers lui. Allez done, lui dit Jésus, et faites de même. (Luc. x, 30-37.)

C'est ainsi que Jésus, parlant tantôt à l'esprit, tantôt au cœur, fait, ou doit faire, du moins, sur ceux qui l'écoutent, une impression profonde. Et qu'est-ce donc quand il veut bien confirmer son divin enseignement par ses œuvres miraculeuses qui décèlent aux moins clairvoyants sa divinité? Personne n'ignore ce qui se passa, quand on lui présenta un paralytique, couché dans son lit.

Voyant leur foi, Jésus dit au paralytique: Mon fils, ayez confiance, vos pechés vous seront remis. Enmême temps, quelques-uns des scribes dirent en eux-mêmes: Cet homme blasphème Mais Jésus, connaissant ce qu'ils pensaient, leur dit : Pourquoi pensez-vous du mal dans vos cœurs? Lequel est le plus aisé de dire: Vos péchés vous sont remis; ou de dire: Levez-vous, et marchez? Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péches: Levez-vous, dit-il alors au paralytique, emportez votre lit, et vous en allez dans votre maison. Le paralytique se leva et s'en alla dans sa maison. Le peuple, voyant cela, fut saisi de crainte, et rendit gloire à Dieu, de ce qu'il avait donné une telle puissance aux hommes. (Matth. ix, 2-8.)

Une remarque qu'il importe de faire ici, c'est que Jésus-Christ s'adresse presque touJours au peuple, quand il répond aux difficultés élevées contre la religion. Ces difficultés Jui sont cependant présentées par des hommes éclairés. Dans les exemples que nous venons de citer, nous avons vu paraître, tour à tour, les saducéens, les pharisiens, les scribes, un docteur de la loi; mais Jésus-Christ n'a paru tenir aucun compte de leur position. Ce n'est pas qu'il ne soit venu sur la terre pour les savants comme pour le reste des hommes; mais, soit qu'il les regarde comme suffisamment éclairés et n'ayant besoin que de se purifier le cœur, soit en punition de leur orgueil, soit plutôt parce que l'enseignement qui convient au peuple doit leur convenir également à eux-mêmes, il ne s'adresse guère qu'au peuple, avons-nous dit avec raison. Aussi est-ce le peuple surtout qui est profondément impressionné par ses paroles, comme par ses œuvres. Et audientes turbæ mirabantur in doctrina ejus, lisons-nous dans l'Evangile. (Matth. XXII, 33.) Et ailleurs: Videntes autem turbæ timuerunt, et glorificaverunt Deum, qui dedit talem potestatem hominibus... (Matth. 1x, 8.)

Ce qu'a fait Jésus-Christ, les apôtres qu'il a choisis parmi le peuple, pour les former à la prédication de son Evangile, l'ont fait également. Voyez saint Paul lui-même, ce grand apôtre, élevé, comme il le dit formellement, jusqu'au troisième ciel, où il entendit des choses qu'il n'est pas permis à l'homme de répéter. Comme il se plaît cependant à réfuter les objections populaires contre la religion!

Quelqu'un dira peut-être : En quelle manière les morts ressusciteront-ils, et quel sera le corps dans lequel ils reviendront? Insensé que vous êtes, ce que vous semez ne prend point de vie, s'il ne meurt auparavant. Et, quand vous semez, vous ne semez point le corps qui doit naître, mais une simple graine, comme du froment ou de quelque autre chose. Mais Dieu lui donne un corps tel qu'il lui plaît... Il en årrivera de même à la résurrection des morts. Le corps maintenant, comme une semence, est mis en terre plein de corruption, et il ressuscitera incorruptible. Il est mis en terre tout difforme, et il ressuscitera tout glorieux. Il est mis en terre privé de mouvement, et il ressuscitera plein de vigueur. Il est mis en terre corps animal, et il ressuscitera corps spirituel. (1 Cor. xv, 35-44.)

Ainsi firent les premiers successeurs des apôtres, ces Pères de l'Eglise, qui, consolidant, d'une main, les fondements de la religion, repoussaient, de l'autre, avec une infatigable vigilance, les attaques dirigées contre elle par ses ennemis déjà si nombreux. Ainsi out

toujours fait depuis, ainsi font actuellement encore les ministres de la religion, charges d'annoncer aussi l'Evangile, à quelque degré de la hiérarchie qu'ils se trouvent placés. Quelquefois, sans doute, ils s'adressent aux savants; mais la plupart du temps, et même presque toujours, à l'exemple de Jésus-Christ, des apôtres et des Pères, ils s'adressent à cette foule dont leur divin maître aimait à se voir entouré, à cette masse dont se compose l'humanité. Lisez les homélies des Pères, les sermons des prédicateurs, les mandements des évêques, les prônes des curés et de leurs collaborateurs Qu'y trouvez-vous, si ce n'est l'exposition et la défense de la doctrine chrétienne, selon les besoins du plus grand nombre, aux différentes époques de l'Eglise? Il y a donc, là aussi, la réponse aux objections les plus ordinaires contre la religion; ou, pour mieux dire, c'est là ce qui y domine, en sorte que notre travail, pour être complet, devrait présenter le résumé fidèle de ce grand travail d'apologétique populaire commencé à Jésus-Christ et continué jusqu'à nos jours. Nous n'avons pu lui donner de telles proportions. Obligé de nous restreindre, nous ne répondons qu'aux objections qui présentent, en ce moment, quelque danger, ou qui peuvent en présenter d'un moment à l'autre.

1 est aisé de voir, du reste, par ce que nous venons de dire, où nous avons pris la réponse à ces objections. Comme la difficulté elle-même, la solution est partout: dans les livres, dans nos églises, dans nos écoles, dans nos maisons, au cœur d'un Chrétien, partout, avons nous dit! Et si on nous demande comment elle se trouve ainsi partout, il nous est encore plus facile de répondre que pour l'objection. Elle est partout, parce que la vérité est partout, et que la réponse la plus complète, et même la seule complète, à toute difficulté, c'est la vérité brillant de tout son éclat et dissipant ainsi les ténèbres qui la cachent à nos yeux, comme le soleil fait les nuages, qui ne peuvent l'obscurcir que momentanément; elle est partout, parce que c'est la parole de Dieu qui nous la donne, et que cette parole, apportée du ciel sur la terre par Jésus-Christ, n'a cessé et ne cesse encore d'être propagée en tout lieu, par ceux qu'il a chargés de continuer sa mission.

Nous n'avons donc eu besoin que de la formuler; et encore l'avons-nous prise souvent tout exprimée dans quelques-uns de nos apologistes les plus renommés. Il nous était bien facile de nous approprier à nous-même cette réponse, soit en la modifiant un peu, soit en changeant l'expression seulement. Si nous ne l'avons pas fait, c'est à dessein. Il y a deux manières de répondre à une objection par le raisonnement et par l'autorité. En signant notre réponse d'un nom faisant autorité, nous donnions donc à cette réponse, outre sa valeur intrinsèque, une seconde valeur, une valeur extrinsèque qu'elle n'avait pas venant de nous.

En terminant cette introduction, nous prious le lecteur de n'étudier notre ouvrage qu'avec les intentions et dans les dispositions que nous avons eues nous-même en le composant. C'est un arsenal dans lequel nous l'invitons à entrer, avons-nous dit déjà, arsenal où se trouvent accumulées les armes de nos ennemis, et celles dont nous pouvons nous servir nous-même pour repousser leurs attaques. Un peu de légèreté, la moindre imprudence pourrait lui devenir funeste à lui-même et aux autres, comme cela se voit fréquemment dans un arsenal ordinaire. En y apportant toutes les précautions nécessaires, il en sortira tier et heureux, plein d'ardeur et plus apte que jamais à soutenir avantageusement les combats où le devoir l'engagera quelquefois, pour la gloire de Dieu et le salut de ses frères.

DICTIONNAIRE

DES

OBJECTIONS

POPULAIRES

CONTRE LA RELIGION CATHOLIQUE,

AVEC REPONSES A CHACUNe d'elles.

ABBAYE, ABBÉ, ABBESSE.

Objection. Abus! abus! abus! assemblage de tous les abus! Abus dans les bâtiments! Abus dans la conduite de ceux qui s'y trouvent, ou qui, étant censés s'y trouver, vont étaler ailleurs, comme l'abbé de cour, le scandale de leurs mœurs! Abus par rapport à la religion! Abus par rapport à la société ! - Abus par rapport à la famille Abus enfin par rapport aux individus! Quand la révolution a détruit tout cela, elle a fait un acte bien méritoire aux yeux de Dieu et des hommes.

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Réponse. — Dites plutôt qu'elle a commis, en cela comme en beaucoup d'autres choses, l'attentat le plus...

Je m'arrête ici pour ne point agir avec la même précipitation que vous. Avant de rien conclure, je veux approfondir notre sujet, et répondre à vos objections, ou, pour mieux dire, à vos déclamations.

Abus! abus! abus! assemblage de tous les abus, vous écriez-vous.

C'est bientôt dit; mais, je vous le demanderai d'abord, de quoi l'homme n'a-t-il point abusé, de quoi n'abuse-t-il point encore, chaque jour ici-bas? Jetez les yeux autour de vous, examinez-vous vous-même, considérez, s'il est possible, les uns après les auIres, tous les êtres dont se compose la nature, et vous trouverez qu'il y a abus partout, que ce monde est réellement l'assemblage de tous les abus. Est-ce à dire pour cela que nous devions tout condamner, tout détruire? Non pas, mais seulement qu'il faut agir toujours avec la plus grande prudence, rechercher le bien, s'y attacher, le développer en soi et dans les autres, fuir le mal, mêlé partout au bien, le souffrir avec patience, quand on ne peut faire autrement, comme cela se trouve admirablement expliqué dans la parabole si frappante du bon grain et de l'ivraie, et user ainsi des dons de Dieu, selon les vues de son adorable Providence.

Quand une chose est mauvaise de sa na

ture, nous direz-vous peut-être ici, quand, du moins, elle produit d'elle-même beaucoup plus de mal que de bien, n'est-il pas plus simple de la détruire?

Sans doute, mais tel n'est point le cas dont il s'agit. Savez-vous bien ce que c'est qu'une abbaye, vous que ce nom seul fait frémir, et qui appelez, pour en délivrer le monde, la hache révolutionnaire? Savez-vous ce que nous entendons par abbé et par abbesse, vous qui n'attachez à ces mots que l'idée du ridicule et du mépris? Ecoutez avec un peu d'attention, je vais vous le dire; et dans le cours de mes explications, ou à la fin, je m'efforcerai de détruire les préjugés que vous avez conçus à ce sujet.

Abbé est un mot d'une langue étrangè e qui veut dire père. Abbesse, par conséquent, veut dire mère; et Abbaye, maison paternelle ou maternelle. Qu'y a-t-il de plus touchant que ces mots? Si des noms nous passons aux choses, elles éveillent en nous des idées non moins touchantes.

Comme il est facile de le comprendre, d'après ce que nous venons de dire et comme on peut s'en convaincre d'ailleurs d'après sa propre expérience ou celle d'autrui, l'abbaye est une maison religieuse composée d'hommes ou de femmes, vivant en communauté sous la direction d'un abbé on d'une abbesse, tendant à la perfection par la pratique nonseulement des préceptes, mais des conseils évangéliques, et qui en prenant les moyens les plus efficaces de s'assurer les récompenses éternelles, travaillent d'une manière plus ou moins directe suivant la nature de leur constitution au bonheur spirituel et même temporel des autres hommes. Car la piété, qui est l'âme de la communauté, se trouve utile à tout, ayant la promesse de la vie présente et de la vie future, comme le dit avec tant de vérité le grand Apôtre: Pietas ad omnia utilis est, promissionem habensvitæ quæ nunc est et futuræ. (I Tim. iv, 8.)

L'abbaye est donc une famille véritable

(et c'est un nom qu'elle se donne ellemême volontiers), mais c'est une famille sainte, immense quelquefois, indéfiniment prolongée el qui, malgré l'extension qu'elle peut avoir en étendue comme en durée, prend de tous ses enfants un soin pieux et Jeur facilite les moyens d'arriver au but pour lequel chacun d'eux a été mis sur la

terre.

Vous ne pouvez nier l'utilité, la nécessité même de la famille telle qu'elle se trouve naturellement constituée, malgré les graves abus qui s'y rencontrent à chaque instant. Vous ne pouvez vous empêcher de reconnaître que cette union sainte, indissoluble fait subsister tous les membres qui la cornposent, malgré la faiblesse des uns et les infirmités des autres, développe toutes leurs facultés physiques, intellectuelles et morales, et les conduit souvent pour le temps comme pour l'éternité à de grands résultats qu'aucun d'eux n'obtiendrait jamais, abandonné à luimême.

Pour peu que vous vous éleviez au-dessus des passions et des préjugés qui pervertissent si facilement le jugement des homme, Vous ne pouvez nier non plus l'utilité, la nécessité même, jusqu'à un certain point, de cette famille telle que l'a constituée la religion, malgré les graves abus qui s'y rencontrent aussi à chaque instant. Vous ne pouvez vous empêcher de reconnaître que cette union sainte, indéfiniment prolongée, fait vivre tous ses membres, quelque nombreux qu'ils soient, malgré la faiblesse des uns et les infirmités des autres, qu'elle développe au plus haut point toutes leurs facultés mais principalement leurs facultés intellectuelles et morales et les conduit pour le ciel, et quelquefois même pour la terre, à des résultats surprenants qu'aucun d'eux n'eût obtenus peut-être dans une autre position.

Votre comparaison est sur tous les points défectueuse, me dira-t-on. La famille "est utile, nécessaire même, parce que sans elle l'homme enfant ne pourrait vivre. Renfermé alors dans un cercle toujours restreint, il s'y développe admirablement en effet et arrive quelquefois à des résultats surprenants. Mais qu'a-t-il besoin d'une nouvelle tutelle, quand il est devenu grand et se suffit à luimème? Ne voyez-vous pas que cette nombreuse et compacte réunion où vous l'ap pelez va gêner son action au lieu de la faciliter, corrompre ses murs au lieu de les purifier et de les sanctifier.

Parler ainsi, c'est méconnaître absolument la nature de l'homme et tout ce qu'il est obligé d'accomplir sur la terre. Ne savezvous pas qu'il y a des hommes qui ne cessent pas d'être enfants pendant leur vie entière? Que d'autres sortis de l'enfance un instant y rentrent presque immédiatement? Ne savez-vous pas que la faiblesse et les infirmités de l'enfance nous reprennent, et quelquefois avec une intensité plus grande encore à la fin, si ce n'est même au milieu de notre carrière? Ne savez-vous pas qu'il

y a des cœurs chagrins, blessés et même mortellement dans un corps sain, qui ont toujours besoin d'une main douce et affectueuse pour calmer leur douleur et soigner leurs plaies avec un dévouement que rien ne lasse? Ne savez vous pas que les âmes les plus grandes et les plus fortes sous certains rapports, sont souvent les plus petites et les plus faibles sous d'autres rapports, et que ces âmes ont encore plus besoin que les autres d'une main élevée et énergique pour les conduire sûrement dans les sentiers si difficiles de la vie ? Que dis-je ? Le génie lui-même n'est souvent qu'un géant qui marche la tête dans les cieux et les pieds sur le bord des abîmes. Il pénètre les secrets de la Divinité, mais il ignore ce qui se passe parmi les enfants des hommes. Il a donc souvent besoin, lui aussi, d'une voix également amie et imposante qui lui crie à chaque instant : « Prends garde !» d'un lieu de complète sûreté où il puisse à l'aise poursuivre jusqu'à la fin ses profondes méditations.

Vous prétendez que l'homine devenu grand se suffit bien à lui-même.

Dans le cours ordinaire des choses, j'en conviens, mais vous devez convenir de votre côté que dans certains cas l'union, la vie de famille lui devient absolument nécessaire, ou du moins très-utile; vous devez convenir également que cette union, cette vie de famille le sert admirablement encore dans les autres cas où il pourrait, rigoureusement parlant, suffire à tous ses besoins et à tous ses devoirs. Car, je vous le demande, cet homme que nous supposons dans toute sa force, dans

indépendance parfaite, qu'est-il seul au sein de cette nature incommensurable dont il se trouve pourtant la plus noble partie. Qu'est-ce, je vous le répète, que ce roseau pensant, ce grain de sable animé, abandonné à lui-même sur ce globe immense dont il fut créé roi, qu'il doit dominer, régir, perfectionner, au-dessus duquel il doit s'élever en faisant la conquête des cieux ? Ah ! rien, moins que rien, une amère dérision. Mais au lieu de considérer l'homme dans un complet isolement, supposez-le, au contraire, dans une intime union avec un certain nombre d'autres hommes; supposez également à cette union toute la force que la nature et la religion doivent lui communiquer simultanément en donnant à celui qui commande le titre de père spirituel, et à ceux qui obéissent celui de frères en Jésus-Christ, cet être si petit et si faible n'est plus ce qu'il était précédemment, mais il est en état désormais de faire tout ce que Vous pourrez imaginer de plus difficile et de plus grand,

Vous avez prétendu encore que, dans cette réunion nombreuse et compacte que suppose ordinairement une abbaye, les mœurs pouvaient facilement se détériorer et se corrompre, au lieu de se purifier et de se sanctifier.

Mais c'est là l'abus de la chose, et non la chose elle-même. Or, comme nous l'avons reconnu déjà, il y a abus partout en ce monde,

et c'est souvent des choses les pius saintes que le cœur humain fait le plus déplorable abus: Corruptio optimi pessima. Pour continuerla comparaison si frappante à laquelle nous venons d'avoir recours, considérez, je vous prie, la famille, telle qu'elle se montre à nous dans la société. Voyez-vous la jalousie, la haine, les dissensions, le meurtre, le parricide?... Voyez-vous les dissolutions de tont genre, l'inceste, les monstres les plus affreux, sortis de l'enfer, s'y introduisant nalgré tout, tantôt sous le voile du mystère, tantôt à la face du ciel et de la terre ? Voulez-vous que je vous représente ce père en cheveux blancs, ou plutôt ce démon, revêtu de la forme humaine la plus respectable, assouvissant ses dégoûtantes passions?... Non! non! allez-vous vous écrier, non! mille fois non! Ah! plutôt détournons les yeux, pour ne pas voir tant de maux sortis, par le désordre de l'homme, de cette source sacrée d'où devaient sortir tant de biens. Et voilà précisément ce que je demande pour cette famille spirituelle communément appelée abbaye. Laissons done, un instant, de côté les abus nombreux, excessivement graves, si l'on veut, qui en sont sortis quelquefois, pour juger la chose en elle-même.

Il est incontestable qu'une abbaye (et ce que nous disons ici de cette association religieuse, peut s'appliquer, en général, à toute autre également reconnue par la religion), il es!, dis-je, incontestable qu'une abbaye a par elle-même les résultats les plus avantageux pour la sanctification des âmes. Qui ne le reconnaît, pour peu qu'il soit de bonne foi? Le nier, ce serait nier l'efficacité du recueillement, de la méditation, de la prière, de la prédication, du bon conseil et des bons exemples, de tous ces moyens, en un mot, qui font la force sanctifiante de la religion. Le nier, ce serait se mettre en opposition avec les faits les plus nombreux et les plus saillants de l'histoire. Le nier, mais ce serait nier l'évidence, ce qui frappe encore, à chaque instant, tous les regards.

S'il vous reste quelque doute à ce sujet, suivez-moi. Nous voilà tout à coup transportés, je suppose, par un de ces convois qui franchissent, en peu de temps, les distances les plus considérables, dans une de ces contrées de la France où la culture des terres est portée à un point qu'il ne me semble guère possible de surpasser. Examinons tout avec beaucoup d'attention. Sous le rapport matériel, il ne paraît pas que nous avons rien à désirer; mais attendons quelque temps. C'est l'heure du repas pour ceux qui cultivent ces terres, el bientôt ils vont se montrer à nos yeux, en reprenant leurs travaux. Les voilà en effet. Grand Dieu! que ces êtres sont méprisables au point de vue de la religion ou seulement de la morale la plus vulgaire La colère à chaque instant les transporte; livrognerie les dégrade; l'impiété, l'impudicité, l'improbité même, toutes les passions les plus mauvaises les dominent tour à tour, et quelquefois simultanément, comme ce démon qui s'appelait légion. Hâlons-nous de

quitter ces lieux, car il n'y a rien de beau iei que la matière, ce qui n'est pour l'homme que l'accessoire.

Nous voilà transportés, je suppose de nouveau, avec la même rapidité que tout à l'heure, dans une autre partie de la France, où la terre se trouve également bien cultivée, mais qui n'offre plus le même aspect. Quel est cet antique et vaste bâtiment que nous apercevons au fond de la vallée solitaire? On vient de nous le dire: c'est une abbaye de Chartreux qui, retirés du monde, trouvent, dans un rude labeur de chaque jour, tout ce qu'il faut, rigoureusement parlant, pour subvenir à leurs besoins si modérés, et aux besoins de ceux qui viennent leurdemander l'hospitalité. Allons jouir nousmêmes, pendant quelque temps, de cette hospitalité offerte à tous. En approchant, nous éprouvons déjà, comme aux environs de la maison du Seigneur, ce je ne sais quoi qui prédispose l'âme aux saintes pensées. Après avoir franchi ce seuil sacré aussi, c'est bien autre chose. Sous le rapport matériel, il n'y a pas une différence bien grande avecce que nous avons vu ailleurs; mais, sous le rapport spirituel, que de changements! les hommes y sont en aussi grand nombre,. en plus grand nombre encore peut-être, les réunions y sont aussi fréquentes et incontestablement plus intimes, mais combien diffèrent et les dispositions de chacun, et les effets que produisent sur tous leurs rapports. Les autres s'irritent sans cesse par le rapprochement, ceux-ci se calment; les autres se corrompent, ceux-ci se purifient; les autres nous ont paru de véritables démons incarnés, et ceux-ci des anges servis par des organes.

Vous diriez qu'il n'y a pas un seul instant de repos, ni le jour ni la nuit, dans cette immense habitation; et cependant quel ordre partout! Au lieu de l'affreux blasphème qui nous épouvantait naguère, ce ne sont que des paroles de bénédiction qui sans cesse frappent agréablement l'oreille; au lieu de la haine sanguinaire, c'est la bienfaisante charité qui règne au fond des cœurs et s'épanouit sur tous les visages. Il n'est guère possible de rencontrer, de supposer mêmeune organisation morale plus compliquée et pourtant plus irréprochable. A la parole, au inoindre désir de l'abbé, que tous aiment et vénèrent également, et qu'on appelle pour cela: Mon très-Révérend Père, je me trompe, car Dieu seul commande en ce saint lieu; à la manifestation de la volonté divine, qui se fait insensiblement par la règle que chacun porte gravée au fond de son cœur, tout marche sans cesse avec une régularité que rien ne peut surpasser. Voyez, dans une montre, le mouvement dont les rouages s'enchaînent admirablement, et marquent avec tant d'exactitude, sous l'impulsion d'un ressort caché, toutes les heures qui passent et nous entraînent à l'éternité. Vous n'avez là encore qu'une image imparfaite de ce mouvement religieux, si je peux m'exprimer de la sorte, dont les rouages intelligents s'enchaînent de la manière la plus admirable, et marquent

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